Parties au sens intuitif (Krivine)

Bonjour tout le monde,

J'ai effectué un montage de deux extraits du livre "Théorie des ensembles" de Jean-Louis Krivine, joint à ce message, afin de contextualiser ma demande. En effet, j'ai beaucoup de mal à comprendre l'affirmation suivante : mais il peut exister des parties (au sens intuitif) de $A$ qui ne correspondent à aucun objet de l'univers, c'est-à-dire qui ne correspondent à aucune partie de $a$. (Dernière phrase du dernier paragraphe). Quelqu'un peut-il m'expliquer en m'offrant un exemple, si possible ? Peut-être est-ce évident.

Bien cordialement,

Thierry110240
Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).

Réponses

  • Bonjour,
    Je ne suis pas un as de la logique, mais je me lance quand même :)o. Par exemple, si le $\omega$ d'un certain modèle de ZF contient des entiers non standard, alors la collection des entiers standard de $\omega$ est une partie intuitive de $\omega$ (car tout entier standard est en particulier un entier), mais ce n'est pas un objet du modèle (par définition de $\omega$ : le plus petit ensemble qui contient $0$ et qui est clos par prise du successeur) et donc ce n'est pas non plus une partie de $\omega$ au sens du modèle.
  • Thierry, tu m'as coupé l'herbe sous le pied. J'allais en parler. Ce paragraphe de Krivine m'a fait passer des nuits blanches.Je n'y ai jamais rien compris....C'est sa dernière phrase qui pose problème!!!
  • Moi, j'ai compris ce paragraphe comme ça : soit $(U,R)$ un univers, i.e. un ensemble qui vérifie les axiomes de ZFC (où on interprète $\in$ par une relation binaire $R$ sur $U$).

    Soit une partie $A$ de $U$. C'est un "ensemble intuitif". On dit que cet ensemble intuitif est un ensemble-de-l'univers s'il existe $a \in U$ tel que pour tout $x \in U$, on a $x \in A$ si et seulement si $x R a$.

    Par exemple, les ordinaux de $U$ sont un ensemble intuitif : c'est l'ensemble des $\alpha \in U$ tels que patati patata. Par contre, il est bien connu que ce n'est pas un ensemble-de-l'univers, i.e. il n'existe aucun $a \in U$ tel que pour tout $\alpha \in U$ qui est un ordinal, $\alpha R a$.

    Ca ne répond pas exactement à ta question, mais ça te donne peut-être des pistes pour construire toi-même des contre-exemples ?
  • Ce qui m'inquiète, c'est que nous semblons avoir plusieurs interprétations de quelque chose qui devrait être rigoureux, unique, compréhensible de le même façon par tous.
    Jean-Louis.
  • Je pense que tous les problèmes qu'on a en théorie des ensembles viennent du fait qu'on ne sait pas très bien ce qu'on fabrique quand on "construit" $\mathscr P(A)$ à partir de $A$.

    Je développe demain.

    Sorry
  • ça m'intéresse parce que cet ensemble des parties m'a toujours mis mal à l'aise .....
  • Bon, alors voilà.
    Je reprends les notations de Georges.
    Soit $(U,R)$ un univers. Le fait que $(U,R)$ satisfait l'axiome des parties s'écrit
    $$\forall x \exists y \forall z [zRy \leftrightarrow \forall t (tRz \to tRx)].$$

    D'abord, dans le cas général il n'y a aucune raison pour que la relation binaire $R$ coïncide avec la relation d'appartenance au sens usuel. (Voir par exemple le modèle d'Ackermann, qui satisfait tous les axiomes de ZFC sauf l'infini, et dans lequel la relation $\in$ au sens du modèle est totalement artificielle).

    On peut pallier cet inconvénient en décrétant que le modèle $(U,R)$ est transitif, au sens où :
    1) $\forall x,y (xRy \land yRU) \to xRU$
    2) $R$ est la restriction à $U$ de la "vraie" relation d'appartenance, si tant est que cela ait un sens.
    Dans ce cas on travaille dans une théorie plus forte que ZFC, car la consistance de ZFC n'entraîne pas la consistance de ZFC + "Il existe un modèle transitif de ZFC".
    Mais l'avantage de cette convention est qu'un modèle transitif est nécessairement standard, donc le contre-exemple fourni par Calli ne marche plus.

    Sauf que cela ne règle pas le problème. En effet, prenons l'exemple $x = \omega$. On a tous une vision intuitive de ce qu'est l'ensemble des parties de $\omega$. Sauf que $U$, lui, n'a pas d'intuition, il raisonne mécaniquement.
    Puisqu'on a AC, le $\mathscr P(\omega)$ de $U$ a un cardinal, mettons $\aleph_{\alpha}$. Mais tout le monde sait bien que $\alpha$ est versatile, au sens où personne n'est capable de donner sa valeur.
    Dans la suite on identifie $\mathscr P (\omega)$ avec $2^{\omega}$, ou avec $\mathbb{R}$, ça revient au même.

    Exemple 1 : si $\alpha = 1$, i.e. si HC est vraie, "tout le monde" sait bien qu'on peut rajouter $\aleph_{71}$ réels si ça nous chante, donc $\aleph_{71}$ parties de $\omega$. Dans ce cas on a "forcé" $\aleph_{71}$ objets à devenir des fonctions de $\omega$ dans $2$ donc on a "grossi" le $\mathscr P(\omega)$ jusqu'à obtenir un nouvel univers $(U', \in)$ qui n'a lui non plus aucune raison de correspondre à la collection de tous les ensembles au sens intuitif.

    Exemple 2 : Si $\alpha = 94$, on peut collapser tous les cardinaux de $\aleph_2$ à $\aleph_{94}$ sur $\aleph_{1}$ en rajoutant un certain nombre de bijections. On obtient alors un univers $U''$ dont on aurait tendance à dire qu'il est plus étriqué que $U$. Là encore cette vision est fausse : $U''$ est plus gros que $U$, par exemple parce qu'il y a dans $U''$ une bijection entre $\aleph_8$ et $\aleph_{59}$, que $U$ ne "voit pas".

    Bon, je ne suis pas sûr que tout cela soit très clair...
  • Il est intéressant de noter que dans mon précédent post je suis précisément tombé dans le piège dont parle Jean-Louis : j'ai donné mon interprétation (à vrai dire plusieurs interprétations) de la phrase de Krivine, auxquelles il faut rajouter l'exemple de Calli, qui est à mon avis le plus facile à cerner.
    MAIS, comme le fait remarquer Jean-Louis, il n'y a toujours aucune interprétation "uniforme" de cette phrase mythique. Il y a peut-être à cela une explication simple, c'est qu'il existe des milliards de raisons pour lesquelles "il peut exister des parties (au sens intuitif) de $a$ qui ne correspondent à aucun objet de l'univers, c'est-à-dire qui ne correspondent à aucune partie de $a$".
  • Bonjour,

    Je remercie tous ceux qui ont tenté de répondre à mon interrogation, sans succès. Je rappelle tout de même que nous nous situons aux pages 10 et 11 du livre de JLK et que le lecteur n'est pas supposé connaître la théorie des modèles, mais seulement ce qui se trouve consigné dans la reproduction ci-dessous. Remarquons également que JLK procède de la même manière dans son livre "Théorie axiomatique des ensembles". Je ne rejette cependant pas l'idée selon laquelle JLK se place dans un modèle $\mathfrak{U}$ d'ensemble de base $\mathscr{U}$ ; dès la page 61, nous avons des précisions.

    Donc, pour l'instant l'univers $\mathscr{U}$ n'est ni plus ni moins qu'une collection d'objets que sont les ensembles. Cet univers est pourvu d'une [méta-]relation binaire notée $\in$ entre objets extraits de l'univers $\mathscr{U}$ (l'on ne dit pas "appartenant à $\mathscr{U}$" !)

    La collection $\mbox{On}$ des ordinaux peut être perçue au sens intuitif de $\mathscr{U}$ comme une partie (propre) de $\mathscr{U}$, sans pour autant être un objet de $\mathscr{U}$, vu que l'on montre facilement que $\mbox{On}$ n'est pas un ensemble.

    En revanche, chaque objet ou point $a$ [extrait] de $\mathscr{U}$ peut donner naissance à une partie $\mathscr{A}$ au sens intuitif de $\mathscr{U}$, laquelle est constituée des éléments de $a$ (c'est un peu comme si l'on avait fait un zoom sur $a$ au point de ne voir que ce qu'il y a à l'intérieur). $\mathscr{A}$ n'est pas un objet de $\mathscr{U}$. Maintenant, si $b$ est un objet de $\mathscr{U}$ inclus dans $a$, alors $\mathscr{B}$ associée à $b$ peut être perçue au sens intuitif de $\mathscr{U}$ comme étant incluse dans $\mathscr{A}$. Mais, pour la dernière phrase qui me pose problème, je ne parviens pas à la verbaliser, car je ne la comprends toujours pas. Je rappelle qu'à ce stade de l'exposé, $\mathscr{A}$ est toujours associée à $a$, objet de $\mathscr{U}$.110270
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
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    Thierry Poma a écrit:
    ceux qui ont tenté de répondre à mon interrogation, sans succès. Je rappelle tout de même que nous nous situons aux pages 10 et 11 du livre de JLK et que le lecteur n'est pas supposé connaître la théorie des modèles

    J'adore quand on me "rappelle" des choses que je ne savais pas. Bah oui, "tout de même", tout le monde a déjà lu Krivine. Bref, je ne suis pas fan de la formulation.[/small]

    Je tente autre chose (en espérant que ce ne sera pas trop bancal). Si on se place dans la théorie ZF + la négation de l'axiome du choix dénombrable, alors il existe des ensembles $(A_n)_{n\in\Bbb N}$ sans fonction de choix. Pourtant l'axiome du choix dénombrable est "intuitivement vrai" (formulation probablement maladroite, mais vous voyez ce que je veux dire, j'espère). Donc il existe une collection intuitive de couples de $\Bbb N\times \bigcup_{n\in\Bbb N}A_n$ qui vérifie la définition d'une fonction de choix. Mais cette partie intuitive de $\Bbb N\times \bigcup_{n\in\Bbb N}A_n$ n'est pas un ensemble, donc pas une partie ensembliste de $\Bbb N\times \bigcup_{n\in\Bbb N}A_n$.

    PS: Quelle est la différence entre modèle et univers ?
  • Thierry Poma a écrit:
    Donc, pour l'instant l'univers U n'est ni plus ni moins qu'une collection d'objets que sont les ensembles.

    Non, je crois que tu te trompes. $U$ est bien un ensemble, comme quand tu dis, en algèbre linéaire, qu'un espace vectoriel est un ensemble. Par contre, ensuite, à chaque fois qu'il parle d'ensemble, il faut comprendre "élément de $U$ en tant que tel" et non pas n'importe quel ensemble.

    En tout cas, je pense que tu ne perds rien à considérer que $U$ est un ensemble, et que $\in$ n'est pas la relation d'appartenance habituelle, mais une relation particulière.
  • @GA : C'est JLK qui précise bien que $\mathscr{U}$ est une collection, pas moi. Lire le document joint dans son intégralité.
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • Oui, j'ai lu. Mais tu sais bien que ça ne veut rien dire, "collection"... Tu vois bien qu'il dit que ça se présente comme la théorie des groupes, etc. Si on te dit "soit une collection munie d'une méta-loi de composition qui vérifie blablabla" tu vas t'empresser de comprendre "ensemble", à la place, non ? La remarque qu'il dit après, c'est à peu près équivalent au fait de dire "on n'appelle pas des éléments d'un groupe des groupes, sinon on sait plus de quoi on parle ; du coup, les éléments du groupes, on ne va pas les appeler groupes". En l'occurrence, comme il passe son temps à parler des éléments de $U$ et quasiment pas de $U$, il dit qu'il vaut mieux réserver le mot "ensemble" aux éléments de $U$ (mais en vrai, ce sont tous des ensembles, au sens intuitif).

    En tout cas, je te propose une interprétation qui me semble opérationnelle et qui, à mon avis, résout les doutes existentiels. En fait, je pense que si tu lis le livre comme je te suggère de le lire, mon interprétation ne devrait pas t'empêcher de (même plutôt t'aider à) suivre le début ; et si elle n'est pas bonne, viendra un jour où tu seras assez mûr pour en décider toi-même.
  • @Martial : dans ce message, l'axiome des parties doit se terminer par $t R x$ et pas $t R y$.

    @Calli : plusieurs réponses possibles à ta question. Quand on dit "modèle", c'est "modèle d'une théorie", c'est-à-dire d'un ensemble de formule. Ici on parle majoritairement de modèle de $\mathsf{ZF(C)}$ donc la donnée d'un ensemble (au sens naïf, ou pas...) $V$ et d'une relation binaire $\in$ telle que tous les axiomes de $\mathsf{ZF(C)}$, interprétés dans $(V, \in)$ sont vérifiés. La notion d'univers désigne parfois la classe propre de tous les ensembles, mais ceci n'a de sens que dans un modèle donné, donc ce serait le $V$ du modèle, et les deux notions coïncident plus ou moins. On lit parfois le terme "d'univers de Grothendieck", qui est un ensemble très gros $U$ (mais tout de même un ensemble, c'est-à-dire un élément du modèle ambiant dans lequel on travaille) tel que $(U, \in_{\mid U})$ soit un modèle de $\mathsf{ZF}$. On peut montrer que l'on ne peut pas démontrer l'existence de tels ensembles à partir de $\mathsf{ZF}$ (second théorème d'incomplétude de Gödel), et même (il me semble) qu'on ne peut démontrer la consistance de la théorie $\mathsf{ZF} + \text{"il existe un univers de Grothendieck"}$. C'est donc un véritable axiome supplémentaire, qui permet notamment de faire de la théorie des catégories sans trop de culpabilité vis-à-vis de la théorie des ensembles (la catégorie des groupes contenus dans $U$ étant bien un ensemble).
  • On n'a pas forcément besoin de parler de forcing, d'inaccessibles ou d'entiers non-standards pour comprendre la phrase de Krivine je pense. On peut faire beaucoup plus simple.

    Prenons comme $\mathscr{U}$ le graphe figurant au début du chapitre 1, visible sur la deuxième image donnée par Thierry POMA. Alors $a$ a pour élément $d, f$ et $e$. La partie "intuitive" de $a$ ayant pour élément $d$ et $f$ ne correspond à aucun élément de $\mathscr{U}$. Ce n'est pas plus compliqué que ça.

    Certes, $\mathscr{U}$ ne vérifie quasiment aucun des axiomes de Zermelo-Fraenkel. On a justement mis dans les axiomes plein de trucs qui permettent d'affirmer que telle ou telle partie "intuitive" et "simple" correspond à un élément de $\mathscr{U}$. C'est un peu l'objectif de ZF, au fond. Il faut donc, dans le cas où $\mathscr{U}$ est modèle de ZF, aller piocher dans des trucs plus complexes pour avoir des exemples de parties "intuitives" qui ne correspondent à aucun élément de $\mathscr{U}$.

    En espérant avoir un peu éclairé le débat.
  • @Mattar : je tiens à te remercier. C'était devant mes yeux. L'on y constate effectivement ce que tu affirmes et également que $c\in{}c$ ; ce qui veut dire que rien a priori n'interdit une telle réalisation dans $\mathscr{U}$. C'est seulement à partir de l'introduction de l'axiome de fondation (plus loin dans le livre) que les choses changent.

    Je vois maintenant le livre de J. L. Krivine d'une autre façon. C'est très beau ! Merci encore. (mis à jour le jeudi 1er oct. 2020 à 15h20).
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • @Poirot : merci, je viens de rectifier.
  • Merci Poirot. :-)
  • @Poirot : à un moment donné tu écris "il me semble".
    En fait il te semble bien : la consistance de ZF n'entraîne pas la consistance d'un univers de Grothendieck non trivial. C'est juste une modification de l'argument, toujours à base du second théorème d'incomplétude.
    Un univers de Grothendieck c'est soit le vide (bof), soit $V_{\omega}$ (re-bof), soit $V_{\kappa}$ avec $\kappa$ inaccessible (pas bof).
    L'axiome des univers de Grothendieck est : "tout ensemble est élément d'un univers de Grothendieck". En d'autres termes, il existe une classe propre d'inaccessibles.

    Mais les spécialistes comme Max te diront que pour faire des catégories sérieusement il suffit de 2 ou 3 inaccessibles. Ce n'est pas moi qui dirai le contraire, je n'y connais rien en catégories.
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