Formalisation de l'identification

Bonjour, je me posais la question suivante:

quand on construit $\mathbb{Z}$ à partir de $\mathbb{N}$, une technique usuelle consiste à prendre la relation d'équivalence sur $\mathbb{N}^{2}$ ($(a;b)\sim(c;d)\iff a+d=c+b$) puis d'écrire que $\mathbb{Z}=\mathbb{N}^{2}/\sim$.

Jusqu'ici, aucun problème, mais c'est alors que l'on dit "il y a isomorphisme entre $\mathbb{N}$ et le sous-ensemble de $\mathbb{Z}$ des positifs, donc on les identifie (il y a une copie qui se comporte bien), et ça permet de dire que $\mathbb{N}\subseteq\mathbb{Z}$".

Pourtant, à ce que je sache, pour deux ensembles $A$ et $B$, l'inclusion $A\subseteq B$ a une définition rigoureuse, et dans ce cas précis, même avec une identification, on a pas $\mathbb{N}\subseteq\mathbb{Z}$.

C'est pour cela que j'aimerais bien avoir une formalisation rigoureuse (dans le cadre de la théorie des ensembles) de cette notion d'identification. Par exemple, quand on dispose d'un anneau $A$, il est très pratique d'identifier $A$ au sous-ensemble de $A[X]$ des polynômes de degré inférieur ou égal à $0$. Et on peut le répéter avec $A[X][X]$, et etc. Il me semble donc bien difficile de se passer de cette histoire d'identification. Mais si on disposait d'une formalisation rigoureuse de cette notion, alors tout irait bien.

Vous remerciant par avance du temps que vous consacrerez à m'aider.

PS: j'ai un peu le même genre de problème avec le fait de dire que $A$ est un anneau, alors que c'est $(A;+;\times)$ qui l'est, $A$ est juste l'ensemble qui constitue l'anneau. Même si je conçois bien que c'est pour alléger la lecture, que c'est un abus de langage, je n'en reste pas moins frustré.

Réponses

  • Si on a une injection $\phi$ d'un ensemble $A$ dans un ensemble $B$, alors $\phi$ est une bijection entre $A$ et son image $\phi(A)$ (qui est bien un sous-ensemble de $B$). On identifie alors $A$ et $\phi(A)$ via cette bijection.
  • Pour $A[X]$ et $\mathbb{Z}$ c'est une tout autre affaire que pour $A$ au lieu de $(A,+,\times, 0,1)$.

    En effet le deuxième est, comme tu le remarques, un abus de langage pur et simple; ça permet uniquement d'alléger les textes et les notations, et c'est bien pratique quand il n'y a pas de confusions (la plupart du temps). Quand des confusions sont possibles, on essaie de bien faire attention; sinon on fait confiance au lecteur.

    Pour le premier ça peut être plus formel que juste l'abus (parler de $\mathbb{N}$ au lieu de $i(\mathbb{N})$). En effet, on définit $\mathbb{Z}$ comme on veut, tant que c'est isomorphe.
    Ainsi ce qu'on peut faire c'est faire ta construction, appeler ça $\tilde{\mathbb{Z}}$, mettre toutes les opérations qu'on veut dessus ($\times, +, <, 0,1$, l'exponentiation, etc.); vérifier que le plongement $i:\mathbb{N}\to \tilde{\mathbb{Z}}$ en est bien un ($i(x+y) = i(x)+i(y)$ etc.); et finalement définir $\mathbb{Z}$ comme $\tilde{\mathbb{Z}}\setminus i(\mathbb{N}) \cup \mathbb{N}$ avec les opérations induites, faisant ainsi en sorte que $\mathbb{Z}$ et $\tilde{\mathbb{Z}}$ sont isomorphes.
    Avec ça, on a effectivement $\mathbb{N}\subset \mathbb{Z}$, et "ça marche à chaque fois" (pareil pour $A\subset A[X]$, $\mathbb{Z}\subset \mathbb{Q}\subset \mathbb{R}\subset \mathbb{C}$, $A\subset Frac(A)$ pour un anneau intègre $A$, ...)

    Sauf que... le détail n'intéresse pas grand monde :-D c'est important de savoir que ça peut être fait, mais en soi comme dans notre affaire tout est isomorphe "canoniquement" (sous-entendu: les gens qui en parlent savent de quel isomorphisme on parle - c'est d'ailleurs pour ça que quand on a un isomorphisme "non canonique" (entendre : les gens qui en parlent ne le considèrent pas comme canonique) on ne fait pas d'identification) ça ne change pas grand chose au schmilblick et donc on ne le détaille pas.

    Une des idées importantes est aussi de s'autoriser à remplacer $A\subset B$ par $A\hookrightarrow B$: en général la notion intéressante est la deuxième plus que la première.
  • En réponse à Héhéhé
    Oui, je suis bien d'accord, mais dans ce cas là, ça ne permet toujours pas d'affirmer que $A\subseteq B$. Oui, on a bien $\phi(A)\subseteq B$, mais pas la même chose pour $A$.

    J'avais pensé à redéfinir une autre inclusion, disons "l'inclusion par identification", qui dirait que "$A$ est inclus par identification dans $B$ si et seulement si ($A$ est inclus dans $B$ ou il existe une bijection entre $A$ et un sous-ensemble de $B$)". Mais bon, dans ce cas là, $\mathbb{Z}$ s'identifie à $\mathbb{N}$ par bijection, et on se retrouve avec $\mathbb{Z}$ inclus strictement dans lui-même, car $\mathbb{N}$ l'est.
  • En réponse à Maxtimax

    Merci, c'est génial ! Je crois que ça me satisfait pleinement ! Je reviendrai ici si jamais cela me posait en réalité soucis. Merci beaucoup !
  • Je ne vois vraiment pas ce qui te gêne. Une fois qu'on a construit $\mathbb Z$ à partir de $\mathbb N$, on a une bijection $\phi$ entre $\mathbb N$ et une sous-partie stricte $\phi(\mathbb N)$ de $\mathbb Z$. On choisit alors de noter $\mathbb N$ à la place de $\phi(\mathbb N)$ (une sorte de "nouveau" $\mathbb N$) et on laisse tomber le "vieux" $\mathbb N$ de départ. Si on fait ça on a bien $\mathbb N \subset \mathbb Z$, où $\mathbb N$ est le "nouveau".
  • @Héhé : ta nouvelle réponse ne le.a gênera pas, simplement tu imagines que c'est gênant de demander "pourquoi on peut identifier ?" et de se voir répondre "bah on identifie" :-D
    (PS: perso je préfère changer le $\mathbb{Z}$ que le $\mathbb{N}$ car je préfère garder $\mathbb{N} = \omega$ etc.; pareil pour $A$ et $A[X]$ je préfère changer $A[X]$ parce que "qui nous autorise à changer $A$ ?"; mais c'est une question de goût)
  • Le truc c'est qu'il n'y a rien de plus profond derrière. On peut identifier parcequ'on a une bijection (canonique) qui nous permet d'identifier.
  • Oui je comprends bien qu'il n'y a rien de profond, mais je ne veux pas écrire $A\subseteq B$ quand ce n'est pas vrai. C'est juste ça. Et "laisser tomber un ensemble" quand on a donné une définition, je n'aime pas trop ça. Disons que j'ai mes tiques de rédaction haha.
  • Pour calculer dans le quotient $\Z/0\Z$, tu ne vas pas identifier un entier $n$ avec sa classe $\{n\}$ (modulo la relation d'équivalence définie par $n\sim n'$ si $n-n'$ est un multiple de $0$) ?
  • barbubabytoman écrivait : http://www.les-mathematiques.net/phorum/read.php?16,1666262,1666314#msg-1666314
    [Inutile de recopier l'avant dernier message. Un lien suffit. AD]
    Pourquoi pas rajouter un trait quelque part par exemple au-dessus de la lettre ou du chiffre ou du symbole identifié comme on le fait parfois dans Z/nZ pour désigner les classes ? Enfin je dis trait mais n’importe quel signe rapide à écrire quoi.
  • Ca va vite devenir l'enfer si tu ne t'autorises pas cette identification, que l'on fait partout et tout le temps en maths. Ne pas s'autoriser d'écrire $\mathbb N \subset \mathbb Z \subset \mathbb Q \subset \mathbb R \subset \mathbb C$ c'est vraiment se tirer une balle dans le pied.

    Pareil quand on fait de la théorie des corps, on passe son temps à dire $K$ est un sous-corps de $L$ si $K \subset L$, même si c'est à identification près. On a quand même envie d'écrire que $\mathbb F_p \subset \mathbb F_{p^n}$ même si stricto sensus ce n'est pas le cas !
  • @Héhéhé: mais avec "ma" méthode on peut faire en sorte que ce soit le cas ! (et pour les corps on a souvent intérêt à retenir le morphisme $K\to L$ précisément parce qu'en général il n'est pas unique; sauf évidemment lorsque $K$ est un corps premier; ou un corps rigide)
  • Avec la méthode de Maxtimax, plus aucun de ces problèmes ne se pose !
  • Certes ça marche, mais bon je reste persuadé que ça reste une attitude contre-productive de ne pas vouloir faire ces "abus" d'identification, au bout d'un moment si tous les mathématiciens du monde le font c'est qu'il y a bien une raison ! Je ne vois pas ce que ça apporte de faire cette distinction, surtout que dans ton cas tu en es parfaitement conscient.
  • Parce que j'aime l'exactitude. Je pense qu'on ne fait pas des maths pour les mêmes raisons, et de la même manière. Je suis du genre à être très frustré par les abus de notations. Disons que c'est pour mon confort personnel.

    Par contre, je ne vois pas en quoi le fait que tous les mathématiciens fassent l'abus de notation rende cette démarche contre productive. C'est à la fois un exercice intéressant, et ça apporte un petit plus de rigueur qui ne vient pas perturber les résultats: on ne perd rien à choisir cette méthode plutôt que l'identification.
  • Je ne suis pas le plus grand fan de l'identité $\mathbb N=\omega$. Y en a un, je l'utilise quand je fais de l'algèbre, l'autre quand je fais de la logique. Par conséquent, ils ne sont pas indiscernables, donc ne sont pas égaux d'après la règle de Leibniz.
    Fermons la parenthèse.
  • C'est une chose d'aimer l'exactitude, c'en est une autre de se demander plus de deux secondes si $\sin \in \pi$...
  • Si ça ne vous empêche pas de dormir, tant mieux pour vous.
  • Vu que ça n'a pas de sens (je n'ai pas précisé quelle définition de $\pi$ et de $\sin$ j'utilise), non, ça ne m'empêche pas de dormir. Si ça peut te rassurer cependant, je n'en dors pas bien pour autant.

    Il y a aussi des cas où ne pas identifier permet d'alléger les notations. Ainsi, si on sait que $n+1=n \cup \{n\}$, on peut écrire "soit $k \in n+1$"... tandis que si on a identifié des trucs avec des schmiblicks, on ne sait plus de quel $n+1$ on parle, et on se retrouve à devoir inventer une notation pas canonique pour $\{1, \dots, n\}$.
  • Je te mets au défi de rédiger des preuves d'analyse un peu longue qui mélange des entiers, des rationnels, des réels et des nombres complexes sans faire aucune identification sans devenir dingue.
  • Essayons alors avec un exemple de ton choix haha, mais bon, si tu parles de "preuve d'analyse un peu longue", je ne suis pas sûr d'avoir le niveau pour la comprendre.
  • C'est moins homogène d'avoir des entiers relatifs de la forme $(a,b)$ avec $a,b\in\N$ et $a<b$ et des entiers relatifs de la forme $c$ avec $c\in\N$. Esthétiquement, ça me déplaît énormément.

    Autre exemple : le corps des réels. C'est quoi « la bonne » définition ? Par les coupures de Dedekind ? par les décimaux ? par les suites de Cauchy ? Cette dernière est en vogue mais pourquoi serait-elle la seule ?

    Autre exemple du même genre : le corps des complexes. Est-ce que c'est $\R^2$ muni de ces opérations si étranges ? $\R[X]/(X^2+1)$ ? l'ensemble des « expressions » $a+b\mathrm{i}$ ? l'algèbre libre sur le corps des réels présentée par un générateur $i$ et une relation $i^2+1$ (ça revient presque au même que le précédent mais pas vraiment parce que $X$ n'est pas défini... il serait incongru d'identifier l'algèbre libre sur un générateur $\mathrm{i}$ et l'ensemble des suites presque nulle muni du produit etc., non ?) ? l'ensemble des matrices réelles de la forme $\left(\begin{smallmatrix}a&-b\\b&a\end{smallmatrix}\right)$ avec $a,b\in\R$ ? $\R[X]/(X^2+X+1)$ ? une autre réalisation ? Laquelle est «la vraie » ? Tu vois bien que c'est un débat impossible à trancher et d'ailleurs sans intérêt ! Ce qui compte, ce n'est l'ensemble proprement dit mais les propriétés qu'il a (une fois muni des applications et relations qui vont bien).

    C'est d'autant plus vrai pour des objets qui sont définis à isomorphisme unique près par une propriété universelle (l'algèbre des polynômes, les produits tensoriels ou les groupes libres par exemple). Il peut arriver que l'on ait plusieurs réalisations du même objet et là, il n'est vraiment pas possible de privilégier une réalisation parmi d'autres.

    Tu devrais lire quelques rudiments de théorie des modèles : tu verrais que la réalisation (le modèle) n'est pas si crucial que la théorie.
  • Il suffit d'écrire au début "on pose $N$ l'image de $\mathbb N$ dans $\mathbb C$ par $\iota$" et de remplacer ensuite partout $\mathbb N$ par $N$.
  • Hmmm, j'entends bien, mais il me semble préférer différentier tous ces objets plutôt que de dire qu'ils sont les mêmes, au risque d'écrire des égalités qui ne sont pas vraies. Oui, il y aura une part d'arbitraire dans le choix du "vrai $\mathbb{R}$", mais ça n'enlèvera pas le fait que l'isomorphisme existe bel et bien, et je ne manquerai pas de le dire.
  • Encore une fois : pour traiter $\Z/(0)$, tu ne vas pas identifier $n$ et $\{n\}$ ?
  • Je ne dirai pas que $n$ et $\{n\}$ seront égaux, puisque c'est faux.
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