Ce paragraphe est essentiellement consacré à la démonstration de la
formule ``de changement de variable'' dans les intégrales par rapport à la
mesure de Lebesgue sur . Cela permettra d'étudier la mesure image
d'une mesure sur ayant une densité.
Le cadre est le suivant: soit et deux ouverts de , et
un -difféomorphisme de dans , c'est-à-dire une
application de dans qui est bijective et continuement
différentiable et dont l'application réciproque (de dans
) est aussi continuement différentiable. On note
la
coordonnée de . On appelle matrice jacobienne
en
la matrice des dérivées partielles
prise au point , et jacobien de le
déterminant de cette matrice: ce déterminant est noté .
En dérivant les deux membres de l'égalité
on
vérifie immédiatement que les matrices jacobiennes de en et de
en sont inverses l'une de l'autre. Par suite on a
(23)
Rappelons enfin que l'intégrale d'une fonction sur par
rapport à la mesure de Lebesgue est notée
, notation
qu'on abrège en
, ou qu'on remplace aussi par
;
l'intégrale de la fonction lorsque
est aussi notée
ou
.
Théorème Sous les hypothèses précédentes, pour toute
fonction borélienne sur telle que soit intégrable
par rapport à la mesure de Lebesgue, on a
(24)
Attention à la valeur absolue du jacobien! Cette formule s'appelle la
formule du changement de variable, car elle revient à faire dans la
seconde intégrale le changement de variable
. Souvent est noté
(25)
de sorte que () devient
(26)
La notation (), cohérente avec (), permet de se
rappeler que dans le changement de variable ``l'élément différentiel''
est remplacé par
.
Exemples:
1)
Supposons que , et que et
avec et (ces nombres peuvent être infinis). Un
-difféomorphisme est donc une application dérivable ayant l'une
des deux propriétés suivantes ( est la dérivée de ):
(i) on a pour tout
, et
et
, ou
(ii) on a pour tout
, et
et
.
() s'écrit alors:
(27)
et la seconde formule s'écrit aussi souvent
, avec la convention
: on retrouve donc
la formule bien connue de changement de variable sur .
Noter d'ailleurs que lorsque la formule () ne se ramène pas
toujours à (): en effet, un ouvert n'est pas forcément un
intervalle ouvert. La forme générale de () lorsque est en
fait la suivante: soit
et
deux
familles d'intervalles ouverts respectivement deux-à-deux disjoints, avec
fini ou dénombrable. Pour chaque
soit une bijection dérivable de dans dont
la dérivée est toujours soit strictement positive, soit strictement
négative. On a alors dès que est intégrable, avec
:
(28)
Cette dernière formule est d'ailleurs vraie dès que les
sont deux-à-deux disjoints (même si ce n'est pas le cas des ).
2)
Soit une fonction Lebesgue-intégrable sur , et
.
On a alors
(29)
Il suffit d'appliquer () avec
et :
cette application est un -difféomorphisme de dans lui-même
qui vérifie (sa matrice jacobienne est en fait la matrice
identité)
Nous allons commencer par un lemme, dans lequel on fait les hypothèses du
théorème .
Lemme Pour tout
il existe une boule fermée
de centre et de rayon
, contenue dans , telle que
pour toute fonction borélienne positive on ait, si désigne
l'image
de par :
(30)
La preuve se fait par récurrence sur la dimension .
a) Soit et
. Comme est ouvert, il existe
tel que l'intervalle
soit contenu dans .
L'image est un intervalle , de sorte que () s'écrit en
fait (): cette formule, connue lorsque est continue (pour
l'intégrale de Riemann), doit être démontrée dans le cas où est
seulement borélienne positive.
Exactement comme dans l'exemple ci-dessus, deux cas sont possibles selon que
la dérivée est positive ou négative sur , et on va par
exemple traiter le cas où pour tout (l'autre cas est
un peu plus simple).
D'abord, par linéarité et limite croissante il suffit (comme on l'a
déjà vu plusieurs fois) de montrer () lorsque est
l'indicatrice d'un borélien . Mais si on pose
et
, on définit clairement deux mesures
finies et , de sorte qu'il nous faut montrer que ces deux mesures
sont égales. D'après le théorème il suffit donc de
vérifier
pour
. Comme on a aussi de
manière évidente
si
il suffit de
montrer que
pour
;
comme dans ce cas il existe un unique point
tel que
, on a alors
et donc
(par une propriété bien connue des intégrales de Riemann; ici est
continue, donc Riemann-intégrable sur
): on a donc le résultat.
b) Supposons () vraie pour . Soit
. D'après
() on a
, donc
pour au moins un . La numérotation des coordonnées n'ayant pas
d'importance, on peut supposer que ceci est vrai pour . Soit
l'application de dans , continuement différentiable,
définie de la manière suivante par ses coordonnées:
Comme
, le théorème des fonctions
implicites montre qu'il existe une boule fermée de centre et de
rayon
, contenue dans , et une fonction continuement
différentiable de dans , tels que
Notons et les images de la boule par et . On peut
considérer aussi (resp. ) comme une application de dans
(resp. dans ): la première est bijective par hypothèse, la seconde
l'est également puisqu'elle admet clairement comme application réciproque
, et on pose
qui est bijective de dans et vérifie
.
Introduisons quelques notations: si
on note
, de sorte qu'on peut écrire
. Soit
et
, et associons
de même et à . Remarquons que si on a
, de sorte que et que est
l'image de par l'application
. Par ailleurs
par composition des dérivées et par
il vient
, tandis que d'après la définition de
on voit que
. Par suite, en appliquant le
théorème de Fubini, puis () pour , puis de nouveau le
théorème de Fubini, on obtient:
Maintenant, on note
et
, et on associe de même et à
. Soit également
. On a
, de sorte que la première ligne de la matrice jacobienne
de est
: par suite
. Enfin
et
. Donc d'après le théorème de Fubini, puis
() appliqué à , puis de nouveau le théorème de Fubini,
il vient
On a donc montré () pour .
Preuve du théorème . Il suffit (par différence) de
prouver () pour . A chaque
on associe une
boule de centre et de rayon strictement positif, tel que si
désigne l'image de par on ait (). Cette égalité
s'écrit aussi
Soit maintenant
une énumération des points de
qui sont à coordonnées rationnelles (l'ensemble de ces points est
dénombrable). Soit
et, pour
,
: les
forment une partition de , et les images de par
forment une partition de , avec
et
. En appliquant l'égalité ci-dessus à et à
, et comme
, il vient
Il suffit de sommer sur pour obtenir ().
Corollaire Si est une mesure sur admettant une
densité (par rapport à la mesure de Lebesgue), si est un
-difféomorphisme de dans lui-même, et si désigne
la mesure image de sur par l'application , alors la
mesure admet aussi une densité , qui est donnée par la
formule