Dans tout ce chapitre, l'espace mesuré
est fixé. Nous avons
déjà rencontré l'espace
de toutes les fonctions
mesurables sur
, à valeurs réelles, qui sont -intégrables
(cf. chapitre 2). Mais, plus généralement, il existe toute une famille
d'espaces de fonctions mesurables, ainsi définis:
Définition Si
, on note
l'ensemble de toutes les fonctions mesurables sur
, à valeurs
réelles, telles que la fonction soit -intégrable. Si
, on pose
(1)
Proposition Chaque espace
est un espace vectoriel.
D'abord, si
et
, il est évident que le produit
appartient aussi à
. Il nous suffit donc de montrer que si
, alors
.
On vérifie facilement que
pour tout , donc aussi
si . Il s'ensuit que
: si
, la fonction est intégrable et
.
Rappelons que si désigne un espace vectoriel, on appelle norme sur
une application
de dans qui vérifie:
(2)
Si on pose alors
, on définit une distance sur
, et la topologie associée est compatible avec la structure d'espace
vectoriel, ce qui signifie que si et pour cette
topologie (i.e.
et
), et si dans
, alors
et
. On dit alors que , ou
plus précisément , est un espace vectoriel normé.
Revenons aux espaces
. L'application
de
dans
vérifie clairement (ii) ci-dessus, ainsi que , et on
verra plus tard que (iii) est aussi vérifié (c'est un résultat non
évident, sauf pour ). En revanche, implique seulement que
-p.p., en vertu de 3-(), de sorte que n'est en
général pas une norme sur
(voir cependant l'exemple 2 ci-dessous).
Pour pallier ce problème, on opère ainsi: d'abord, si et sont deux
fonctions réelles mesurables, on écrit si et seulement si -p.p., ce qui définit clairement une relation d'équivalence. En vertu
du lemme 3-, si
et si , on a aussi
et
. On peut donc poser la
Définition Si
, on note
l'ensemble des classes d'équivalence des fonctions de
, pour la
relation d'équivalence ``égalité -presque partout'' rappelée
ci-dessus. Si , on note la valeur commune des
pour les fonctions appartenant à la classe .
Une autre manière d'exprimer cette définition consiste à dire que
est le quotient de
par la relation d'équivalence ``égalité
-presque partout''. Si , on appelle représentant de
toute fonction mesurable
qui appartient à la classe
d'équivalence .
Soit alors
et
. Si et (resp. et )
sont deux représentants quelconques de (resp. ), on a
-p.p. et
-p.p.: on peut alors définir la
somme (resp. le produit) comme la classe d'équivalence
de la somme (resp. du produit ) pour des représentants
quelconques et de et : cela munit l'ensemble d'une
structure d'espace vectoriel, appelée structure quotient. En particulier
l'élément nul (noté encore 0) de est la classe d'équivalence
de la fonction nulle, et une fonction mesurable est dans la classe 0 si
et seulement si -p.p. D'après la proposition 3-, on voit
qu'on a alors l'équivalence:
(3)
En d'autres termes, vérifie (-(i)) sur l'espace .
Les définitions de
et de
sont un peu plus
délicates. L'idée est que
est l'ensemble des fonctions
mesurables et ``presque partout'' bornées, proposition dont la traduction
rigoureuse est la suivante:
Définition a) On note
l'ensemble de toutes les fonctions mesurables sur
, à valeurs
réelles, qui sont essentiellement bornées, ce qui
signifie qu'il existe un réel
(dépendant de , bien
entendu), tel que
-p.p. Pour une telle fonction, on pose
(4)
b) On note
l'ensemble des classes
d'équivalence des fonctions de
, pour la
relation d'équivalence ``égalité -presque partout'': là encore,
si
et si -p.p., alors
, et on a
clairement
, de sorte que si
on peut noter
la valeur commune des
lorsque
parcourt la classe .
Remarquer que si
-p.p. et
-p.p. et si
, on a
-p.p. et
-p.p.: on en
déduit immédiatement que
est un espace vectoriel, et
exactement comme ci-dessus on munit
de la structure vectorielle
quotient induite par la relation d'équivalence ``égalité -presque
partout''. La propriété (-(i)) est alors satisfaite par
, sur l'espace
.
Puisque
-p.p. pour tout
, on a aussi la
propriété suivante:
p.p.
(5)
Dans toute la suite, on oubliera les
et on ne considèrera en fait que
les . Cependant, les éléments de seront implicitement
considérés comme des fonctions (ce qui revient en fait à confondre une
classe d'équivalence avec l'un quelconque de ses représentants): cette
identification d'une classe avec un représentant est en fait anodine, dans
la mesure où les intégrales (par rapport à ) sont les mêmes pour
tous les représentants de la même classe. Attention, toutefois: lorsqu'on
considère simultanément deux mesures et , les classes
d'équivalence ne sont pas les mêmes relativement à chacune de ces
mesures, et l'identification d'une classe à l'un quelconque de ses
représentants ne peut plus se faire.
Exemples:
1)
Si est fini et si
, tous les espaces
(resp. tous les espaces
) pour
sont les
mêmes.
2)
Si est fini ou dénombrable, si
, et si
pour
tout , alors
pour tout
.
3)
Soit avec
et la mesure de comptage; on note
l'espace
. Cet espace est l'espace des
suites
telles que:
et
(6)
et
(7)
Lemme Si est une mesure finie et si
, on a
.
Si , on a
, donc
qui est fini si . Si maintenant
et si
, on a
(on peut négliger d'écrire
``-p.p.'', puisqu'on considère des classes d'équivalence). Donc
. .
Remarque. Ce résultat est faux si
: par exemple si
, la fonction est dans
, mais
pas dans si . La fonction
pour
est dans si , mais pas si .
L'inclusion peut même être en sens inverse: en reprenant l'exemple 3
ci-dessus, on voit que
si .