Raisonnement par l'absurde

Bonjour à tous
Je suis plutôt analyste et mon niveau de connaissances en logique est faible (voir nul) mais en ce moment je me pose certaines questions basiques que je n'ai pas réussi à résoudre en lisant les quelques références que je connais.

Je crois que je n'ai pas compris le principe même de raisonnement par l'absurde. L'exemple auquel je pense est la preuve de "aucun ensemble n'est en bijection avec ses parties".

Supposons qu'il existe un ensemble $E$ et $f:E \rightarrow P(E)$ qui soit surjective. Alors on considère $A=\{x \in E\mid x \notin f(x)\}$ on choisit $x \in f^{-1}(A)$ alors $x \in A $ ssi $x \notin A$. Ce qui est contradictoire donc un tel ensemble muni d'une telle fonction n'existe pas. Jusqu'à il n'y a pas longtemps cette preuve ne me posait pas de problèmes.

Mais voilà j'ai cru comprendre qu'on ne pouvait pas montrer qu'un système d'axiomes n'était pas contradictoire. Donc cette preuve montre que l'existence d'un ensemble qui serait en bijection avec ses parties est contradictoire. Mais pour conclure qu'aucun ensemble n'est en bijection avec ses parties, il faut supposer que l'axiomatique n'est pas contradictoire non ?

D'autre part quelqu'un aurait une bonne référence qui reprenne l'axiomatique et les bases de la théorie des ensembles ? Car ce que j'ai lu sur la théorie des ensembles (essentiellement des cours) partait d'un peu plus haut : on ne définit pas ce qu'est un ensemble. J'aimerais en fait une référence qui explique comment on construit les ensembles de manière non-contradictoire (en évitant la contradiction de Russel).

Merci d'avoir lu,
Bien cordialement,
Jojo

Réponses

  • Je ne suis pas spécialiste non plus, mais voici quelques éléments de réponses :
    1) c'est une règle admise de raisonnement que si $A\rightarrow$ FAUX alors non$A$ est vrai (est démontré).
    2) on ne définit jamais ce qu'est un ensemble à part dans des modèles spéciaux, mais au sens des mathématiques "de tous les jours" on ne le définit pas. C'est un choix, de toute façon il faut bien partir de quelque part.
    3) pour définir formellement la théorie des ensemble, je crois que l'axiomatique la plus connue est Zermelo Fraenkel.
    4) on ne démontre cependant jamais que cette axiomatique est non contradictoire, car au contraire on peut démontrer qu'on ne peut pas le démontrer à l'intérieur de cette axiomatique (il s'agit de théorème de Gödel). Pour une preuve de cohérence d'une théorie 1, il faut toujours une théorie 2 qui soit "plus forte". Mais on est bien obligé de s'arrêter un jour.
    5)Il y a plein de livres de logique niveau licence. Ex : Les livres de Cori et Lascar que l'on peut trouver partout https://amzn.to/2RIeebL

    En espérant t'avoir été utile.
  • Bonjour.

    " j'ai crut comprendre qu'on ne pouvait pas montrer qu'un système d'axiomes n'était pas contradictoire" ? drôle d'idée !
    Si un système d'axiomes contient à la fois un axiome A et l'axiome non A, pas besoin de preuve pour dire qu'il est contradictoire.
    Tu veux peut-être évoquer les travaux de Gödel, qui ont montré que dans certains systèmes d'axiomes assez forts (*) on ne peut prouver que le système est non contradictoire. Ce qui est tout autre chose.

    Et tout ça n'a rien à voir avec la preuve souvent appelée "par l'absurde" comme la tienne, qui est de la forme "$A\Rightarrow \text{ faux}$" propriété qui est une définition possible de "non A" (pour les logiciens, la "preuve par l'absurde" est autre chose).

    Pour reprendre la théorie des ensembles à la base, les cours de Patrick Dehornoy sont très bien. Ouvrir cette page et aller à "Logique et théorie des ensembles".

    Cordialement.

    (*) par exemple qui permettent de développer l'arithmétique élémentaire
  • Les cours en ligne de Patrick Dehornoy sont devenus un (très bon) livre, enrichi de beaucoup de choses. Je le recommande pour découvrir cette belle théorie ;-)
  • Peu importe si la théorie des ensembles est contradictoire ou pas, tu as prouvé qu'il n'y a pas d'ensemble avec une surjection $E\to P(E)$. Après, il se peut qu'il y en ait un, auquel cas la théorie est contradictoire, mais ça ne changera pas que ta preuve n'en restera pas moins correcte.

    Je te donne un exemple : je me crée une nouvelle théorie débile qui est comme ZF mais avec en plus un axiome "il existe $E$ et une surjection $E\to P(E)$", je l'appelle $T$.
    Bon bah la preuve que tu as faite dans ZF marche dans $T$ aussi en particulier, un théorème de $T$ est le théorème que tu as donné. Un autre théorème de $T$ (un axiome, et donc un théorème) est "il existe $E$ et une surjection $E\to P(E)$". Bon. C'est absurde, et $T$ est contradictoire, mais ce n'est pas pour autant que tu n'as pas prouvé ton théorème auparavant, il reste prouvé dans $T$ !
  • De mon téléphone. Le raisonnement par l'absurde est l'axiome qui dit :

    Si si non X alors faux alors X.

    Attention ce n'est pas l'axiome qui dit :

    Si si X alors faux alors non X

    qui est un théorème intuitionniste.

    La logique classique est celle qui s'obtient en ajoutant le RPA à la logique intuitionniste.

    La logique intuitionniste est l'ensemble des énoncés qui , si tu les considères comme des noms d'ouverts d'espaces topologiques sont égaux à l'espace entier le implique étant défini par :

    X implique Y est le plus grand ouvert W tel X inter W inclus dans Y.

    De mon téléphone.
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
  • Soient $E$ un ensemble, $f$ une application de $E$ dans l'ensemble $P(E)$ des parties de $E$.
    Soit $\mathbf A$ l'énoncé que vous voudrez (comme $2=39$ ou encore l'énoncé de l'hypothèse de Riemann).
    Soit $U:= \left \{x \in E \mid \left ( x \in f(x)\right ) \Rightarrow \mathbf A\right \}$.

    S'il existe $m\in E$ tel que $f(m) = U$ alors $\mathbf A$.

    En effet supposons l'existence d'un tel $m$.
    Alors si $m \in f(m)=U$, on a aussi $(m \in f(m)) \Rightarrow\mathbf A$.
    Donc on a $\mathbf A$ (par modus ponens).

    Donc on en déduit que l'appartenance de $m$ à $f(m)$ entraîne $\mathbf A$.
    Autrement dit $(m \in f(m)) \Rightarrow\mathbf A$ (1).
    Donc (définition de $U$), $m \in U = f(m)$.
    Donc $\mathbf A$ par (1).
    Une fonction est un ensemble $f$ de couples tel que pour tous $x,y,z$, si $(x,y)\in f$ et $(x,z)\in f$ alors $y = z$.
  • Ok merci pour toutes vos réponses.

    En fait si j'ai compris vos réponses le raisonnement par l'absurde c'est un axiome, voir même la définition de non(A). Le résultat est donc démontré, maintenant on est pas à l'abri de tomber un jour sur un contre-exemple, alors le résultat sera vrai et faux donc l'axiomatique serait contradictoire, mais ça ne remet pas en cause la validité de la preuve.

    Merci Maxtimax exemple simple et éclairant!

    Christophec: Je ne vois pas bien la différence entre les deux axiomes que tu cites. J'ai l'impression qu'on a toujours $X=non(non(X))$ autrement dit ue $X \rightarrow non(X)$ est bijective et donc que les énoncés $[(non(X)\rightarrow FAUX) \rightarrow X]$ et $[(X \rightarrow FAUX) \rightarrow non(X)]$ sont les mêmes non?
    Cette idée de voir les énoncés comme des ouverts d'espaces topologiques me parlent beaucoup je vais approfondir ça.

    Donc l'existence d'un ensemble E et d'une surjection de E sur $P(E)$ implique la véracité de tous les énoncés.. Cette preuve est stylée merci Foys!
  • J'ai l'impression qu'on a toujours $X=\text{non}(\text{non}(X))$
    C'est que tu te places résolument en logique classique (et en plus tu écris "égal" pour "équivalent"). Ce n'est pas vrai en logique intuitionniste (celle qui n'admet pas le raisonnement par l'absurde).
    Puisque prendre les ouverts d'un espace topologique $X$ comme valeurs de vérité te parle :
    - La négation d'un ouvert $U$ de $X$ est l'intérieur de $X\setminus U$ (le plus grand ouvert d'intersection vide avec $U$).
    - $\text{non}(\text{non}(U))$ est donc l'interieur de l'adhérence de $U$. C'est plus grand que $U$, et pas égal à $U$ en général (prendre $U={]0,1[}\cup {]1,2[}$ dans $\mathbb R$).
  • J'étais sur mon téléphone, j'améliore un peu ce que j'ai dit et complète les bases. Je te redonne aussi l'exemple que j'ai donné 2305648 fois sur le forum et que foys a posté car, dans le doute, comme il utilise des abréviations de matheux du genre $u\in v=w$ et exploite une variable liée ("supposons qu'il existe $m$, alors blabla (m)"), je ne suis pas sûr que tu sois opérationnelle que ces raccourcis n'introduisent pas subrepticement de la puissance logique.

    Je simplifie pour que tu sois comblé dans ce que tu demandes, mais je ne sacrifie rien d'autre. En conséquence de quoi, il n'y aura que le signe $\to$ (implique) qui sera utilisé. J'utilise le paradigme hilbertien: il faut savoir que ce n'est pas le plus pratique, mais que c'est ce qui permet de te répondre complètement en quelques lignes. Il y a bien sûr des paradigmes plus confortables.

    1/ Une logique est un ensemble $X$ d'énoncés appelé "axiomes logiques".

    2/ Ses théorèmes sont les éléments qui se trouvent dans tous les ensembles $Y$ tels que $X\subset Y$ et $Y$ stable par modus ponens, c'est à dire $\forall u,v: [$ si $u\in Y$ et $(u\to v)\in Y$ alors $v\in Y ]$. Dans la suite, si besoin, je noterai cet ensemble $Th(X)$

    3/ Le théorème de complétude dit que toutes les logiques non triviales (trivial:=contenir tous les énoncés) sont incluses dans l'ensemble des théorèmes de la logique classique (appelés "tautologies").

    4/ il existe un $X$ très simple tel que $Th(X)=LogiqueClassique$, qui est l'ensemble contenant tous les énoncés d'une des formes suivantes:

    4.1/ $(u\to v)\to ((v\to w)\to (u\to w))$
    4.2/ $u\to (v\to u)$
    4.3/ $(u\to (u\to v))\to (u\to v)$
    4.4/ $(u\ ou \ v) \to (v\ ou \ u)$, où $(x\ ou\ y)$ est juste considéré comme une abréviation de $(x\to y)\to y$

    5/ si on retire 4.4 on obtient un ensemble d'axiomes $Z$ tel que $Th(Z)$ est appelé "LogiqueIntuitionniste"

    6/ L'expression "raisonnement par l'absurde" est en fait un argot populaire pour désigner le fait d'utiliser l'axiome 4.4. Il n'y a pas de raisonnement par l'absurde, il y a, quand on s'exprime correctement, un axiome du raisonnement par l'absurde.

    7/ Le fait de déclarer "j'ai raisonné par l'absurde" est légitimé par le fait qu'on a procédé comme suit:

    7.1/ on a supposé $A\to B$
    7.2/ On en a déduit $A$
    7.3/ On conclut en disant "donc $A$"

    8/ C'est permis par l'axiome 4.4 pour la raison suivante:
    supposons $(A\to B)\to A$ alors $(A\to B)\to ((A\to B)\to B)$, donc (4.3) $(A\to B)\to B$, donc (4.4) $(B\to A)\to A$, donc $A$ dès lors que $B$ a suffisamment de conséquences (en fait précisément dès lors qu'il entraine $A$)

    9/ Le "non": jusqu'ici je n'ai pas considéré "non" comme faisant partie du langage. Je te l'introduis "populairement" maintenant en prouvant le théorème suivant sans dire dans quel système d'axiomes on travaille. Il t'appartient de vérifier que tu as envie ou pas d'adhérer aux choses que je ne justifie pas dans le raisonnement. J'abrège par $\perp$ la phrase "tout est vraie".

    9.1/ Supposons que $A\to \perp$. Alors $non(\perp) \to (non(A))$, donc $non(A)$.

    9.2/ Réciproquement, supposons $non(A)$. Alors $(non(\perp))\to (non(A))$, donc $non(non(A)) \to non(non(\perp)$, donc $A\to \perp$.

    10/ Il n'est pas donc pas possible de faire autrement que d'avoir équivalence entre $non(A)$ et $(A\to \perp)$.

    11/ C'est pourquoi, il est devenu célèbre que l'axiome du raisonnement par l'absurde est juste le fait d'admettre que :

    $$ [non(non(A)) ] \to A$$

    12/ De même il est devenu célèbre que c'est aussi équivalent à admettre :

    $$ A \ ou \ non(A) $$

    qui s'appelle le tiers exclus.

    13/ Attention, il est très important de ne pas confondre :

    $$(13.1) : \ A\to (non(non(A))) $$

    qui est vrai dans toutes les logiques actuellement connues et est en fait complètement trivial; avec :

    $$(13.2) : \ [non(non(A)) ] \to A$$

    qui est l'axiome du raisonnement par l'absurde.

    14/ Je commente (13.1): $A\to (non(non(A))) $ est une abréviation, d'après 9, de :

    $$ A\to ((A\to B)\to B) $$

    qui n'est rien d'autre à l'ordre près que l'énoncé:
    si $(A\to B)$ alors $(A\to B)$

    dans le cas particulier où $B:=\perp$

    En effet, si tu écris tout avec des si alors, tu peux contempler:

    14.1/ si A alors si si A alors B alors B
    14.2/ si si A alors B alors si A alors B


    L'un exprime: si A et (si A alors B) alors B
    L'autre exprime si (si A alors B) et A alors B

    Sauf que l'autre est de la forme "si X alors X"

    15/ Je reviens sur l'info que te poste foys: avec $e:=\{x\mid (x\in x)\to P\}$ tu n'as rien d'autre qu'une phrase $Q$ telle que :

    $$ Q = (Q\to P)$$

    en l’occurrence la phrase $e\in e$.

    Du coup, tu as que $Q\to (Q\to P)$ donc $Q\to P$, donc $Q$.... Donc $P$

    Et il n'y a aucun besoin de RPA pour en arriver là.
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
  • Vraiment merci d'avoir pris le temps de m'écrire une réponse aussi détaillée Christophe. Je vais essayer d'intégrer un peu tout ça.
  • GBZM t'a aussi fait une réponse en annonçant que tu étais à l'aise avec le paradigme topologique, mais je n'ai pas l'impression que tu as signalé cette aisance. Et bien, je te conseille de l'acquérir, elle est assez jouissive.

    Par exemple, $A\to \perp$ dans le paradigme topologique, c'est $A\to \emptyset$, c'est à dire le plus grand ouvert disjoint de $A$, et c'est ça $non(A)$ et $non(non(A))$ c'est $(A\to \emptyset )\to \emptyset $, tu vois c'est rigolo.

    On peut "aller loin", par exemple, avec la topologie des parties cofinies de $E$ ($E$ n'étant pas fini), il n'y a pas grand monde qui soit des $X$ tel que $non(non(X))$ soit autre chose que l'espace entier, (ie le "vrai").

    Tu vois qu'affirmer $non(non(X)) \subset X$ c'est un truc d'une nature différente et énorme.

    Dans la vraie vie ça correspond, suite à une découverte de Griffith (ou Griffin, je ne me rappelle jamais, prénom Timothy) à un truc assez épatant:

    Pour t'emmener dans $A$ un chauffeur de Taxi exige le digicode qui permet de passer de $A$ à $B$. Question: comment aller dans $A$ sans avoir ce digicode? Réponse: donner un faux digicode au chauffeur (il ne peut le refuser qu'en t'emmenant dans $A$ et en le tapant sur la porte qui, de $A$ mène à $B$. Mais, tu t'en fous, tu lui dis, "c'est bon merci", vu que tu es arrivé dans $A$)

    A cause à ça, à chaque fois que le le programme sur machine, je l'appelle "fonction bluf" :-D ). Par exemple, en caml:
    [color=#0033FF]exception Stop
    let reserve = ref []
    let bluf x = begin reserve := [x] ; raise (Stop) end
    let rpa u = try u bluf with | Stop -> let [x] = (!reserve) in x[/color]
    
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
  • Je ne connaissais pas le "paradigme topologique", c'est très intéressant.
    Auriez-vous des références ? Merci!
  • C'est vrai que le paradime topologique est très intéressant et surtout je le trouve très intuitif!

    Donc si j'ai bien compris admettre l'axiome de RPA c'est déclaré que l'on travail avec des ouverts-fermés et pas avec des ouverts quelconques?
  • De mon téléphone: non c'est remplacer les ouverts par les "bons ouverts" (ceux qui sont intérieur de leur adhérence).

    Tu obtiens alors une algèbre de Boole et non plus seulement une algèbre de Heyting.

    Les algèbres de Heyting sont les modèles (ou si tu préfères la sémantique) pour l'intuitionisme.
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
  • D'un PC, ce sera plus joli que de mon téléphone.

    Un algèbre de Heyting est un ensemble ordonné (j'abrège parfois en disant un ordre) où tout ensemble fini a une borne sup et une borne inf et où pour tous $a,b$, il existe un plus grand élément $x$ tel que $inf(a,x)\leq b$, que l'on note $(a\to b)$

    Un algèbre de Boole est une algèbre de Heyting dans laquelle pour tout $x: non(non(x)) = x$, où $non(x):=(x\to InfDeToutLeMonde)$

    (Sauf erreur, je ne connais pas les choses par coeur, je les repense à chaque fois).

    Remarque de notation: $1:=inf(\emptyset)$ et $0:=sup(\emptyset)$ sont des notations "habituelles", je crois. Sur le forum, j'ai tenté de conditionner les gens à écrire $Tout$ à la place de $0$.

    Evidemment (par définition): $InfDeToutLeMonde=0$
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
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