1) Les définitions:
Lors de l'intégration d'une fonction, deux obstacles peuvent se présenter:
d'une part la fonction peut être "trop grande"; d'autre part elle peut ne
pas être assez "régulière". Ce paragraphe est consacré à la notion de
"régularité" nécessaire à la définition de l'intégrale.
Rappelons d'abord que si est une application d'un espace dans un
espace , l'image réciproque d'une partie de par est la
partie de notée (ou parfois
, ce qui est une
notation moins "canonique" mais plus parlante) et définie par
(1)
(ne pas confondre cette notation avec celle désignant la ``fonction
réciproque'' ou ``fonction inverse'' de , lorsque celle-ci est
bijective). Les propriétés suivantes, où et les sont des
parties quelconques de et est une ensemble fini, dnombrable, ou
infini non dénombrable, se vérifient immédiatement:
(2)
On énonce les trois dernières propriétés ci-dessus en disant que
l'image réciproque commute avec le passage au complémentaire, la réunion
et l'intersection. Si
est une classe quelconque de parties de , on
note
la classe de parties de définie ainsi:
. Il découle immédiatement de () que:
(3)
DéfinitionSoit
et
deux espaces mesurables, et
une application de dans .
a) On dit que est une application mesurable de
dans
si la tribu est contenue dans
, ce qui revient à dire que
pour tout
. On écrit aussi parfois:
.
b) Une fonction sur (i.e. une application de dans ou dans
) est dite mesurable par rapport à la tribu, ou
"
-mesurable", ou simplement "mesurable" s'il n'y a pas d'ambiguïté
quant à la tribu
, si elle est mesurable de
dans ou
muni de sa tribu borélienne.
c) Lorsque
et
(ou plus généralement si et
sont des espaces topologiques), avec leurs tribus
boréliennes respectives
et
, une fonction mesurable de
dans
est dite borélienne.
d) Si
est une famille quelconque de fonctions sur ,
on appelle tribu engendrée par cette famille, et on note
, la plus petite tribu de rendant mesurables les fonctions
(i.e. la plus petite tribu contenant les tribus
pour tout ).
Le résultat suivant, que le lecteur vérifiera par lui-même, montre la
cohérence entre la mesurabilité d'une fonction et celle d'un ensemble. On
rappelle que si
, la fonction indicatrice de est la
fonction de dans qui vaut sur et 0 sur le
complémentaire :
(4)
Exemples:
1)
Si est muni de la tribu
de toutes ses
parties, toute application de dans un ensemble mesurable
est
mesurable.
2)
Si
est un espace mesurable quelconque, toute fonction constante
(i.e. pour tout , où est un réel fixé) est mesurable. En
effet
si et
sinon.
2) Critères de mesurabilité:
Pour vérifier la mesurabilité d'une fonction, on dispose des trois outils
suivants:
Proposition Soit une application de dans , et soit
une classe de parties de telle que
(rappelons que
cela signifie que la tribu engendrée par
est
). Pour que
soit mesurable de
dans
il faut et il suffit que
pour tout
(
).
La nécessité est évidente. Inversement, supposons que
. Soit aussi
l'ensemble des parties de telles
que
. D'après () il est très facile de vérifier
que
est une tribu de . Par hypothèse on a
. Comme
est une tribu et comme
est la tribu engendrée par
, on a
donc
. Par suite
et est mesurable.
Proposition Soit
,
et
trois espaces
mesurables. Si est une application mesurable de
dans
et si est une application mesurable de
dans
,
l'application composée
est une application mesurable de
dans
.
Si
l'image réciproque
est dans
et donc
. Comme
, on en déduit
, d'où le résultat.
Proposition Toute application continue de
dans
est borélienne. Plus généralement si et sont des
espaces topologiques, toute application continue de dans est
borélienne.
a) On va d'abord montrer que si
et
et si est une
application de dans , alors
(5)
Supposons d'abord continue. Rappelons que cela signifie la chose suivante,
en notant (resp. ) la distance euclidienne de à
dans (resp. de à dans ):
(6)
Soit un ouvert de et
. Soit et . Comme
, il existe un
tel que la boule de centrée en et de
rayon
soit contenue dans . Si est associé à et
comme dans (), cette propriété implique que la boule de
centrée en
et de rayon est contenue dans : cela veut exactement dire que
est un ouvert.
Supposons inversement que l'image réciproque de tout ouvert de par
soit un ouvert de . Soit et
. L'image réciproque de la
boule ouverte de centrée en et de rayon
est un ouvert contenant , donc il existe tel que
contienne la boule de centrée en et de rayon : en d'autres
termes, on a (). Par suite est continue.
b) Passons à la preuve proprement dite. On a vérifié ()
ci-dessus lorsque
et
. Lorsque et sont des espaces
topologiques quelconques, () est en fait la définition des
fonctions continues. Si
(resp.
) désigne la classe des ouverts de
(resp. de ), () implique que pour toute fonction continue on a
. Comme les tribus boréliennes sont les tribus
engendrées par les ouverts, le résultat découle immédiatement de la
proposition .
On va maintenant donner quelques applications utiles de ces trois résultats.
Proposition Soit
un espace mesurable. Pour qu'une fonction
sur soit mesurable, il faut et il suffit qu'elle vérifie l'une
des conditions suivantes:
(i)
pour tout
(rappelons que
).
(ii)
pour tout
.
(iii)
pour tout
.
(iv)
pour tout
.
Il suffit de combiner les propositions 1- et .
Proposition Soit ,..., des fonctions réelles mesurables
sur
. Soit une fonction borélienne sur . La fonction
sur définie par
est alors
mesurable sur
.
On peut considérer le -uplet
comme une application de
dans , qu'on notera : si , est le
vecteur de dont les composantes sont
. Comme
, en vertu de la proposition il suffit de démontrer que
est mesurable de
dans
.
Pour cela, en utilisant 1-() et la proposition , on voit qu'il
suffit de montrer que pour tout rectangle
,
où les sont des réels, on a
. Mais comme
cette propriété découle de la
mesurabilité des et de la propriété (T'4) des tribus.
Ce résultat s'applique en particulier lorsque la fonction ci-dessus est
continue. Cela donne une série de propriétés d'usage constant. Par exemple
si les fonctions réelles sont mesurables sur
, il en est de
même des fonctions suivantes:
(7)
(8)
(9)
(Pour () par exemple, il suffit d'appliquer la proposition
précédente avec
, qui est continue).
On déduit de ces propriétés que l'ensemble de toutes les fonctions
réelles mesurables sur
est une algèbre (i.e. un espace
vectoriel stable par produit des fonctions), et un espace réticulé
(i.e. stable par les opérations "sup" et "inf"); on verra mieux dans la
proposition ci-dessous.
En particulier est une fonction mesurable, et donc les ensembles
suivants
(10)
sont mesurables.
3) Les limites de fonctions mesurables: Chacun sait qu'une
suite
de fonctions sur et à valeurs dans ou dans
converge simplement
vers une limite si
pour tout . Lorsque la suite de
fonctions est quelconque, on peut toujours introduire les notions suivantes:
DéfinitionOn appelle limite supérieure et limite
inférieure d'une suite
de fonctions sur et à valeurs
dans
les fonctions suivantes:
(11)
Noter que les fonctions
et
définies ci-dessus
sont a-priori à valeurs dans
, même si les sont à valeurs
dans .
Rappelons qu'une suite de fonction converge simplement vers la
limite si on a
pour tout . Si la suite est
croissante (resp. décroissante),
c'est-à-dire si
(resp.
) pour tout
, elle converge simplement vers une limite vérifiant
et aussi
(resp.
).
Dans le cas général, dire que la suite converge simplement revient
à dire que
, et dans ce cas la valeur commune de
ces deux fonctions est la limite de la suite . La propriété
suivante est immédiate:
(12)
et si les
sont des parties de , en se rappelant la
définition 1- on a:
(13)
Proposition Soit
une suite de fonctions mesurables
sur
, à valeurs dans ou dans
.
a) Les fonctions et sont mesurables.
b) Les fonctions
et
sont mesurables.
c) L'ensemble des où la suite numérique converge (dit
``ensemble de convergence'' de la suite ) est dans
.
d) Si la suite converge simplement, sa limite est une fonction
mesurable.
Pour (a) on utilise le fait que
et
et la proposition . (b) s'obtient
par application répétée de (a). Si
et
,
l'ensemble de convergence de la suite est l'ensemble , qui
est mesurable d'après (). Enfin si converge simplement sa
limite est égale à , donc (d) découle de (b).
4) Image d'une mesure par une application: Ci-dessous on
considère d'une part une application mesurable de
dans
, et
d'autre part une mesure sur
. On peut ``transporter'' la mesure
sur par , selon le schéma suivant:
Théorème Si pour tout
on pose
(14)
on définit une mesure sur
, appelée la mesure
image de par .
On utilise (): d'une part,
. D'autre part
si on a une suite
de parties deux-à-deux
disjointes et appartenant à
, les
sont aussi
deux-à-deux disjointes, tandis que
. Par suite