1) Nous allons commencer par une inégalité faisant intervenir
les fonctions convexes, et dont nous déduirons ensuite deux inégalités sur
les normes pour les espaces .
Rappelons d'abord que si est un espace vectoriel, une partie de
est dite convexe si pour tous on a
pour
tout (en d'autres termes, le ``segment'' de d'extrémités
et est tout entier contenu dans ). Ensuite, si est un intervalle
de (borné ou non), une fonction de dans est dite
concave (resp. convexe) si l'ensemble
(resp.
est un
ensemble convexe de . Remarquer que est convexe si et seulement
si est concave. Noter aussi que si est deux fois dérivable
dans l'intérieur de , elle est convexe (resp. concave) si et seulement si
sa dérivée seconde est positive (resp. négative).
Lemme(Inégalité de Jensen) Soit une
probabilité sur
, soit
une fonction concave sur un intervalle de , soit enfin une
fonction réelle -intégrable, telle que pour tout . On a alors
, et
(8)
Posons
. Soit l'extrémité gauche de . Si
on a . Si on a par hypothèse, donc
puisque est une probabilité. De même si
est l'extrémité droite de , on a si , et
si : cela prouve que .
Comme est concave, il existe au moins une droite de
d'équation
qui est située entièrement au dessus de
graphe de , i.e.
pour tout . Par
suite
Lemme(Inégalité de Hölder) Soit
des nombres de
vérifiant
(avec la convention
). Si et , le
produit
appartient à , et on a
(9)
Si
, ou si
et , le résultat est
évident. On suppose donc que sont finis. Comme les normes de ,
et ne font intervenir que les valeurs absolues de ces fonctions, on peut
aussi supposer que et sont positives. Par ailleurs si on a
-p.p., donc aussi -p.p., donc
. On peut
donc enfin supposer que le nombre
est strictement positif.
On pose alors , et on note
la mesure qui admet la
densité par rapport à . Noter que est une probabilité, et
que -p.p. (puisque sur l'ensemble ,
donc
). Etant donnés les rapports entre
et , on a
puisque . Comme , la fonction
est clairement
convexe, et le lemme précédent entraine que
(en utilisant que ). Mais
et
,
de sorte que l'inégalité précédente est exactement ().
Lemme(Inégalité de Minkowski) Soit
, et et dans . On a
(10)
Si le résultat est très simple: en effet, en identifiant
(comme on l'a souligné ci-dessus) un
élément de (i.e. une classe d'équivalence) avec l'un
quelconque de ses représentants, on a
Dans le cas , on a
-p.p. et
-p.p., donc aussi
-p.p., de sorte qu'on a ().
Passons au cas où
. Soit le réel tel que
., et . En utilisant d'abord que
, puis l'inégalité ()
avec , on obtient:
ce qui donne finalement
, puisque . Comme on a déjà vu que est un
espace vectoriel, on a aussi , de sorte que
: on
déduit alors de l'inégalité précédente que
. Comme , on en déduit le
résultat.
2) Nous sommes maintenant prêt à démontrer les résultats
principaux de ce paragraphe:
Théorème Si
, l'espace
est un
espace vectoriel
normé.
Nous avons déjà vu que est un espace vectoriel, et que sur cet
espace l'application
vérifie (i) et (ii) de (). La
propriété (iii) de () n'est autre que ().
Dans la suite, on dit qu'une suite
de converge vers
une limite dans , et on écrit
, si
. Rappelons qu'on a
(11)
(C'est en fait fait un résultat général sur la convergence associée
à une norme, qui se démontre ainsi: on a
par
l'inégalité triangulaire, donc
et on a de même
, de sorte que
).
Signalons aussi les propriétés évidentes suivantes:
et alors
(12)
et
(13)
Exemples:
1)
Si est un ensemble fini, avec la tribu de toutes
ses parties, et si est une mesure telle que
pour
tout , on a déjà vu que
ne dépend pas de , et il
est clair que cet espace peut s'identifier à : une fonction est
simplement une famille finie de réels
. On a alors
, et cette norme
coïncide avec la norme euclidienne usuelle si et si est la
mesure de comptage. Sinon, c'est une norme différente, mais la topologie
associée est la même dans tous les cas: c'est la topologie usuelle sur
.
2)
Si on considère l'espace décrit dans l'exemple
3 du paragraphe 1, la suite
converge dans (i.e. pour la distance associée à la norme
) vers la limite
si et seulement si
quand
,
lorsque
; si , il y a convergence dans
si et seulement si
. Ces conditions entrainent
toutes que
pour tout .
Le second résultat important concerne les rapports entre la convergence
-presque partout d'une suite
de fonctions (qui est
aussi, comme l'appartenance à
, une propriété des classes
d'équivalence), et la convergence dans : pour étudier ces rapports, on
supposera que
, le cas étant de nature très
différente. Supposons d'abord que
-p.p. (rappelons que cela veut dire que l'ensemble des
pour lesquels ne converge pas vers est -négligeable). On
ne peut évidemment pas conclure que
, ne serait-ce, par
exemple, que parce que les fonctions ou n'appartiennent pas
nécessairement à . Cependant, on a:
p.p.
(14)
(appliquer le théorème de convergence dominée de Lebesgue à la suite
, qui converge p.p. vers 0 et vérifie
-p.p.).
Dans le sens opposé, on a la
Proposition Soit
. Si
, il existe
une suite
strictement croissante d'entiers telle que
-p.p. (on dit aussi: on peut extraire de la suite une
sous-suite qui converge p.p. vers ).
On pose , et on définit par récurrence la suite ainsi: si
on connait pour un
, on peut trouver un
tel
que
et que
. Posons
(pour
). D'après
l'inégalité de Bienaymé-Tchebicheff 3-() appliquée à la
fonction
, on a
. On a donc
, et le lemme de
Borel-Cantelli (corollaire 3-) implique que l'ensemble
est -négligeable pour tout . Il en est donc de même de
.
Soit . Pour tout on a
, ce qui veut dire
qu'il y a (au plus) un nombre fini d'entiers tels que
.
Notons le plus grand des entiers tels que
. Pour
tout on a alors
: comme est
arbitrairement grand, cela veut exactement dire que
. On a
donc montré que
si , et le résultat est
démontré.
Lorsque , on a un résultat bien plus fort: si
,
alors en dehors d'un ensemble négligeable on a que la suite
converge uniformément vers .
Corollaire Soit
. Si la suite
converge dans vers
une limite , et -p.p. vers une limite , on a -p.p.
Le résultat découle immédiatement de la remarque précédant
l'énoncé, lorsque . Si maintenant
, on a vu plus
haut qu'il existe une suite telle que
-p.p., et comme
-p.p. on a a fortiori
-p.p.: la propriété -p.p. est alors
évidente.
Remarques: 1) On ne peut pas faire mieux que la proposition
.
Soit par exemple , muni de la tribu borélienne
et de la
mesure de Lebesgue . Soit
. On note
l'ensemble des qui sont de la forme , avec
et
(c'est à dire l'ensemble des points de
``modulo ''). Soit aussi
. On a
, de sorte que
pour tout
. Cependant, comme
, on voit que les
ensembles ``glissent'' le long de une infinité de fois, de sorte
que
et
: on n'a donc pas
-p.p.
2) A l'inverse, si on a
-p.p. et si les fonctions et
sont dans , il n'est pas sûr que
: Sur le même
espace que dans la remarque précédente, soit
. La
suite converge p.p. vers , mais
ne tend pas
vers 0 (bien-sûr, l'hypothèse de () n'est pas satisfaite dans
cette situation).
Proposition Soit
et
des fonctions
de telles
que
. La série est alors
presque partout absolument convergente, et convergente dans , et on a
(15)
Voici quelques commentaires sur la signification de cet énoncé. D'abord,
dire que la série est p.p. absolument convergente signifie que
pour tout en dehors d'un ensemble négligeable on a
, donc la série numérique
converge pour ces valeurs
de . La convergence dans signifie que les fonctions
convergent dans vers une limite . En vertu du
corollaire , on a donc
pour tout en dehors
d'un ensemble négligeable, et il est alors naturel de noter la
fonction .
Posons comme ci-dessus
, et aussi
et
. Supposons d'abord . Il existe un ensemble négligeable tel
que si on a
. Donc si on a
,
donc la série
est absolument convergente et sa somme
vérifie
: toutes les assertions
sont alors évidentes.
Supposons ensuite . D'après l'inégalité
triangulaire et () on a
, si
désigne la somme
, qui est finie par hypothèse.
D'après le théorème de limite monotone, on a
On en déduit que , étant -intégrable, est -p.p. finie, et
il en est évidemment de même de . En d'autres termes la série
numérique
est absolument convergente, et a fortiori
convergente, sur l'ensemble
dont le complémentaire est
négligeable.
Posons
pour tout point tel que la série soit
absolument convergente, et (de manière arbitraire) ailleurs. On a
bien-sûr , donc
d'après
ce qui précde: on en déduit que et qu'on a ().
Il reste à montrer que
. Si
, on a
, de sorte qu'en appliquant ()
à la série commençant à l'indice (au lieu de ), on obtient
. Cette dernière
quantité est le reste d'une série numérique convergente, donc tend vers
0: cela achève la démonstration.
Passons enfin au troisième et dernier résultat important. Rappelons qu'un
espace métrique est complet si toute suite de Cauchy converge:
cela signifie que, avec désignant la distance, toute suite de
points vérifiant
lorsque et tendent vers l'infini
est convergente (inversement, une suite convergente est toujours une suite de
Cauchy, que l'espace soit complet ou non). Un espace vectoriel normé complet
est appelé espace de Banach.
Théorème Si
, l'espace
est un
espace de Banach.
Compte tenu du théorème , il suffit d'appliquer la proposition
et le lemme général suivant:
Lemme Soit un espace vectoriel normé, de norme .
Si toute série vérifiant
converge
dans (i.e., les sommes partielles
vérifient
pour un certain ), alors est un espace de
Banach.
Soit
une suite de Cauchy. Pour tout
on note
le plus petit entier tel que
pour tous
: d'après la définition des suites de Cauchy, existe, et on a
évidemment
.
Posons alors
et
pour . On a
, et
pour par définition de
et le fait que
. Par suite
, et l'hypothèse implique que
converge (en norme) vers une limite .
Enfin, on a
Comme
quand
, on en déduit que
quand
, d'où le résultat.