1) Le produit de deux mesures: Soit
et
deux espaces mesurés. On va construire le
``produit'' des deux mesures et sur l'espace
muni de la tribu
. Les résultats sont rassemblés dans
deux théorèmes, qu'on démontrera simultanément:
Théorème Si les deux mesures et sont
-finies , il existe une mesure et une seule sur
, qu'on
note aussi
et qu'on appelle la mesure
produit, qui vérifie
(12)
Théorème (THEOREME DE FUBINI) Supposons que les deux
mesures et soient -finies, et soit
.
a) Si est une fonction mesurable sur
à valeurs dans
,
les fonctions
(13)
(en vertu de la proposition ces intégrales sont bien
définies) sont mesurables sur
et
respectivement,
et on a
(14)
b) Si est une fonction mesurable sur
à valeurs dans
, les trois assertions suivantes sont équivalentes:
(i) est intégrable par rapport à ;
(ii) la fonction
est intégrable
par rapport à ;
(iii) la fonction
est intégrable
par rapport à .
Dans ce cas, l'ensemble
est
-mesurable et vérifie
et l'ensemble
est
-mesurable et vérifie
. La fonction (resp. ) de () est alors
bien définie sur (resp. ), et on a ().
Il semble utile de faire d'emblée quelques commentaires. Considérons par
exemple la première des formules (): en toute rigueur, il faudrait
l'écrire
(15)
Lorsque la fonction est bien définie, mesurable et
positive, de sorte que les deux membres de () ont un sens. Lorsque
est de signe quelconque, mais intégrable par rapport à ,
() définit pour
, tandis que
risque de ne pas avoir de sens si
; toutefois la fonction
égale à sur et (par exemple) à 0 sur est
-mesurable, et l'intégrale
ne dépend pas des
valeurs de sur l'ensemble -négligeable (cf. la
proposition 3-): il est alors naturel de l'écrire
(par un abus - anodin - de notation), et c'est le sens qu'on donne au second
membre de ().
1) Par hypothèse il existe des suites
dans
et
dans
, telles que
,
,
et
pour tout .
2) Nous allons maintenant montrer que si est une fonction mesurable
positive sur
, les fonctions et de () sont
mesurables. On va traiter, par exemple, le cas de .
Par limite croissante (cf. le lemme 2- et (iv) du théorème
2-), il suffit de montrer le résultat lorsque est étagée;
par linéarité (cf. la proposition 2-) il suffit même de le
montrer lorsque est l'indicatrice d'un
.
Soit la restriction de à (donc
). On a
, de
sorte que si la quantité est la limite croissante des
intégrales de la fonction
par rapport aux
. Il suffit donc de montrer la mesurabilité de lorsqu'on
remplace par : en d'autres termes on peut supposer que la
mesure est finie.
Notons
la classe des
tels que la fonction associée à
soit
-mesurable. Comme est supposée finie, il est
évident de vérifier que cette classe vérifie () et (),
c'est-à-dire est un -système. Par ailleurs si
est
un pavé mesurable, on a
, qui est
-mesurable,
de sorte que
contient la classe
des pavés mesurables. Comme la
classe
est stable par intersection et contient lui-même, une
application du lemme montre que
, et a prouvé le résultat
cherché.
3) Montrons maintenant l'existence d'une mesure sur
vérifiant
(). D'après 2) on peut poser pour tout
:
(16)
Il est clair que
, et la -additivité de
découle d'une double application du corollaire 2-. Le fait que
vérifie () est évident.
4) Passons à l'unicité. Soit et deux mesures vérifiant
(). Elles coïncident donc sur les pavés mesurables. Pour
obtenir que il suffit alors d'appliquer le théorème
à la classe
des pavés mesurables
tels que
(i.e.
pour ): cette classe
vérifie évidemment les conditions (ii) et (iii) de ce théorème; elle
vérifie (iv) avec la suite
; enfin elle vérifie (i),
puisque tout pavé mesurable est réunion des pavés qui
appartiennent à
, de sorte que tout pavé mesurable est dans la tribu
, et donc
par la proposition .
5) Pour le moment on a prouvé le théorème , et la première
partie de (a) du théorème . Montrons maintenant ()
lorsque est positive. Quand la première de ces formules est
exactement (). Par linéarité on en déduit la première formule
() pour toute fonction étagée, puis par limite croissante pour
toute fonction mesurable positive. L'égalité entre les membres extrêmes
de () se montre de la même manière.
6) Il reste à montrer la partie (b) du théorème .
L'équivalence de (i), (ii) et (iii) découle immédiatement de ()
appliquée à . Le fait que
vient de la mesurabilité de
la fonction
, et
vient de (ii) et du corollaire 3-. On a de même les résultats
concernant . Enfin la validité de () pour provient
de l'application de () aux fonctions positives et et du
fait que
.
Exemples:
1)
Lorsque
, on a vu que
. Si de plus
est la mesure de
Lebesgue, le produit
est alors la mesure de Lebesgue
sur , et les théorèmes 1- et 1- découlent
du théorème lorsque . L'intégrale d'une
fonction sur par rapport à
se note aussi
et la formule () est ainsi une version améliorée du résultat
selon lequel une intégrale double se calcule comme une succession de deux
intégrales ``simples'', dans l'ordre qu'on veut: attention toutefois aux
hypothèses sur pour que cette formule soit exacte.
2)
Lorsque
et lorsque
est la mesure de comptage sur , le produit
est la mesure de comptage sur
.
L'intégrale d'une fonction (positive ou intégrable) par rapport à la
mesure de comptage étant la somme des valeurs prises par cette fonction, la
formule () devient dans ce cas:
(17)
à condition que
pour tous , ou que
que
si les sont de
signe quelconque. On retrouve en particulier la formule 2-().
3)
Soit
un espace mesuré quelconque avec une mesure
-finie, et soit
muni de la mesure
de comptage . Une fonction sur
peut être
considérée comme
une suite
de fonctions sur par les formules
, et on vérifie aisément que est mesurable par rapport
à
si et seulement si les fonctions sont
-mesurables. La fonction mesurable est intégrable par rapport à
si et seulement si on a
(18)
(appliquer () à ; la première égalté vient du
corollaire 2-). Si on on a (), la série
est donc -a.s. absolument convergente, de somme -intégrable, et
la formule () appliquée à donne alors
(19)
Ainsi, sous (), on
peut intervertir somme et intégrale: on obtient ainsi une version un peu
différente du corollaire 2-, avec des de signe quelconque mais
vérifiant ().
Remarque 1: La mesurabilité de par rapport à la tribu
produit est essentielle dans le théorème . On peut trouver des
fonctions positives qui ne sont pas
mesurables mais qui sont
``séparément'' mesurables en chacune des variables (cf. la remarque de la
fin du paragraphe 2), et telles que les fonctions de () soient
également mesurables: les deux derniers membres de () sont alors
bien définis, mais pas nécessairement égaux, tandis que le premier n'a
pas de sens.
Remarque 2: Même lorsque est mesurable, il faut faire très
attention quand on utilise (), qui n'est vraie que si est de
signe constant, ou est intégrable.
Illustrons ceci dans le cadre de l'exemple 1 ci-dessus. Soit
On a alors
et un calcul analogue conduit à
. Les deux derniers membres de () sont
donc différent (bien-sûr la fonction borélienne sur
n'est pas
-intégrableø.
Pire: les deux derniers membres de () peuvent être égaux, alors
que l'intégrale de n'a pas de sens. Prenons par exemple la fonction
sur
définie par
si et
si
, de sorte que
est finie. Soit
Il est clair que
, donc les deux derniers
membres de () sont nuls. Cependant
,
donc () appliqué à la fonction positive donne
et de même pour : donc l'intégrale de par rapport à
n'a
pas de sens.
2) Le produit de plusieurs mesures On considère maintenant
une famille finie d'espaces mesurés
, pour
. On pose
, muni de la tribu produit
.
Théorème Si les mesures sont toutes
-finies, il existe une mesure et une seule sur
, qu'on
note aussi
et
qu'on appelle la mesure produit, qui vérifie
(20)
On fait une récurrence sur (le résultat étant vrai pour
d'après le théorème ). Supposons le résultat vrai pour :
sur l'espace
muni de la tribu
on a construit la mesure produit , qui est l'unique mesure
vérifiant
On a
et, par la proposition ,
.
Le théorème permet de construire sur
la mesure produit
, qui vérifie clairement (). Enfin,
l'unicité de se montre exactement comme pour le théorème
.
Exemple: La mesure de Lebesgue
sur est ainsi la
mesure
produit - fois - de la mesure de Lebesgue sur , et les théorèmes
1- et 1- découlent du théorème précédent.
Nous avons vu l'associativité du produit des tribus (proposition ).
La même propriété est vraie pour les produits de mesure, en utilisant
les notations
,
et
, ainsi que
,
et
:
Corollaire Les mesures produits
et
sont égales.
Il suffit de remarquer que ces deux mesures coïncident sur les pavés
mesurables de
, donc sont égales d'après l'unicité dans le
théorème précédent.
Etant donné ce corollaire, le théorème de Fubini se généralise
immédiatement au produit fini
par une
récurrence immédiate. Plus précisément, si est une fonction
mesurable sur
, on a
(21)
lorsqu'en plus est positive ou intégrable par rapport à , et de
plus est intégrable si et seulement si le membre de droite de
() écrit pour est fini.
Lorsque la fonction se met sous la forme
(on écrit aussi
, et c'est d'ailleurs là l'origine de la notation
pour les produits de tribus ou de mesures), () prend une
forme bien plus agréable:
Proposition Soit des fonctions mesurables sur
,
et supposons les mesures -finies. Soit
et
.
a) La fonction est -intégrable si et seulement si on a l'une des
deux conditions suivantes:
(i) la fonction est -intégrable pour tout
;
(ii) il existe un indice tel que la fonction soit -p.p.
égale à 0.
b) Si toutes les fonctions sont positives, ou si l'une des deux
conditions de (a) sont remplies, on a
(22)
D'abord, lorsque les sont positives la formule ()
découle immédiatement de () (on peut aussi faire une preuve
``directe'': () n'est autre que () lorsque les sont
des fonctions indicatrices; par linéarité la formule () est donc
vraie lorsque les sont étagées, puis par limite croissante lorsque
les sont mesurables positives).
L'assertion (a) découle de la formule () appliquée aux valeurs
absolues (en se rappelant que l'intégrale d'une fonction positive
est nulle si et seulement si cette fonction est presque partout nulle), et
() pour intégrable de signe quelconque se déduit de
() appliqué à toutes les combinaisons possibles des et
.
Voici une remarque évidente: la masse totale de la mesure produit égale le
produit des masses totales (appliquer () avec ). Par
exemple, le produit d'un nombre fini de probabilités est une probabilité.
Mais cette remarque explique pourquoi on ne fait pas en général de produit
infini de mesures, sauf lorsqu'il s'agit de probabilités: si on se donne une
suite infinie
de mesures -finies (chacune définie
sur un espace mesurable
), et si on cherche à définir la
mesure produit sur les pavés mesurables de
par la
formule
(), le second membre devient un produit infini qui, en général,
diverge. Cependant, si les sont toutes des probabilités, il est
possible de définir le produit infini
par cette
formule (nous nous contentons de cette remarque un peu informelle; la
démonstration du résultat est en fait difficile).