René
Thom
«Au fond, jamais je n'ai voulu faire des
mathématiques.»

Le parcours de René
Thom est celui des plus grands mathématiciens du 20ème
siècle. Normalien, membre de l'IHES, médaillé
Fields, il est le père fondateur d'une branche entière
des mathématiques modernes: « la théorie du
chaos ». Sa carrière est cependant atypique,
après avoir construit une oeuvre mathématique
considérable, il s'est consacré avec succès à
la philosophie. Il a fait partie de ces rares mathématiciens à
avoir chercher à appliquer leur savoir à d'autres
sciences. Tentons de raconter son histoire.
René Thom est né
en 1923. Il débute sa scolarité à l'école
primaire de Montbéliard en 1931 et montre déjà
des qualités intellectuelles hors normes. Il disait dans un
entretien avec Jacques Nimier : « Je crois que j'étais
arrivé à une très bonne intuition à cette
époque, et je voyais déjà dans l'espace à
quatre dimensions à l'âge de dix, onze ans. »
Il rentre au lycée Cuvier de cette même ville et obtient
à Besançon, en 1940, son baccalauréat série
« mathématiques élémentaires ».
Mais ses études sont interrompues par la guerre. Ses parents
préfèrent alors l'envoyer, ainsi que son frère,
en Suisse pendant quelques temps.

C'est
à Lyon que René poursuit sa scolarité et qu'il
obtient son baccalauréat de philosophie. Il est alors accepté
au Lycée Saint-Louis à Paris. Il tente d'intégrer
l'école normale supérieure en 1943 mais échoue.
Persuadé que c'est ici qu'il recevra le meilleur enseignement
en mathématiques, il retente le concours l'année
suivante et « ...c'est le succès ( mais sans
éclat! ). »
Les années passées
à l'école normale sont marquées par l'occupation
allemande et les conditions de vie sont alors très difficiles
à Paris. Mais, dans les mathématiques un vent nouveau
souffle en France et la nouvelle approche initiée par Bourbaki
est extrêmement stimulante. Au contact de personnages de la
carrure d'Henri Cartan, c'est pour René Thom, une période
épanouissante.
En 1943, afin de suivre
son « maître » (Henri Cartan), René
Thom déménage à Strasbourg et commence sous sa
tutelle un doctorat. Il rencontre alors d'autres mathématiciens
qui participeront grandement à son « éducation
mathématique »: Ehresmann et Koszul. Bien que
Cartan retourne à Paris deux ans plus tard, René
préfère rester à Strasbourg car il s'y plaît.
Il dit avoir vraiment appris la topologie lors des séminaires
d' Ehresmann. Il soutient sa thèse en 1951. Cette dernière
s'intitule « Espaces fibrés dans les sphères
et racines de Steenrod». Elle aborde les fondements de la
théorie du cobordisme pour laquelle Thom recevra la médaille
Fields quelques années plus tard.
René Thom part en
post-doctorat aux Etats Unis en 1951. Ce voyage lui permet de
rencontrer des personnalités comme Einstein, Weyl ou Steenrod.
Il revient en France et enseigne à l'université de
Grenoble de 1953 à 1954 puis celle de Strasbourg de 1954 à
1963. Il est nommé professeur en 1957.

En 1958, pour son
travail en topologie, en particulier sur les classes
caractéristiques, la théorie du cobordisme, et le
théorème de transversalité, René Thom est
le lauréat de la médaille Fields. D'une nature
extrêmement modeste, il a toujours pensé qu'il n'avait
pas mérité cet honneur. Il avait l'impression que les
travaux qui ont prolongé le sien étaient plus
approfondis et que d'autres méritaient au moins autant que
lui, si ce n'est plus, la médaille. Il pensait par exemple à
Barry Mazur, pour sa démonstration de la conjoncture de
Schönflies: « Toutes sphères Sn-1dans
Rn qui a un bord régulier est le bord d'une
n-boule »
ou à Milnor et à sa découverte des sphères
exotiques.
C'est Hopf qui remet la
médaille à Thom. Lors de son discours, il dit «
Ses découvertes sont d'une nature très géométrique
et intuitive. Ses idées ont significativement enrichi les
mathématiques et tout semble indiquer que l'impact du travail
de René Thom, si il trouve des applications dans des domaines
connnus ou à inventer, est loin d'être épuisé. »

En 1964, René Thom
devient, au côté de Grothendieck, membre de l'Institut
des Hautes Etudes scientifiques à Bures-sur-Yvette. Il disait,
au sujet de ce dernier:
« Les
relations avec mon collègue Grothendieck furent très
agréables. Sa supériorité technique était
évidente. Ses séminaires attiraient la presque totalité
des mathématiciens parisiens alors que moi je n'avais rien de
bien nouveau à offrir. Cela m'a poussé a quitter le
monde des mathématiques pour des domaines où les
notions sont plus générales comme la théorie de
la morphogenèse, un sujet qui m'intéressait alors plus
et me permettait de construire une théorie philosophique pour
la biologie. »

En 1972, René Thom
publie l'article fondateur de la théorie des catastrophes.
Cette dernière est une tentative de décrire et classer
des situations dans lesquelles une série de changements
infimes entraîne un déséquilibre et une brisure
de la continuité du système étudié: une
catastrophe. C'est selon les dires de son créateur «
un moyen de rendre compte des discontinuités. »
ou encore « La théorie des catastrophes
consiste à dire qu'un phénomène discontinu peut
émerger en quelque sorte spontanément à partir
d'un milieu continu ». La théorie alors
existante, le calcul différentiel avait montré son
incapacité à l'étude de ce type de phénomènes.
La théorie des catastrophes a eu des applications en
physique, en biologie, ce qui a du combler René Thom qui
espérait que la portée de sa théorie ne se
limite pas aux mathématiques. L'intérêt pour
cette théorie déborde d'ailleurs largement du cercle
fermé des sciences dures et elle est utilisée dans les
sciences humaines: des philosophes, des linguistes ou des artistes
se penchent dessus. Salvador Dali par exemple peindra une toile en
hommage à René Thom en 1983.
Mais cette théorie,
qui au départ connaît un immense succès, tombe
peu à peu en désuétude. Thom en explique les
raisons:
« C'est un
fait que la théorie des catastrophes est morte. Mais on peut
dire qu'elle est morte de son propre succès. Elle s'est
effondrée le jour où on a tenté d'étendre
le cas analytique à des modèles qui n'étaient
que différentiables. Quand il devint clair que la théorie
ne permettait pas de prédictions quantitatives, les esprits
brillants décidèrent ... qu'elle n'avait pas de
valeur. ».
René Thom s'est
battu pour défendre une approche fondamentale d'une recherche
qui, selon lui, a tendance de plus en plus à privilégier
l'expérimentation. Ainsi, critiquait-il, dans le journal « Le
Monde » en 1984, " le poids sans cesse croissant
donné à la "science lourde", aux
technologies, aux applications, ce qui se fait au détriment
des intérêts théoriques et de l'exigence
d'intelligence auxquels la science d'autrefois sacrifiait bien
davantage. " Cette critique est plus que jamais
d'actualité, alors que les budgets, même pour la
recherche expérimentale, n'ont jamais été aussi
ridicules.
René Thom
est mort jeudi 25 octobre 2002 à Bures-sur-Yvette (Essonne) à
l'âge de 79 ans.
Article
paru dans le Figaro du 31/10/02
Article
paru dans Libération du 31/10/02
Article
paru dans La Croix du 4/11/02
Page
de l'IHES
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La
discussion avec Jacques Nimier.
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