1) Les ensembles négligeables: Donnons nous un espace
mesurable quelconque
, muni d'une mesure . Un élément de
est dit -négligeable si . A certains égards il est naturel de
dire aussi que tout sous-ensemble de est -négligeable,
qu'il appartienne à
ou non: par exemple sur muni de la mesure de
Lebesgue, toute partie d'un borélien de ``longueur'' nulle est naturellement
qualifié aussi d'une longueur nulle. Cela conduit à la définition suivante:
Définition Une partie de est dite -négligeable
(ou négligeable par rapport à , ou simplement négligeable s'il n'y
a pas d'ambiguïté quant à la mesure ) s'il existe un ensemble
tel que
et que .
De plus, une propriété
relative aux points de est dite vraie
-presque partout si le complémentaire de l'ensemble des points
où elle est réalisée est -négligeable; en abrégé on
écrit:
est vraie -p.p.
Par exemple, si et sont deux fonctions sur , on dit que -p.p. si l'ensemble
est négligeable, ou que -p.p. si l'ensemble
est négligeable, etc...
Si et sont deux parties de , on écrit aussi par abus de notation
-p.p. (resp.
-p.p.) lorsque l'ensemble est négligeable (resp. l'ensemble est négligeable), ce qui
revient aussi à dire que
-p.p. (resp.
-p.p.).
Exemples:
1)
Supposons que la tribu
contienne les singletons
. Si est la mesure de Dirac au point
, un ensemble est -négligeable si et seulement s'il ne
contient pas (en effet le plus grand ensemble de -mesure nulle qui
soit contenu dans
est le complémentaire ). Noter que cette
propriété est vraie quelle que soit la tribu
contenant les singletons
(ou même, quelle que soit la tribu
contenant le singleton ).
2)
Si la tribu est engendrée par une partition finie ou dénombrable
, une partie de est négligeable si et seulement si elle
est contenue dans la réunion
, où est l'ensemble des
indices pour lesquels
.
3)
Si est la mesure nulle, toutes les parties de sont
négligeables; cette mesure est clairement la seule pour laquelle
lui-même est négligeable.
Voici quelques propriétés simples de la classe
des ensembles
négligeables:
Proposition La classe
vérifie les propriétés suivantes:
(1)
(2)
(3)
(4)
() est évident puisque
et
. Si
il existe
tel que
et par
définition. Si alors
on a aussi
, et on en
déduit que
: d'où ().
Pour les deux autres propriétés, remarquons que pour chaque il existe
avec
et
. Par suite
pour n'importe quel , de sorte qu'on a ().
On a aussi
; si est fini ou
dénombrable,
est dans
et de mesure nulle
(cf. (1-)), de sorte qu'on a ().
Il découle immédiatement de () ci-dessus que
p.p. et-p.p.p.p.p.p.
(5)
p.p.
(6)
2) La tribu complétée: Par définition, on appelle tribu complétée de
par rapport à la tribu engendrée par la
réunion
.
Voici d'abord une description de cette tribu complétée:
Proposition La tribu complétée de
par rapport à
égale chacune des trois classes suivantes de parties de :
a) La classe des parties de pour lesquelles il existe deux
éléments et de
avec
(7)
b) La classe des parties de pour lesquelles il existe
et
avec
(8)
c) La classe des parties de pour lesquelles il existe
avec
(9)
Soit
la tribu complétée; notons
,
et les
classes de parties décrites dans (a), (b) et (c). () implique que
est dans
, donc on a aussi (): par suite
. Si on a () il vient
, donc on a
aussi () et
. Si on a () il existe
avec
et : si alors
et
il vient
et
,
et
, donc
: on a donc
(), de sorte que
. Donc finalement
.
Il est clair que
, et que
(prendre
dans
()) et
(prendre
dans ()). Il reste
donc à prouver que
est une tribu.
Que
est évident. Si vérifie () avec
,
alors vérifie aussi () avec (puisque
), tandis que
: donc
. Si enfin les
vérifient () avec les
, et si
et
on a
, et
;
cette dernière réunion est dans
en vertu de (), donc
également en vertu de (): par suite
.
Cela achève de prouver que est une tribu.
Proposition Soit
la tribu complétée de
. Une fonction
sur à valeurs dans ou dans
est
-mesurable si
et seulement si l'une des deux conditions équivalentes suivantes est
satisfaite:
a) Il existe une fonction
-mesurable telle que -p.p. (i.e.
l'ensemble
est -négligeable).
b) Il existe deux fonctions
-mesurables et telles que
(10)
On a (b)
(a): prendre par exemple ou .
Supposons (a). Pour tout
, on a
, donc
. Comme
en
vertu de la
-mesurabilité de , on obtient
par la
proposition précédente. Ceci étant vrai pour tout
, il suffit
d'appliquer la proposition 2- pour obtenir que est
-mesurable.
Il reste à montrer que si est
-mesurable on a (b). Pour cela on
considère la classe
de toutes les fonctions à valeurs dans
et qui vérifient (b). Cette classe est stable par addition:
si
sont associées respectivement aux couples et
par (), on peut évidemment supposer que et ;
alors et sont
-mesurables et
et
, donc
, de
sorte qu'on a bien
. La classe
est également stable par
multiplication par une constante positive (même démonstration), et aussi
par limite croissante: supposons
que les
soient dans
et croissent vers ; soit
le couple associé à par (); les fonctions
et
sont
-mesurables (proposition 2-);
on a clairement
; enfin
, qui
est négligeable par ().
Remarquer que tout
vérifie (): on a donc
et
-p.p., de sorte que
. En
utilisant les propriétés prouvées ci-dessus on en déduit que
contient toutes les fonctions de la forme
pour et
: en d'autres termes,
contient
toutes les fonctions
-mesurables étagées positives. A cause de
la stabilité de
par limite croissante, et
en utilisant le lemme 2-, on voit que
contient toutes les
fonctions
-mesurables à valeurs dans
(d'après ce qui est
montré au début de la preuve,
est en fait exactement l'ensemble de
ces fonctions).
Il reste à examiner le cas où est
-mesurable de signe quelconque.
D'après ce qui précède il existe deux couples de fonctions
-mesurables et tels que
et
et que
-p.p. et
-p.p.;
noter qu'on peut toujours remplacer par la fonction
-mesurable
(car si on a , donc ),
ce qui revient à supposer que sur
, et on peut de
même supposer que sur
. Les fonctions et
sont
-mesurables et vérifient
et
-p.p.: donc vérifie (), et la preuve est terminée.
3) Extension de la mesure à la tribu complétée: On va
maintenant étendre la mesure à la tribu complétée
de
par rapport à . On va commencer par un lemme qui sera amélioré
plus loin.
Lemme a) Si et sont deux parties
-mesurables
vérifiant -p.p., on a
.
b) Si et sont deux fonctions
-mesurables vérifiant
-p.p., alors admet une intégrale (resp. est intégrable) si
et seulement si admet une intégrale (resp. est intégrable), et on a
alors
.
Comme -p.p. équivaut à dire que
-p.p., (a)
découle de (b) appliqué à et .
Comme -pp. implique
-pp. et
-pp., il
suffit clairement de montrer que si et sont positives, on a
. Mais si est la fonction qui vaut aux points
où et qui vaut 0 là où , on a , tandis que
le fait que soit étagée avec deux valeurs 0 et conduit
à
. Donc
, et l'inégalité inverse se montre de la même manière.
Proposition Pour tout
la formule
(11)
définit un nombre qui ne dépend pas de la décomposition
choisie dans (). L'application
de
dans
définit une mesure sur
qui est une extension
de au sens où
si
. Cette extension est
l'unique extension possible de à
, et on l'appelle la mesure
complétée.
Soit
deux décompositions de
avec
et
. Comme
et comme est négligeable, donc contenu dans un
avec , on a
, ce qui implique
: ainsi la formule
() ne dépend pas de la décomposition choisie pour .
Il est clair que
si
, et en particulier
. Pour montrer que est une mesure il reste donc à
prouver la -additivité. Soit une suite
d'éléments de
deux-à-deux disjoints, de décompositions
avec
et
. On a
, et
, et
, et enfin les
sont aussi deux-à-deux disjoints: on a donc
Soit enfin une autre mesure sur
qui étend . Si
est dans
, avec
et
, il existe
avec
et . Comme
il vient
de sorte que
, qui égale par (),
donc
.
Voici maintenant un résultat qui contient l'amélioration promise du lemme
:
Proposition a) La classe des ensembles négligeables pour
est la même que la classe
des ensembles négligeables pour .
b) Si est une fonction
-mesurable, pour toute fonction
-mesurable
égale -p.p. à (il en existe d'après la proposition
), on a que admet une intégrale (resp. est intégrable) par
rapport à si et seulement si admet une intégrale (resp. est
intégrable) par rapport à , et dans ce cas
.
a) Il est clair que la classe
est contenue dans la classe
des
ensembles -négligeables. Inversement si
il existe
avec
et
; mais () implique alors que avec
et
et : on a donc aussi
, donc
; donc
(appliquer la proposition ): il s'ensuit que
.
b) Comme est une extension de , on a clairement qu'une
fonction
-mesurable admet une intégrale (resp. est
intégrable) par rapport à et et seulement si c'est la cas aussi
par rapport à , et on a alors
. Par ailleurs,
(a) implique qu'une propriété est vraie -p.p. si et seulement si
elle est vraie -p.p.: la partie (b) découle alors du lemme
appliqué à la mesure et à la tribu
.
Cette proposition montre qu'il ne sert à rien de ``compléter'' la tribu
par rapport à la mesure : en effet les ensembles
-négligeables sont contenus dans
, de sorte que
est sa
propre complétée.
Notation: Comme est l'unique extension de à la tribu
, et comme les intégrales des fonctions
-mesurables sont les mêmes
par rapport à ou à , il est habituel de noter encore la
mesure précédemment appelée .
Exemples:
1)
Supposons que
soit la masse de Dirac en
, et que la tribu
contienne le singleton . On a vu qu'une
partie de est négligeable si et seulement si elle ne contient pas le
point . La tribu complétée
est alors la tribu
de toutes
les parties de , et la mesure complétée est la masse de Dirac en
(mais, maintenant, sur l'espace mesurable
).
2)
Supposons que
soit muni de la mesure de Lebesgue .
La tribu complétée
de
s'appelle la tribu de Lebesgue. Elle
est strictement plus grande que la tribu borélienne, mais elle est
strictement plus petite que la tribu de toutes les parties
.
4) Nous allons terminer ce paragraphe avec quelques résultats
en rapport plus ou moins proche avec les ensembles négligeables.
Commençons par un lemme qui, connu sous le nom d'inégalité de
Bienaymé-Tchebicheff, est utile dans de nombreuses applications. Dans ce qui
suit on considère l'espace mesuré
, mais on pourrait tout aussi
bien se placer sur l'espace ``complété''
.
Lemme Si est une fonction mesurable à valeurs dans
, on a pour tout
:
(12)
La fonction
vérifie , donc
. Comme
, on en
déduit immédiatement ().
Corollaire Si est une fonction mesurable à valeurs dans
, intégrable, alors l'ensemble
est
négligeable (i.e. on a
-p.p.).
On a
par (). Comme
, il suffit de
faire tendre vers l'infini pour obtenir le résultat.
Pour bien comprendre ce résultat, il faut noter que si la fonction est
intégrable, elle n'est pas nécessairement à valeurs finies: modifier
(par exemple remplacer les valeurs de par ) sur un ensemble
négligeable n'altère pas son intégrabilité.
Corollaire a) Si
est une suite de fonctions
mesurables à valeurs dans
et si
,
on a
-p.p.
b) (Lemme de BOREL-CANTELLI) Si
est une suite de parties
mesurables de
vérifiant
, alors
.
a) D'après le corollaire 2-, la fonction
est
intégrable, et il suffit donc d'appliquer le corollaire .
b) L'assertion découle de (a) appliqué à la suite
: d'une
part on a
; d'autre part
.
Proposition Si est une fonction mesurable à valeurs dans
, on a l'équivalence:
(13)
Si -p.p., on a aussi
-p.p., donc
par
le lemme . Si inversement
, le lemme
implique
pour tout , et comme
croît vers
on en déduit que
, donc -p.p.