1) Ci-dessous,
désigne un espace mesurable quelconque.
Le résultat essentiel de ce paragraphe est le suivant:
Théorème Soit et deux mesures sur
, et
une classe de parties de vérifiant les propriétés suivantes:
(i) la tribu engendrée par
est
;
(ii)
pour tout
;
(iii) la classe
est stable par intersection finie (i.e.
);
(iv) il existe une suite croissante
d'éléments de
telle que
.
Les mesures et sont alors égales.
Noter que (ii) et (iv) impliquent que les mesures et sont
-finies. En vue de prouver ce théorème nous énonçons d'abord un
lemme qui sera utilisé plusieurs fois dans la suite et qui concerne la
notion suivante: Une classe
de parties de est appelée un -système si elle vérifie les deux propriétés suivantes:
(1)
est une suite croissante d'éléments de
(2)
L'intersection d'un nombre quelconque de -systèmes est un
-système (vérification immédiate), et le -système engendré par une classe
de parties de est par définition le plus
petit -système contenant
(= l'intersection de tous les
-systèmes contenant
). Le lemme suivant est souvent appelé
Théorème des classes monotones, ou plutôt il s'agit d'une des
versions de ce théorème.
Lemme Si
est une classe de parties de stable par
intersection finie et contenant lui-même, le -système engendré
par
est aussi la tribu engendrée par
.
Soit
(resp.
) la tribu (resp. le -système) engendrée par
. Comme toute tribu est un -système, on a
, et pour
montrer l'inclusion inverse il suffit de prouver que
est une tribu.
Pour tout
on note
la classe des
tels que
. Comme
et
, il est clair que
est un
-système.
étant stable par intersection, on a
,
donc
par définition même de
.
Pour tout
on note
la classe des
tels que
. Exactement comme ci-dessus on voit que
est un -système.
De plus
(en effet si
, et comme
,
on a
), de sorte que
par définition de
.
Ce qui précède implique que pour tous
on a
. Par
ailleurs on a
, donc () implique que si
on
a aussi
: ainsi,
est une algèbre. Pour montrer que c'est une
tribu, il reste donc à montrer que
est stable par réunion
dénombrable. Mais si les sont dans
on a vu (puisque
est une
algèbre) que
est dans
, de sorte que ()
entraine
, et cela achève la preuve que
est une
tribu.
Preuve du théorème .
Notons et les restrictions de et à :
rappelons par exemple que
. Vu le
théorème 1-, on a
et
pour tout
: il suffit donc de montrer que
pour tout .
Dans la suite, on fixe . Pour tout
on a
par
(iii), donc
. On a aussi
,
puisque
: en d'autres termes,
pour tout dans la classe
. Par ailleurs la classe
engendre la tribu
et est stable par intersection.
Soit
la classe des
tels que
(rappelons
que est fixé). Cette classe vérifie () car on peut écrire
par additivité, donc
puisque la
mesure est finie, et on a des relations analogues pour ; elle
vérifie () car on a
et
une relation analogue pour . Par suite
est un -système, qui
contient
. En vertu du lemme , et comme
par
construction, on a en fait
, ce qui veut dire que
pour tout
, et par suite
.
Comme première application de ce résultat on obtient l'unicité de la
mesure de Lebesgue dans les théorèmes 1- et 1-: en effet
toutes les mesures candidates à être la mesure de Lebesgue prennent la
même valeurs finie pour tout élément de la classe
des rectangles
bornés, et cette classe vérifie (i) (par définition des boréliens),
(iii) et (iv) ci-dessus.
Voici une autre application:
Corollaire Soit et deux mesures -finies sur
. Si elles coïncident sur une algèbre engendrant la tribu
, elles sont égales.
2) Les fonctions de répartition: Dans ce sous-paragraphe nous
introduisons une notion relative aux mesures sur . Elle est
particulièrement utile pour les probabilités, et nous commençons par ce
cas.
DéfinitionLa fonction de répartition d'une probabilité
sur (i.e. une mesure de masse totale
) est la
fonction sur définie par
(3)
Proposition La fonction de répartition d'une probabilité
sur vérifie les propriétés suivantes:
(4)
De plus, en notant la limite à gauche de au point , et
avec les conventions
et
(naturelles au vu
de ()), on a:
(5)
Comme
si , la croissance de
est évidente, et ma première égalité () découle de ce que
si et de ce que la mesure de
n'importe quel borélien est finie.
Pour montrer la continuité à droite, il suffit de vérifier que si
décroit vers on a
. Mais la première égalité
() implique
et
, de sorte que le
résultat découle du théorème 1--(b). De même si
on a
, donc
, et si
on a
, donc
: cela achève de prouver
().
Enfin les trois dernières égalités de () se montrent de la
même manière. Montrons par exemple la seconde: On a
, donc d'après le théorème 1--(b) on a
.
Exemples:
1)
Si est la masse de Dirac au point , sa
fonction de répartition est
2)
Soit
une suite de réels, et
une suite
de réels positifs de somme . Considérons la mesure
, qui est une probabilité sur puisque
(on a
pour tout borélien ). La
fonction de répartition est alors
(6)
Noter que cette fonction , clairement croissante, est discontinue en
tout point tel que , et continue partout ailleurs.
3)
Soit une fonction positive d'intégrale
par rapport à
la mesure de Lebesgue , et considérons la mesure de
densité (rappelons que
pour tout borélien ).
La fonction de répartition est alors
(7)
Noter que si est continue, alors est dérivable, de dérivée
.
Lorsque est une mesure finie sur , sa fonction de répartition
est encore définie par (), et la proposition est encore
vraie: il faut simplement remplacer
dans
() par
.
Pour les mesures infinies la situation est un peu différente, puisque la
formule () peut fort bien donner
pour tout , de
sorte que dans ce cas la définition n'offre aucun intérêt. Il
y a cependant une notion analogue, pour les mesures dites de Radon: ce
sont les mesures qui vérifient
pour tout entier .
Définition Soit une mesure sur vérifiant
pour tout entier . Sa fonction de répartition
généralisée est la fonction sur définie par:
(8)
Proposition Soit une mesure sur vérifiant
pour tout entier . Sa fonction de répartition
généralisée est une fonction croissante, continue à droite,
vérifiant
, et on a encore ()
pour tous finis, avec au lieu de .
D'abord, le fait que vérifie () lorsque
découle de l'additivité de et des propriétés suivantes:
Cela montre en particulier que est croissante, et
est évident. Mais
et les ensembles sont
tous contenus dans l'ensemble , qui est de mesure finie: donc le
théorème 1- entraine que
, de sorte
que . Les autres propriétés se montrent exactement comme dans la
proposition .
Exemple: Si
est la mesure de Lebesgue, sa fonction de
répartition généralisée est .
Lorsque est une probabilité, ou une mesure finie, les rapports entre
la fonction de répartition et la fonction de répartition
généralisée sont:
(9)
Voici enfin le résultat d'unicité qui montre qu'une mesure de Radon sur
est entièrement caractérisée par sa fonction de répartition
généralisée:
Théorème Deux mesures et sur
,
finies sur les ensembles
pour tout entier , et qui ont même fonction de répartition
généralisée sont égales. Le même résultat est vrai si elles
sont finies et ont même fonction de répartition.
Il suffit d'apliquer le théorème avec la classe/
constituée de tous les intervalles de la forme pour
: on a évidemment (i), (iii) et (iv), tandis que (ii)
vient de ce que
.
Nous terminons ce paragraphe en énonçant un résultat, qui avec le
théorème précédent implique le théorème 1-, et qui sera
démontré à la fin du cours:
Théorème Si est une fonction de dans ,
croissante, continue à droite, telle que , il existe une mesure
(et une seule d'après le théorème précédent) qui
admet pour fonction de répartition généralisée.