Intégrales curvilignes et mesure

Les intégrales curvilignes, c'est encore un de ces trucs pour lesquels on m'a donné une définition "ad hoc" quand on avait besoin d'en parler (définition de $\pi$, de $\cos$, calcul différentiel...), mais où l'on ne m'a jamais donné une définition que je trouverais propre et générale. Il se trouve que j'ai appris la théorie de la mesure en Licence, et j'aimerais bien redéfinir les intégrales curvilignes avec.

Première destination : l'article Wikipédia. Je prendrai leurs notations ici.

EDIT :

En probabilités, quand on a une variable aléatoire numérique (application mesurable) $V$ sur un espace probabilisé (mesuré) $(\Omega, \mathcal{T}, \mathbb{P})$, et qu'on veut calculer l'espérance (l'intégrale) de $f(V)$ par rapport à la probabilité (mesure), on écrit $\mathbb{E}(f(V)) = \displaystyle \int_{\Omega} f(V) \text{d} \mathbb{P}$. Ceci étant hyper abstrait, on passe d'abord à $\displaystyle \int_{\mathbb{R}} f(x) \text{d} \mathbb{P}_V$ où $\mathbb{P}_V$ est la loi de (mesure image de $\mathbb{P}$ par) $V$, puis à une intégrale de Lebesgue classique $\displaystyle \int_{\mathbb{R}} f(x)h(x) \text{d}x$ en utilisant la densité $h$ de la loi de $V$.

Ici, mon problème c'est l'inverse : on me propose comme définition $\displaystyle \int_{\Gamma}f \text{d}s = \int_a^b (f \circ \gamma) \text{d}s_{\gamma}$ pour l'intégrale de $f : \Gamma \longrightarrow \mathbb{R}$ sur un arc $\Gamma \subseteq \mathbb{R}^n$, donc on me propose une façon de passer de l'abstrait à quelque chose que je sais calculer, mais j'aimerais savoir comment est défini l'espace mesuré (associé à $\Gamma$) sur lequel je veux définir mon intégrale. $s$ devrait être une mesure, pas juste une notation, j'aimerais comprendre qui c'est et sur quelle tribu elle est définie. L'égalité de la définition devrait me paraître plus justifiée et moins "ad hoc" après.



[small]Il y a plusieurs définitions dedans, celle qui m'intéresse pour l'instant est celle où ils posent $\displaystyle \int_{\Gamma}f \text{d}s = \int_a^b (f \circ \gamma) \text{d}s_{\gamma}$.

Sauf que voilà, je trouve que cette définition n'est pas bien précisée dans l'article.

Ce que moi je connais (en tout cas, pour ce qui m'intéresse ici), c'est : on suppose $\mathbb{R}$ muni de sa tribu borélienne et de la mesure de Lebesgue $\lambda$, on se donne un espace mesuré $(X, \mathcal{M}, \mu)$ et une application $f : X \longrightarrow \mathbb{R}$ supposée mesurable, alors j'ai dans mes cours/bouquins une définition de $\displaystyle \int_X f \text{d}\mu$. De plus, si $A \subseteq X$, on peut définir $\displaystyle \int_A f \text{d}\mu := \displaystyle \int_X (f 1_A) \text{d}\mu$, où $1_A$ est l'indicatrice de $A$ dans $X$.

(Petite précision : ici, $\mu$ est une application $\mathcal{M} \longrightarrow [0;\infty]$, donc une mesure positive. Je sais qu'il en existe d'autres types, mais il n'y a que celles-là que je connais bien, au cas où ça jouerait un rôle ici.)


Donc, dans l'article, on part de $f : \Gamma \longrightarrow \mathbb{R}$ qui est une application continue.

Dans mon triplet $(X, \mathcal{M}, \mu)$, on a donc déjà $X = \Gamma$... ou bien, $X = \mathbb{R}^n$ et $A = \Gamma$. Je ne sais pas trop si ça fait une grosse différence.

Je suppose que, pour parler de continuité, la topologie sur $\Gamma := \gamma([a;b]) \subseteq \mathbb{R}^n$, c'est la topologie usuelle de $\mathbb{R}^n$, restreinte à $\Gamma$. Je sais qu'une application continue entre deux espaces topologiques est mesurable pour les tribus boréliennes associées, je veux utiliser ça pour justifier que $f$ est bien mesurable sous les hypothèses de l'article. Mais du coup, il me faudrait la bonne tribu borélienne sur $\Gamma$... si je considère la topologie induite sur $\Gamma$ par celle de $\mathbb{R}^n$ (note pour moi et ma mémoire de poisson rouge : celle obtenue en intersectant les ouverts de $\mathbb{R}^n$ avec $\Gamma$), j'obtiens une topologie sur $\Gamma$ à laquelle est associée une tribu borélienne sur $\Gamma$.

Question 0 : est-ce que cette tribu borélienne sur $\Gamma$ peut être obtenue en "restreignant à $\Gamma$" celle de $\mathbb{R}^n$ d'une certaine manière ?

Ensuite, il y a le $\text{d}s$. Pour ça, il faudrait que $s$ soit une mesure sur $\Gamma$, mais $s$ n'est définie nulle part... ils définissent un $s_{\gamma}$, mais visiblement, ce n'est pas le même objet puisqu'ils notent les deux différemment et utilisent les deux dans la formule $\displaystyle \int_{\Gamma}f \text{d}s = \int_a^b (f \circ \gamma) \text{d}s_{\gamma}$. Donc $s$, c'est censé être quelle mesure maintenant ? Résumé :

Question 1 : si l'intégrale $\displaystyle \int_{\Gamma}f \text{d}s$ doit être définie au sens de Lebesgue, faut-il considérer
- $\displaystyle \int_{\mathbb{R}^n}f1_{\Gamma} \text{d}s$, où $f$ est définie sur $\mathbb{R}^n$ muni de sa tribu borélienne, mais dans ce cas, qui est $s$ (et peut-on relier $s$ à la mesure de Lebesgue) ?
ou
- $\displaystyle \int_{\Gamma}f \text{d}s$ directement, où $f$ est définie sur l'espace mesuré $(\Gamma, \mathcal{G},s)$ ? Et dans ce cas, qui sont $\mathcal{G}$ et $s$ précisément ?

Et là, je n'ai même pas encore regardé le côté droit de l'égalité, alors allons-y.

$\displaystyle \int_a^b (f \circ \gamma) \text{d}s_{\gamma}$, c'est déjà plus proche de ce que je sais déchiffrer. $(f \circ \gamma) : [a;b] \longrightarrow \mathbb{R}$ est une gentille fonction numérique, sauf qu'on ne l'intègre pas par rapport à la mesure de Lebesgue ici, visiblement. Il faudrait donc que $s_{\gamma}$ soit une mesure sur $[a;b]$. $s_{\gamma}$, c'est l'abscisse curviligne le long de $\Gamma$.

Direction l'article Wikipédia sur l'abscisse curviligne, où visiblement il faudrait que $\gamma$ soit de classe $\mathcal{C}^1$ pour que leur définition marche, ce qui n'est pas mon cas ici en toute généralité (remarque : ici, au moins, on définit un $\text{d}s$ par rapport à la mesure de Lebesgue). Cependant, dans cet autre article, on définit la longueur d'un arc simplement supposé continu, ce qui m'arrange davantage. Et avec cette définition-là, je peux me retrouver avec une fonction $s_{\gamma} : [a;b] \longrightarrow [0;\infty]$, $t \longmapsto$ longueur du morceau de $\Gamma$ pour les paramètres de $a$ jusqu'à $t$. J'ai l'impression que $s_{\gamma}$ définit bien une mesure positive, en regardant vite-fait les axiomes d'une mesure ça a l'air de marcher sans problème.

Donc $\displaystyle \int_a^b (f \circ \gamma) \text{d}s_{\gamma}$, a priori, c'est au moins un truc qui existe. Quand $\gamma$ est $\mathcal{C}^1$, il faudrait démontrer que $\displaystyle \int_a^b (f \circ \gamma) \text{d}s_{\gamma}$ est égal à $\int_a^b f(\gamma(t)) ||\gamma'(t)||\text{d}t$, et à partir de cette formule, on a une intégrale par rapport à la mesure de Lebesgue que je suis censé pouvoir calculer.

La question subsidiaire ici, c'est : quand $\gamma$ n'est pas $\mathcal{C}^1$, comment calcule-t-on $\displaystyle \int_a^b (f \circ \gamma) \text{d}s_{\gamma}$ ? (ou bien : comment se ramène-t-on à une intégrale par rapport à la mesure de Lebesgue)

Voilà. Désolé pour ce mur de texte, mais au moins maintenant j'ai en un seul message toutes les notations et tout le travail que j'ai déjà fourni pour essayer d'identifier ce que je n'ai pas compris. J'ai numéroté les questions principales parce que, vu le bazar que c'est, je pressens déjà que je vais devoir poser d'autres grosses questions comme ça, et on finira par s'y perdre.

Au passage, une question que j'hésite à poser, parce que je ne sais pas si elle va simplifier ou compliquer mon bazar, c'est : peut-on déduire cette définition d'intégrale curviligne d'une définition générale de l'intégrale d'une forme différentielle ? Parce que si oui, je préfère m'épargner le gros du travail, (re)prendre les définitions d'intégrales de formes différentielles directement, bien comprendre ça et voir comment m'en servir pour obtenir la définition d'intégrale curviligne dont il est question ici.[/small]

Réponses

  • Bonjour.

    Je ne sais pas pourquoi tu refuses la définition classique. En tout cas, pour une intégrale curviligne classique, ton $\displaystyle \int_X (f 1_A) \text{d}\mu$ ne sert à rien, puisque la mesure d'une courbe lisse de $\mathbb R^2$ ou $\mathbb R^3$ est nulle.

    les intégrales curvilignes (et les intégrales doubles surfaciques) sont apparues naturellement dans les travaux des physiciens, et se ramènent à des bêtes calculs d'intégrales simples ou doubles. Pas besoin de développer une théorie nouvelle, simplement vérifier que ces définitions ont un sens (en particulier, pour les intégrales curvilignes, ne dépendent pas du paramétrage de la courbe).

    Cordialement.
  • Les courbes ont une mesure de Lebesgue nulle dans $\mathbb{R}^2$ ou $\mathbb{R}^3$, ça ne veut pas forcément dire que rien ne marche.

    Et... pourquoi pourrait-on définir à peu près tous les concepts d'intégrale avec la théorie de la mesure, sauf les intégrales curvilignes ?
  • Mais elles sont bien définies par la théorie de la mesure, puisque ce sont des intégrales classiques.
  • En réponse (partielle!) à homo topy.

    http://www.les-mathematiques.net/phorum/read.php?12,1850084,1850084#msg-1850084

    Ne pense pas en termes de mesure mais de formes linéaires. Ça t'evitera de mélanger les difficultés liées à la medurabilite et celle liées aux acquis scientifiques hyperutiles qui établissent que ceci cela ne dépend pas du paramétrage pour les fonctions TRES LISSES.

    L'intégration consiste à considérer une forme linéaire très très accommodante (vérifiant positivité Fubini etc), bref aussi accommodante que du coup elle est "difficile" à construire.

    Du coup quand tu t'interroges sur les aspects lisses OUBLIE la construction poussive de la forme et supposé que tout est mesurable.

    Oui la notion d'intégrale curviligne est un cas particulier du chapitre "formes différentielles", et donc oui si tu as le courage acquiers ce chapitre.

    Mais il est hélas très mal documenté, par exemple la.formule de Stokes est vraie "pour toute fonction" et pas que pour les FD et l'aspect alterne est inflige trop tôt (alors que ce qui est intéressant c'est ce qui disparait condamné pour platitude (non voluminosite)
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
  • Ça ne me dit pas qui est censé être le $s$ de $\displaystyle \int_{\Gamma}f \text{d}s$. Je n'aime pas avoir une notation sortie de nulle part. Evidemment, avec la définition $\displaystyle \int_{\Gamma}f \text{d}s = \int_a^b (f \circ \gamma) \text{d}s_{\gamma}$, je peux travailler, mais un $\text{d}s$ "sorti de nulle part" juste pour faire joli, moi ça me dérange.

    Dans l'écriture $\displaystyle \int_a^b (f \circ \gamma) \text{d}s_{\gamma}$, je travaille sur un espace mesuré bien défini, mais j'aimerais savoir de quel espace mesuré je pars quand j'écris $\displaystyle \int_{\Gamma}f \text{d}s$ pour arriver à l'autre.
  • Perso je prends le $\int_\Gamma f\, ds$ comme une notation, c'est tout.
  • Ben, j'essaierai de m'infliger ça, du coup ! Merci christophe pour ton intervention.

    J'ai édité mon premier message pour poser la question "principale" de manière plus simple.
  • Tu t'en fais trop pour pas grand chose à mon avis.
    Une définition tout à fait correcte (pour les courbes $C^1$) est déjà dans ton message :
    \[\int_a^b f(\gamma(t)) ||\gamma'(t)||\text{d}t\]
    Pour le reste tu n'a qu'à prendre $\int_\Gamma f \text{d}s$ comme une notation. Si la courbe est $C^1$ par morceau on intègre par morceau. Dès que la courbe n'est pas $C^1$ par morceau, ou non rectifiable ou que la fonction $f$ est pathologique ça devient vite compliqué voir non défini (et pas forcément intéressant).

    Deux remarques tout de même :
    -Pour une fonction continue et une courbe $C^1$ par morceaux on peut aussi interpréter ces intégrales curvilignes par la mesure de Hausdorff unidimensionnelle. Ce n'est pas très utile mais c'est rassurant de voir qu'on retrouve les mêmes valeurs pour les intégrales.
    -Dans le cas d'une fonction holomorphe sur un ouvert simplement connexe on peut définir l'intégrale curviligne même sur des courbes non rectifiables à l'aide d'un primitive de la fonction.
  • Mais ...le ds est une authentique mesure positive concentree sur la courbe? Pourquoi tant d'etats d'ame?
  • L'application $s$, elle est définie par quoi exactement (tribu, formule) ? C'est ça la question.
  • Tu peux considérer que $s$ est la mesure image de $s_{\gamma}$ par $\gamma$, non ?
  • Le point important dans ce que rappelle alea etant que cela ne depend pas de la parametrisation: ds est un objet intrinseque, meme si la parametrisation est utile pour les calculs explicites.
  • Peut-être qu'Homo-Topi préférerait qu'on lui parle de la mesure de Hausdorff, comme le suggère Corto.
  • Dans ce que j'ai lu, rien ne définissait $s$ explicitement, mais la définition d'aléa (image de $s_{\gamma}$ par $\gamma$) me plaît. Je vais voir si ça colle, et si j'arrive à montrer que $s$ est en fait indépendante du paramétrage $\gamma$.

    Et je vais me renseigner sur la mesure de Hausdorff, aussi.

    Et sur l'intégration des formes différentielles, mais ça c'est pour un peu plus tard.
  • Peut-être commencer par revoir un cours sur les courbes de $\mathbb R^2$ et $\mathbb R^3$, les repères de Serret-Frenet et le paramétrage intrinsèque (le s !!).

    Cordialement.
  • Dans la plupart des cours, on introduit ça à la physicienne, et ça je n'en veux plus. Une intégrale, pour moi, maintenant, c'est l'intégrale d'une application mesurable définie sur un espace mesuré. Il me faut une tribu et une mesure par rapport à laquelle on va intégrer, c'est tout ce que je demande. Et dans les cours que j'ai eus, le "$\text{d}s$" n'a jamais été introduit comme provenant d'une mesure, sinon je n'aurais pas posé la question...
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