Être la donnée de

Bonjour,

On trouve beaucoup de textes mathématiques dans lesquels pour définir une notion, on utilise le vocable être la donnée de. Personnellement je n'aime pas car j'ai l'impression qu'au lieu de définir la chose de manière brute, on fait un pseudo saut conceptuel en définissant ledit objet dans une sorte de "brume indiscernable".

Jusqu'à récemment, je pensais que c'était systématiquement un abus de langage évident sans grande conséquence. Par exemple, lorsque qu'on dit qu'un groupe est la donnée d'un ensemble et d'une loi de composition interne vérifiant certaines propriétés, cela abrège en fait le fait qu'un groupe est un couple $(G,T)$ tel que $G$ soit un ensemble et $T$ une application de $G^2$ dans $G$ vérifiant certaines propriétés. Je pensais alors que les auteurs qui parlaient ainsi faisaient systématiquement du bullshit wording (terminologie personnelle) au lieu d'expliciter simplement ce qui est.

Mais deux choses sont venues bouleverser mes croyances :

1) Lorsqu'on définit une catégorie, tous les textes que j'ai lus procèdent de cette façon en disant qu'une catégorie est la données de... Ici, est-ce que comme les groupes, il y a moyen de "vraiment définir" ce qu'est une catégorie ? Car sauf erreur, on ne peut parler de couple, triplet, etc. car certains des "éléments" de ce uplet ne sont pas nécessairement des ensembles. Du coup, j'aurais tendance à dire qu'ici, cet abus de langage est légitime car en un sens, on a pas le choix. Mais ça me gène.

2) J'ai vu une vidéo d'Alain Prouté (impossible de remettre la main dessus, si quelqu'un a un lien je le remercie par avance) traitant de logique/informatique théorique et dans laquelle il explique la différence entre signifiant et signifié. A un moment, sauf erreur, et c'est là que je me suis dit "wtf", il dit que si on souhaite définir précisément le concept de suite réelle, il faut passer par le vocable "la donnée de". Pour moi il raconte n'importe quoi mais je passe peut-être à côté de quelque chose.

Qu'en pensez-vous ?

Réponses

  • On peut définir une catégorie comme étant un quintuplet $\mathcal{C}=(\text{Ob},\text{Hom},s,t,\circ)$, où $\text{Ob}$ est la classe des objets, $\text{Hom}$ la classe des flèches, $s,t:\text{Hom}\to\text{Ob}$ les applications sources et cibles (ou domaine et codomaine), et enfin $\circ:\text{Hom}\times\text{Hom}\to\text{Hom}$ l'opération de composition vérifiant les axiomes qui vont bien. J'ai parlé ici de classes, mais en se plaçant dans un bon cadre axiomatique (par exemple ZFC+axiome des univers), tout ce qu'on manipule sont des ensembles et donc il n'y a pas de souci à utiliser les opérations de base ensemblistes comme les couples, triplets, réunions, exponentiations, ...


    De mon point de vue, dire qu'un truc est la donnée de machins, c'est :

    - un abus d'écriture bien pratique vu comment c'est parfois très lourd de formaliser correctement certains objets mathématiques (par ex une application entre deux ensembles $E$ et $F$ est dans l'absolu un triplet $(E,F,G)$ avec $G\subset E\times F)$, mais on voit bien que personne n'a jamais écrit un tel triplet pour introduire une application).

    - un langage qui permet de travailler à isomorphisme près : en effet il y a souvent plusieurs manières de définir certains objets ; si je considère un monoide, je peux le définir comme un couple $(M,T)$ avec $G$ un ensemble et $T$ la loi interne associative unifère, ou bien par exemple comme une (petite) catégorie à un objet i.e un quintuplet comme je l'ai décrit plus haut vérifiant quelques conditions supplémentaires. Le tout est de se convaincre que ces constructions sont isomorphes, au sens où, après avoir défini les morphismes pour chacune de ces deux constructions (i.e les morphismes de monoides pour le premier et les foncteurs pour le second), on se convainc que les deux catégories obtenues sont isomorphes.
  • "La donnée de $A_1,...,A_d$ où $A_1$ est un machin, $A_2$ est un truc sur $A_1$, ... etc" signifie en fait: $B$ est un ensemble tel qu'il existe $A_1,...,A_d$ tels que $B=(A_1,...,A_d)$ et $P(A_1,...,A_d)$, avec:
    -$(x,y)$ abrégeant $\{\{x\},\{x,y\}\}$
    -$(u_1,...,u_n)$ abrégeant $((u_1,...,u_{n-1}),u_n)$ (et on récurre).
    $P(x_1,...,x_d)$ étant une formule du premier ordre exprimant le "$x_1$ est un machin, $x_2$ est un truc sur $x_1$, ... etc..." de ci-dessus.
    Une fonction est un ensemble $f$ de couples tel que pour tous $x,y,z$, si $(x,y)\in f$ et $(x,z)\in f$ alors $y = z$.
  • -Une suite est une fonction dont le domaine est $\N$.
    -une fonction de domaine $E$ est un ensemble $F$ tel que 1°) pour tout $x\in F$, il existe $y,z$ tels que $y\in E$ et $(y,z)=x$ (voir message précédent pour la signification de $(y,z)$) 2°) pour tous $a,b,c$, si $(a,b)\in F$ et $(a,c)\in F$ alors $b=c$. On note habituellement lorsque $a\in E$, $F(a)$ l'unique élément tel que $\left (a, F(a) \right ) \in F$.

    L'image de $F$ est l'ensemble des $x$ tels qu'il existe $t$ tel que $(t,x)\in F$.

    Une suite réelle est une suite d'image contenue dans $\R$.
    Une fonction est un ensemble $f$ de couples tel que pour tous $x,y,z$, si $(x,y)\in f$ et $(x,z)\in f$ alors $y = z$.
  • Bonjour topopot,

    Tu vois sans doute que ton allusion aux propos d'A. Prouté est trop vague. Tu es peut-être complètement passé à côté de ce qu'il voulait dire. Pour le savoir, il faudrait une référence précise.
  • @Topotop : bonjour. Voici la vidéo en question, environ à 26 minutes 28 secondes du début : une suite de nombres réels est [la donnée d'] une fonction de $\N$ dans $\R$. La notion de signifiant/signifié apparaît à environ 3 minutes 20 secondes du début.

    Ainsi un algorithme est-il un objet métamathématique et une fonction (ou application) un objet mathématique.
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • Dire "c'est la donnée de " permet de ne pas s'encombrer avec la manière dont on encode ces données. C'est peut-être un uplet (souvent le choix fait si on veut absolument en choisir un), mais ça peut être un uplet différent, l'important est qu'on puisse en retirer les mêmes choses.

    Donc c'est avoir un point de vue structuraliste ("ce qui est important c'est ce qu'on peut faire avec") plutôt que matérialiste ("ce que c'est, vraiment") sur les objets en question - ce qui est plus en accord avec la pratique mathématique
  • Je n'ai lu que le premier post, mais c'est effectivement un abus de langage "poétique" pour dire:

    "on suppose que ... blabla"

    à la place de

    "Etant donnés ... tels que blabla"

    Quand c'est utilisé pour une définition, les gens écrivent :

    "un groupe (ou une catégorie ou n'importe quoi d'autre) est la donnée de Y tel que" par abus de langage pour dire :

    " Y est une groupe (resp une catégorie ou n'importe quoi d'autre) " sera dorénavant une abréviation de "blabla"

    Rien de pluss, t'inquiète.
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
  • Merci pour vos retours.

    @GaBuZoMeu : la référence est la vidéo citée par Thierry Poma (merci à lui).

    J'aime bien le vocabulaire "structuraliste" / "matérialiste" de Maxtimax qui fait bien ressentir la chose.
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