Ensemble mesurable de densité uniforme
Bonjour à tous
Pour s'occuper durant le confinement, je vous propose un problème.
Soit $\rho \in\,]0,1[$ et notons $\lambda$ la mesure de Lebesgue. Existe-t-il un ensemble $A\subset \Bbb R$ Lebesgue-mesurable qui a partout la densité locale $\rho$ dans le sens où : $\forall x \in \Bbb R,\ \dfrac{\lambda(A\cap [x-h,x+h])}{\lambda([x-h,x+h])} \xrightarrow[h\to 0^+]{} \rho$ ?
J'espère que ce n'est pas un problème déjà "connu".
Bon courage :-)
Pour s'occuper durant le confinement, je vous propose un problème.
Soit $\rho \in\,]0,1[$ et notons $\lambda$ la mesure de Lebesgue. Existe-t-il un ensemble $A\subset \Bbb R$ Lebesgue-mesurable qui a partout la densité locale $\rho$ dans le sens où : $\forall x \in \Bbb R,\ \dfrac{\lambda(A\cap [x-h,x+h])}{\lambda([x-h,x+h])} \xrightarrow[h\to 0^+]{} \rho$ ?
J'espère que ce n'est pas un problème déjà "connu".
Bon courage :-)
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Réponses
On suppose $A$ comme dans ton énoncé.
$\mathbb{1}_A$ est mesurable, soit $x \in A$.
On se restreint localement à $x$, en posant par exemple $A \cap [x -1 , x +1] $, qu'on persiste à noter $A$.
Posons $F(x) = \int_{-\infty}^{x} \mathbb{1}_A$.
On a donc par les hypothèses de ton énoncé :
$\lim\limits_{h \rightarrow 0}\dfrac{F(x+h) - F(x-h)}{2h} = \rho = F' (x)$
Comme $\mathbb{1}_A$ est $L^1$, par le théorème fondamental de l'analyse, la dérivée de $F$ est presque partout $\mathbb{1}_A$, c'est impossible quand $\rho \in\, ]0,1[$.
Néanmoins, regarder $F$ est une bonne idée.
Aussi j’y suis allé un peu fort en parlant du théorème fondamental de l’analyse, je pensais à ça. Mais c’est peut-être un peu de la triche d’invoquer ça ici (ou faux).
Je ne parle d’ailleurs que de dérivée égale presque partout !
Pour répondre à la question, je n'ai utilisé que des connaissances de L3, hormis le fait qu'une fonction croissante est dérivable p.p. (pour montrer que $F=\rho\,{\rm id}$), mais j'ai le sentiment qu'on peut se passer de ce dernier résultat.
La réponse est non, on peut s'en sortir sans utiliser le théorème de Lebesgue, juste avec la définition de la mesure de Lebesgue par les mesures extérieures. Comme $\lambda(A)=1/2$ il existe une réunion d'intervalles $I_1, \ldots, I_n$ tels que $\sum \lambda (I_i) < 3/4$ et $A\subset \cup I_i$. On a alors \[1/2 = \lambda(A)=\lambda(A \cap (\cup I_i)) \leq\sum \lambda(A\cap I_i) = \sum \lambda(I_i)/2 /8<1/2\] ce qui est absurde. La même méthode marche en remplaçant la condition $\lambda(A\cap I ) = \lambda(I)/2$ par
\[
\alpha \lambda(I) <\lambda(A\cap I ) < \lambda(I)\beta
\]
avec $0<\alpha<\beta<1$ des constantes.
Pas sûr qu'on puisse s'en sortir comme ça avec ta question Calli, en tout cas il faudrait plus travailler et quantifier proprement en $x$ et tout et tout.
J'en profite pour te poser aussi une question : Existe-t-il un ensemble mesurable $A\in [0;1]$ tel que pour tout intervalle ouvert (non vide) $I\subset [0;1]$ on ait
\[
0<\lambda(A\cap I)<\lambda(I) \text{ ?}
\]
(La réponse est connue, c'est un exercice du Rudin)
Je n'avais pas pensé à cette méthode. Au lieu de ça, j'avais fait quelque chose d'assez détourné – après m'être ramené au cas où $A\subset[0,1]$ et, pour tout intervalle $I\subset[0,1]$, $\lambda(A\cap I)=\rho \,\lambda(I)$. Si on pose $f := \frac1\rho \mathbf{1}_A + \frac1{1-\rho} \mathbf{1}_{A^c}$, alors $f$ est dans $L^2$ et orthogonale aux fonctions en escalier, donc orthogonale à $L^2$ tout entier par densité. D'où $f=0$ : absurde.
Il me semble que ta méthode est même généralisable à $\lambda(A\cap I) < \beta\, \lambda(I)$ pour tout intervalle ($\beta <1$) et $\lambda(A)>0$.
Edit : Ce qui suit contient des erreurs. Voir http://www.les-mathematiques.net/phorum/read.php?12,1960422,1961814#msg-1961814 pour une version corrigée.
À ta question, je réponds oui. Soient $(r_k)_{k\geqslant 1}$ une suite qui énumère $\Bbb Q\cap[0,1]$ et, pour tous $a<b$, $g_{]a,b[}$ l'application affine croissante qui envoie $]0,1[$ sur $]a,b[$. Soient pour tout $q>0$ : $$A^q_0 = \bigcup_{k\geqslant 1} \ \left] r_k,\, r_k +\frac1{(2+q)^k} \right[ \quad \text{puis} \quad A^q_{n+1} = \bigcup_{I \text{ composante connexe de l'ouvert }A^q_n} g_{I} ( A^{q/2}_0 ) \quad \text{et} \quad A^q = \bigcap_{n\in\Bbb N} A^q_n$$
Alors $\displaystyle \lambda(A^q_0) = \sum_{k\geqslant 1} \dfrac1{(2+q)^k} = \dfrac1{1+q}, \quad \lambda(A^q_{n+1}) = \dfrac{\lambda(A^{q/2}_0)}{\lambda(]0,1[)} \cdot \lambda(A^q_n) = \dfrac1{1+q/2} \lambda(A^q_n) \quad$ et $\quad A^q_{n+1} \subset A^q_n \quad$ donc : $$\lambda(A^q) = \prod_{n=0}^\infty \dfrac1{1+q/2^n} \in\,]0,1[$$ Le caractère fractal de $A^q$ (en particulier la densité de $\Bbb Q$) donne que $0<\lambda(A^q\cap I)<\lambda(I)$ pour tout intervalle $I\subset[0,1]$. De tête, ça ma l'air de marcher. Es-tu d'accord ?
Soit un intervalle $I \subset [0,1]$ de bornes $a<b$. Il existe une infinité de rationnels dans $\left]a, \frac{a+b}2 \right[$, donc il existe $r_k \in \left]a, \frac{a+b}2 \right[$ avec $(2+q)^{-k}<\frac{b-a}2$. Ainsi $J :=\, ] r_k,\, r_k +(2+q)^{-k} [\, \subset I$. Et comme $A^q \cap J = g_J(A^{q/2})$ (*), on a :
Edit : (*) C'est faux, il faut que je le corrige.
Edit 2 : J'y reviendrai plus tard. @Corto, est-ce que tu confirmes que la réponse à ta question est oui ?
La réponse est effectivement oui, ça existe.
Purple, Raoul : entre le théorème fondamental de l'analyse pour l'intégrale de Lebesgue et le théorème de différentiation de Lebesgue je ne suis pas sûr de savoir qui "triche" le plus ;-) Les deux résultats sont assez similaires et tous les deux assez puissants.
- $\int F\varphi' = -\int 1_A \varphi$ par théorème de Fubini,
- $\int F\varphi' = -\rho \int \varphi$ par IPP et convergence dominée.
Autrement dit $F' = 1_A = \rho 1_{\mathbb R}$ au sens des distributions. Ceci implique classiquement $1_A = \rho 1_{\mathbb R}$ presque partout par densité.Il y a deux erreurs handicapantes dans le raisonnement que j'ai écrit au-dessus : celle sur laquelle j'ai mis un astérisque, et le fait qu'on a que $\lambda(A^q_0) \leqslant \frac1{1+q}$ au lieu d'une égalité. Mon idée m'avait l'air de marcher au début, modulo l'écriture des détails, mais je n'en suis plus sûr. J'ai grisé tout ça ci-dessus.
En tout cas merci pour cet exercice qui n'est pas évident !
Je n'ai pas trop compris d'où vient $\int F\varphi' = -\rho \int \varphi$. Où est la convergence dominée et est-ce qu'on peut faire une IPP sur une fonction dévirable p.p. ?
Je n'utilise pas ce beau théorème de Lebesgue sur la dérivabilité des fonctions montones. Le théorème de convergence dominée permet de faire tendre $h \to 0$ dans la pseudo-IPP (ce sont en fait deux changements de variables) suivante :
$$
\int \frac{F(x+h)-F(x-h)}{2h}\varphi(x)\,dx = -\int F(y) \frac{\varphi(y+h)-\varphi(y-h)}{2h}\,dy
$$
La limite du terme de gauche est $\rho \int \varphi$ grâce à l'hypothèse.
Corto, j'ai peut-être réussi à corriger mes erreurs. J'écrirais ça demain et je verrais si ça marche bien comme je le pense.
Je vois l'idée. Ça n'est pas très éloigné de ce qu'a proposé Corto.
@Corto oui c'est de la grosse triche éhonté.
Mais non, c'est juste que moi et Purple au lieu de nous limiter à contempler les "puissants" théorème, on préfère les utiliser... (:P)
Comment ont-ils fait dans le Rudin ?
$\textbf{Construction des objets : }$ Soient $(r_k)_{k\geqslant 1}$ une suite qui énumère $\Bbb Q\cap[0,1]$ et, pour tous $a<b$, $g_{]a,b[}$ l'application affine croissante qui envoie $]0,1[$ sur $]a,b[$. Soient $q>0$ et $$B^q_0 = \,]0,1[\ \cap \left(\, \bigcup_{k=1}^\infty \ \left] r_k ,\, r_k +\frac1{(2+q)^k} \right[ \; \right).$$ On a $\displaystyle \lambda(B^q_0) \leqslant \sum_{k=1}^\infty \dfrac1{(2+q)^k} = \dfrac1{1+q}$. De plus, la fonction : $\displaystyle x\mapsto \lambda(B^q_0 \cup\,]0,x[) = \int_0^1 \max(\mathbf{1}_{B^q_0} , \mathbf{1}_{]0,x[}) \,{\rm d}\lambda $ est continue (l'intégrande est p.p. continue par rapport à $x$), donc d'après le TVI il existe $x\in [0,1[$ tel que $\lambda(B^q_0 \cup\,]0,x[) = \dfrac1{1+q}$. On pose $\fbox{$B^q = B^q_0 \cup\,]0,x[\, \setminus \{\frac12\}$}$.
Ensuite, on construit récursivement : $$A^q_0 = \,]0,1[\, \quad \text{puis} \quad A^q_{n+1} = \bigcup_{I \text{ composante connexe de l'ouvert }A^q_n} g_{I} ( B^{q/2^n}) \quad \text{et} \quad \fbox{$ A^q = \displaystyle \bigcap_{n\in\Bbb N} A^q_n$}.$$
$\textbf{Premiers faits : } \ A^q_n$ est ouvert$,\quad$ $A^q_{n+1} \subset A^q_n, \quad$ $\displaystyle \lambda(A^q_{n+1}) = \dfrac{\lambda(B^{q/2^n})}{\lambda(]0,1[)} \lambda(A^q_n) = \dfrac{\lambda(A^q_n)}{1+q/2^n} \quad {\rm et} \quad$ $\displaystyle \lambda(A^q) = \prod_{n=0}^\infty \dfrac1{1+q/2^n} \in\,]0,1[$.
$\textbf{Lemme : } \ \displaystyle \forall 0\leqslant m\leqslant n, \forall q>0, A^q_n = \bigcup_{J \text{ composante connexe de }A^q_m} g_{J} ( A^{q/2^m}_{n-m})$.
Preuve : par récurrence sur $n$.
&\underset{\text{HR}}{=}& \;\quad \bigcup_{I} \quad g_{I} ( B^{q/2^{n-1}}) \quad \quad \text{où } I \text{ est une cc de } \bigcup_{J \text{ cc de }A^q_m} g_{J} ( A^{q/2^m}_{n-1-m})\\
&=&\bigcup_{J \text{ cc de }A^q_m} \bigcup_{I \text{ cc de } g_{J} ( A^{q/2^m}_{n-1-m})} g_{I} ( B^{q/2^{n-1}}) \quad \quad \text{car } A^{q/2^m}_{n-1-m}\cap\{0,1\}=\varnothing \text{ donc les cc ne se collent pas intempestivement} \\
&=&\bigcup_{J \text{ cc de }A^q_m} \bigcup_{I \text{ cc de } A^{q/2^m}_{n-m-1}} g_{J} \circ g_{I} ( B^{q/2^{n-1}})\\
&=&\bigcup_{J \text{ cc de }A^q_m} g_{J}\left( \bigcup_{I \text{ cc de } A^{q/2^m}_{n-m-1}} g_{I} ( B^{q/2^m/2^{n-m-1}}) \right)\\
&=&\bigcup_{J \text{ cc de }A^q_m} g_{J}( A^{q/2^m}_{n-m})\\
\end{eqnarray*}$$
$\textbf{Corollaire : } \ \displaystyle \forall q>0, \forall m\in \Bbb N, A^q = \bigcup_{J \text{ cc de }A^q_m} g_{J} ( A^{q/2^m})$.
Preuve : Les $g_J$ sont bijectives, donc le passage à l'intersection est bon.
$\textbf{Conclusion : }$ Pour tout intervalle $I\subset[0,1]$, on a $0<\lambda(A^q\cap I)<\lambda(I)$.
Preuve : Soit un intervalle $I \subset [0,1]$ de bornes $a<b$. Par construction $\frac12 \not\in B^q$ donc, par récurrence immédiate, les composantes connexes de $A^q_n$ sont de longueur inférieure à $2^{-n}$. Et comme $B^q$ est dense dans $[0,1]$, une autre récurrence immédiate montre que $A^q_n$ est dense dans $[0,1]$.
Soient donc $n$ tel que $2^{-n} < \frac{b-a}3$, $x \in \,]\! \frac{2a+b}3, \frac{a+2b}3 \![\, \cap A^q_n$ et $J$ la composante connexe de $A^q_n$ qui contient $x$. On a $J \subset I$ et, d'après le corollaire, $A^q \cap J = g_J(A^{q/2^n})$. D'où :
Humm je ne suis pas sûr de comprendre ta démonstration Calli, notamment je ne vois pas d'où vient tout à la fin l'égalité
\[
\lambda(A\cap J) = \lambda(J) \lambda(A^{q/2^n}).
\]
Bon sinon il n'y a pas de correction des exercices dans le Rudin mais il y a un tout petit papier publié par Rudin sur la solution de cet exercice, la démonstration est à peu près la suivante.
Soit $(I_n)$ une énumération des intervalles ouverts à bords rationnels de $[0;1]$. On pose $A_0$ et $B_0$ deux cantors gras (compacts totalement discontinus de mesure strictement positive) disjoints et tous deux contenus dans $I_0$. On prend ensuite $A_1$ et $B_1$ deux cantors gras disjoints et tous deux contenus dans $I_1\backslash (A_0\cup B_0)$, ceci est possible car $A_0\cup B_0$ est un compact totalement discontinu. On recommence ainsi de suite, l'ensemble
\[
E_n= \left(\bigcup_{i=0}^n A_i\right)\cup \left(\bigcup_{i=0}^n B_i\right)
\]
est un compact totalement discontinu donc il existe un intervalle ouvert non vide dans $I_{n+1}\backslash E_n$ et on peut bien choisir deux Cantor gras disjoints $A_{n+1}$ et $B_{n+1}$ contenus dans $I_{n+1}\backslash E_n$. Les ensembles $A=\cup A_n$ et $B=\cup B_n$ sont tous deux solution de l'exercice, démontrons le (pour $A$).
Soit $I$ un intervalle ouvert non vide de $[0;1]$, il existe un entier $n$ tel que $I_n \subset I$. On a alors
\[
\lambda(A\cap I) \geq \lambda (A\cap I_n) \geq \lambda (A_n \cap I_n)\geq \lambda(A_n) >0
\]
car $A_n\subset I_n$ et de l'autre côté on a
\[
\lambda(A^c\cap I) \geq \lambda(B \cap I) \geq \lambda(B\cap I_n) \geq \lambda(B_n \cap I_n) \geq \lambda(B_n)>0
\]
car $B\subset A^c$ et $B_n\subset I_n$, ceci termine la démonstration.
Je dois avouer que la démonstration que j'avais personnellement trouvée n'était pas aussi élégante :-D
NB : Le corollaire ne dit rien d'autre que "$A^q$ est une fractale" (au sens large, elle n'est pas rigoureusement autosimilaire).
La démonstration de Rudin est efficace. Plus économe en encre que la mienne qui est presque totalement explicite (mais j'aime quand même bien le fait qu'on sache à quoi ressemble $A^q$). Je note que nos deux démonstrations utilisent un Cantor gras (je viens de découvrir l'expression) puisque $[0,1]\setminus B^q$ en est un.
Merci beaucoup pour ce bel exercice !
Il faut surtout remercier Rudin pour l'exercice ;-)