Construction de $\mathbb{R}$ et AC

Il y a quelques temps, je découvrais (enfin) que l'un des énoncés équivalents à l'axiome du choix est "toute relation d'équivalence admet un système de représentants". Avant ça, j'étais un peu sceptique quand à AC, depuis que je sais ça, je l'accepte beaucoup plus facilement (je préfère toujours les preuves sans, cela dit, puisqu'elles sont plus constructives).

Une construction de $\mathbb{R}$, que j'aime bien, montre que l'ensemble $\mathcal{C}$ des suites rationnelles de Cauchy (avec un $\epsilon > 0$ rationnel dans la définition) est un anneau, et que les suites rationnelles qui convergent vers $0$ (toujours avec un $\epsilon > 0$ rationnel dans la définition) forment un idéal $\mathcal{I}$ de $\mathcal{C}$. Du coup, on pose $\mathbb{R} = \mathcal{C}/\mathcal{I}$ et on sait directement que $\mathbb{R}$ est un anneau commutatif unitaire si on connait un peu d'algèbre.

Un réel, c'est donc une classe d'équivalence dans ce quotient, et une suite rationnelle est un représentant de ce réel si elle "converge vers lui" (gros guillemets bien sûr). Je me posais la question si le fait que tout nombre réel est représenté par (au moins) une suite rationnelle est en fait dépendant de AC (et passé sous le tapis dans le document que j'utilise) ou si on peut le montrer à la main sans AC.

Réponses

  • Salut,
    Attention à la distinction entre : "tout nombre réel donné possède une suite de Cauchy qui le représente" et "il existe une famille $(a_x)_{x\in\Bbb R}$ telle que, pour tout $x\in\Bbb R$, $a_x$ est une suite de Cauchy qui représente $x$". Dans la première proposition, on ne trouve une suite de Cauchy que pour un réel donné, alors que dans la deuxième on trouve des suites pour tous les réels à la fois. On n'a besoin de AC que dans la deuxième affirmation. La première affirmation est tautologique dans la construction de $\Bbb R$ que tu donnes.
  • Dit autrement : tout nombre réel admet un représentant par construction. Mais l'existence d'un ensemble de représentants des réels est, elle, dépendante de AC. C'est ça ?
  • Tu confonds deux choses. Là où tu as besoin de AC c'est pour fabriquer ce qu'on appelle un ensemble transverse, ce que tu appelles toi un système de représentants. Je te donne un exemple simple : considérons la relation $E_0$ définie sur $\mathbb{R}$ par $x E_0 y \Leftrightarrow x-y \in \mathbb{Q}$. AC est nécessaire pour prouver l'existence d'un ensemble qui rencontre chaque classe d'équivalence en un point et un seul.

    En revanche, un réel est défini comme un ensemble de suites de Cauchy, donc il est représenté par $2^{\aleph_0}$ suites, et tu peux en choisir une comme tu le veux : c'est le principe du choix fini, qui est un théorème de ZFC. Il revient à ce qu'on appelle le TAC (Trivial Axiom of Choice) : "tout ensemble non vide a au moins un élément", qui lui-même est équivalent à la règle du tiers exclu (qui est fausse en intuitionnisme, mais vraie en logique du 1er ordre).
    D'ailleurs, si tu me donnes l'écriture décimale de $\sqrt{2}$ je te donne sans difficulté un représentant de la classe des suites des Cauchy qui convergent vers $\sqrt{2}$. Il me suffit d'écrire la suite des approximations à $10^{-n}$ près.

    A mon avis la question que tu te poses est la suivante : j'ai tous les réels sous les yeux, et je voudrais écrire une liste $L$ de suites de Cauchy telle que pour chaque réel $x$, il existe une suite élément de $L$ et une seule qui converge vers $x$. Alors là, oui, tu as besoin de AC.
  • Mon post était bien entendu destiné à Homo Topi.

    @Calli : tu aurais dû m'appeler, on aurait tiré à pile ou face pour savoir qui de nous deux répondait, lol
  • Il y a quand-même le développement binaire par défaut par exemple qui donne un représentant dans chaque classe d'équivalence, croissant qui plus est!
  • Homo Topi a écrit:
    Dit autrement : tout nombre réel admet un représentant par construction. Mais l'existence d'un ensemble de représentants des réels est, elle, dépendante de AC. C'est ça ?

    Yes !
  • En gros, ma question sous-jacente était de savoir de quoi on a besoin pour obtenir un système de représentants des nombres réels. Au cas où je me rendrais compte que le papier que j'utilise se sert de ce résultat sans le mentionner. Tant qu'on n'utilise que des représentants d'un nombre fini de réels, ce qui a l'air d'être le cas dans le papier, ça veut dire qu'on peut tout faire dans ZF sans AC.

    En gros, j'essaie de me réapprendre les maths depuis ZF, et j'essaie de faire le maximum possible sans l'axiome du choix. Pour après mettre en évidence les résultats qui en sont dépendants ou lui sont équivalents.
  • @HT:

    Ne confonds pas: (1)"pour tout réel $x$, il existe une suite de Cauchy $y$ telle que $y$ représente $x$ (autrement dit $y\in x$)

    avec

    (2) il existe une fonction $f$ dont le domaine est IR telle que "pour tout réel $x$, $f(x)$ est une suite de Cauchy qui représente $x$ (autrement dit $f(x)\in x$)

    Tu as (2)=>(1) qui est évident et

    (1) => (2) qui est une instance de AC.

    Cela dit, il n'y a pas besoin de AC pour prouver (2), mais c'est une autre affaire: ($u_n:=$ le plus petit (dans un bon ordre mis une fois pour toute sur $\Q$) rationnel $q$ tel que $dist(q,x)\leq 1/n$)
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
  • Christophe : tu es sûr que (2) se fait sans AC ? L'existence d'un bon ordre sur tout ensemble (Principe de Zermelo) est équivalente à AC, donc il faudrait construire un bon ordre sur $\mathbb{Q}$ sans utiliser Zermelo. Je n'ai jamais essayé, je ne sais pas si c'est possible ou non.
  • Il y a aussi la représentation par les surréels, où si un nombre réel $x$ n'est pas dyadique, il y a une sorte de coupure $(L,R)$ où $L,R$ sont des ensembles de dyadiques bien définis avec $L<x<R$. En prenant la suite qui indexe $L\cup R$ dans l'ordre de simplicité (du plus petit $k \in \mathbb{N}$ tel que les nombres s'écrivent $\frac{m}{2^k}$ pour $m \in \mathbb{Z}$ au plus grand), on obtient une suite de Cauchy qui converge vers $x$. C'est un peu la même chose que les développements binaires en fait.
  • Homo Topi, toute bijection $\Bbb Q\to\Bbb N$ fournit un bon ordre sur $\Bbb Q$.

    Il faut que je précise un peu ce que j'ai dit (en rapport avec ce qu'ont ajouté Palabra et Christophe) : si on veut montrer de façon naïve "il existe une famille $(a_x)_{x\in\Bbb R}$ telle que, pour tout $x\in\Bbb R$, $a_x$ est une suite de Cauchy qui représente $x$", on a besoin de AC. Mais si on est un peu plus malin, on trouve un moyen constructif d'associer à chaque $x$ une suite le représentant (cf. le premier message de Palabra) et on n'a alors plus besoin d’utiliser AC.
  • Comme le dit Calli (mais je le répète quand même) c'est une tautologie, puisqu'une classe d'équivalence est, par définition, la classe d'équivalence de quelqu'un. Plus précisément, avec tes notations : $p:\mathcal C\to \mathbb R$ est surjective par définition et pour tout $c\in \mathcal C, c\in p(c)$, par définition.

    (Martial : ici, on n'utilise pas "non vide $\implies$ il existe un élément", on utilise "il existe un élément $\implies$ il existe un élément", qui est une instance de $A\implies A$ :-D )
  • Bonjour,

    Comme l'indique Maxtimax, étant donné la projection canonique $p:\mathcal{C}\to\R$, la classe $p(c)$, pour $c\in\mathcal{C}$, est naturellement habitée, vu que $c\in{}p(c)$.

    Cependant, je ne comprends pas ce refus presque pathologique de AC (dans le système bourbakiste, il s'agit d'un théorème à part entière, au même titre que le théorème global du choix ; point de salut pour une mathématique constructiviste avec Bourbaki). Un jour, j'ai acheté le livre "Modules sur les anneaux commutatifs" de Diaz-Toca - Lombardi - Quitté. J'ai été vraiment globalement déçu. Le livre est mal engagé ; difficile de rédiger un ouvrage basé sur une mathématique constructiviste. Même constat avec Ageron, où j'attends encore le point de vue constructiviste. Mais tout cela n'est qu'un point de vue ; rien d'autre (et tout aussi biaisé que celui de ne pas vouloir tenir compte de AC).

    Cordialement,

    Titi
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • Je viens de dire que je ne rejette pas AC, j'essaie juste de ne m'en servir que quand c'est nécessaire parce que je préfère toujours une preuve constructive qu'une preuve non constructive. Quand ça ne marche pas, ça ne marche pas, évidemment.
  • @Christophe : bien vu, le coup du bon ordre sur $\mathbb{Q}$ !

    @HT : Tu as entièrement raison de faire ça ! Je suis un grand défenseur de AC, mais je suis pour que les gens disent quand ils l'utilisent ou pas. (Bon, évidemment, dans certains cas il faut le dire au début du papier, ou du livre).
    Rien ne m'énerve plus que les gens qui utilisent AC pour démontrer Cantor-Bernstein, ou qui utilisent l'axiome de l'ultrafiltre pour démontrer Tychonoff, et qui ensuite ne s'en servent que dans le cas d'un produit fini de compacts.

    @Max : oui, tu as raison, oeuf corse !
  • @HT : je t'avais bien lu. Cependant, sachant que (AC) entraîne (TE) [Cf. Ageron, page 21], comment peux-tu être certain que AC ne se cache pas derrière un raisonnement donné.

    Pour le point de vue constructif, voici une lecture qui propose, selon l'auteur, une construction de $\R$. Pour ma part, je ne la vois pas. Peut-être seras-tu en mesure de me l'expliquer.
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • Thierry : beh c'est la construction par suites de Cauchy, qui est celle qu'on fait même en logique classique :-S bon, là il rajoute le fait qu'elle soit "explicitement" de Cauchy, mais c'est exactement la même chose !

    Quant à "être certain que AC ne se cache pas derrière un raisonnement", la réponse est : regarde à chaque étape si tu utilises un résultat qui utilise AC. Pour ne pas faire d'erreur, je te répondrai : comment être certain que tu ne fais pas d'erreur, de manière générale ?

    Ce genre de questionnements mène à l'informatisation des preuves, et la plupart des gens qui font ça s'intéressent au constructivisme; puisqu'il est beaucoup plus proche de la manière dont l'informatique marche.
  • @Max : quand je dis "je la vois pas", je veux dire "je ne la discerne pas" (sous-entendu dans son intégralité). Je ne veux pas m'étendre sur le sujet informatique qui me laisse de glace (pour avoir été pendant longtemps un informaticien spécialisé dans l'analyse et la programmation).

    Là, dans le raisonnement lombardique, je ne discerne pas la conclusion.
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • Pour moi, AC en fait c'est une sorte de court-circuit utile à certains endroits, mais qui permet à des tas de trucs compliqués d'exister. Des bases d'EV de fonctions ("dimension indénombrable"), des parties non mesurables de $\mathbb{R}$, ces choses-là quoi. Mais on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, alors si on veut pouvoir court-circuiter quand ça nous arrange, il faut accepter d'avoir des objets compliqués (parfois incompréhensibles) dans notre beurre. Du coup, j'aime bien court-circuiter le moins possible, ça donne une "garantie" (limitée) que l'objet en question n'est pas compliqué.
  • @TP: attention, tu as 4 trucs:

    ZFI intuitionniste (que personne n'utilise mais peu importe)

    ZF (ZF classique)

    ZF + AC

    ZFI+AC

    Et ce que tu as est que: ZFI+AC = ZF+AC

    Mais en dehors de gens très spécialisés, quand on parle de ZF, on ne parle pas de ZFI. Si ta demande "est-ce que AC ne se cache pas quelque part?" en sous-entendant "je travaille dans ZFI", évidemment la réponse est oui.

    Mais le TE, conséquence de ZFI+AC est généralement (euphémisme) supposé par tout le monde. En particulier par HTopi.

    Dans ZFI, tu n'as rien qui ressemble aux maths usuelles, c'est une spécialité très spécifique (pléonasme) avec des ambitions très pointues de recherche. Ce n'est pas "une rigolade" d'étudiants de L3-M1 qui vont débarquer et jouer avec.

    Ce n'est pas du tout que c'est dur, c'est que ça mobilise des préoccupations qui ont fortement été élaguées par des preuves très précises et pas "L3-M1" où on ne précise jamais si on a utilisé TE ou pas. De plus ça nécessite une forte fixité en mémoire de ce que la logique intuitionniste. Un étudiant même archibrillant, même plus brillant que 3 fois la meilleure médaille Field de la planète (donc 2 fois meilleur que max :-D et 1.5 fois meilleur que foys :-D :-D ) ne pourra pas au ptit dej comme ça inventorier ce qu'il y a d'intuitionniste et ce qu'il provient de TE dans des preuves "de tous les jours", même très soigneusement rédigées (par exemple par chaurien).
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
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