Objets mathématiques

Bonjour,

L'institut Henri Poincaré (IHP) présente les modèles mathématiques de sa bibliothèque à travers un ouvrage collectif: Objets mathématiques-CNRS éditions.
Leurs auteurs reviennent sur un aspect souvent négligé de l'Histoire des mathématiques: la fabrication d'objets géométriques.
La collection de l'IHP commence dans les années 1870 avec la création du cabinet mathématique de la Sorbonne sous la direction de Gaston Darboux. Au même moment, à l'école Polytechnique de Zürich, à l'université de Göttingen, des géomètres comme Felix Klein, Julius Plücker ou Alfred Clebsch font fabriquer ou fabriquent eux-mêmes des modèles, machines ou dessins illustrant la géométrie. Felix Klein verra en eux des éléments de sa «géométrie intuitive» qu'il oppose à ce qu'il appelle «l'influence desséchante de la géométrie analytique».

$\bullet$ En plâtre, bois, gypse, ivoire, papier, carton, fils de fer, verre soufflé, nylon, métal: ils auraient leurs places dans un cabinet de curiosités entre des coraux ou une planche anatomique. Dans l'enseignement, les objets mathématiques répondaient à la nécessité de voir et de toucher les constructions de l'esprit. Ils étaient censés susciter l'intérêt des étudiants pour la géométrie et servir de support à son enseignement en mettant en évidence certaines propriétés.
Le principe a toujours été de solliciter les sens pour faciliter la compréhension. Par-delà la multiplicité des points de vue, le savoir mathématique a besoin de s’incarner.

$\bullet$ La géométrie descriptive est née des techniques graphiques utilisées dans le domaine des Beaux-Arts à la fin du $\textrm{XVIII}^e$ siècle.
Avec son élève Théodore Olivier, Gaspar Monge codifie un savoir-faire et des techniques dont certaines remontent à la maçonnerie du Moyen-Age.
A la fin du $\textrm{XIX}^e$ siècle, Joseph Caron, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, développe la géométrie descriptive et sous l'impulsion de Gaston Darboux, se lance dans la fabrication d'objets mathématiques dont beaucoup figurent dans la collection de L'Institut.
Henri Lebesgue fut l'élève de Caron: « C'était en 1897, j'étais alors élève de troisième année à l'Ecole Normale et notre chef de travaux graphiques, Joseph Caron, (…) nous avait proposé une épure fort difficile. Il s'agissait de l'intersection de deux tores placés de telle manière que, pour trouver un point quelconque de l'intersection, on utilisait les sections de ces surfaces par certaines sphères bitangentes à chacune d'elles »(voir figure 2).

$\bullet$ Une compréhension plus fine de la représentation des objets dans l'espace permet d'exploiter pleinement « les méthodes empiriques utilisées par les charpentiers, architectes, tailleurs de pierre et artistes ». En retour, ces modèles sont utilisés pour le dessin industriel ou architectural.
Les mathématiques appliquées gagnant du terrain, leur production se fait à l'échelle commerciale pour s'étendre même jusqu'à l'artisanat et le monde ouvrier.
En lien avec les universités, des maisons d'édition fabriquent des « modèles cinématiques pour la théorie des engrenages, pour la représentation des lignes de force électrique ou la construction navale.»

$\bullet$ Les productions de formes géométriques et l'Histoire de l'Art ont évolué parallèlement. Dans la gravure Melancholia de Dürer figure un rhomboïde tronqué, une sphère, un compas, un carré magique.
Le photographe Man Ray qui visita l'Institut Poincaré en 1934 s'appropriera certaines de ces sculptures qui dormaient dans des vitrines poussiéreuses et les restituera sous un angle Surréaliste. Dans les années 1930, les collections de l'IHP inspireront également les constructivistes Russes.

Soumis à l'usure du temps, ses objets font la jonction entre le monde des idées et la réalité ordinaire.
Les artistes actuels continuent de valoriser ces formes. A travers leurs oeuvres ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent: Y a-t-il une vérité absolue ? Une vérité peut-elle exister en dehors de toute perception matérielle ?
Les premiers Chrétiens se demandaient déjà comment imiter dans sa conduite un Esprit qui n’a pas d’action sensible...

$\bullet$ Enfin, les nouveaux outils sont les logiciels de visualisation et l'impression 3D. Aujourd'hui, on peut manipuler des surfaces virtuelles, explorer l'intérieur de sculptures, créer ou recréer en temps réel des surfaces algébriques. On saisit à la souris ou au clavier une équation comme celle de la sphère: $\displaystyle x^2+y^2+z^2-r^2=0$. Le logiciel calcul instantanément les points de coordonnées $x,y,z$ qui la vérifient et les montre « dans une sphère invisible qui supprime tous les points en dehors de l'écran ».
Il est possible ensuite de modifier les coefficients en $x, y$ ou $z$, leurs exposants ou la valeur $r$ du rayon. Cela permet de constater par exemple la sensibilité des singularités de surfaces algébriques à de petites modifications de l'équation. Des centaines de milliers de surfaces ont ainsi été visualisées comme la cubique de Cayley ou la quartique de Kummer.


$\textbf{Quelques références}$

$[1]$ Objets mathématiques-Ouvrage collectif-Préface de Cédric Villani et Jean-Phillipe Uzan-CNRS éditions.

$[2]$ Stringham W.I.
Figures quadridimensionnelles, 1880.

$[3]$ Alicia Boole Stott, la troisième des cinq filles du logicien George Boole.
« Série de polytopes réguliers et leurs sections centrales », 1894.
Collection de l’université de Cambridge.

$[4]$ Naoum Gabo, sculpteur.
« Construction Bijenkorf », 1957, Rotterdam. Sculpture monumentale en surface développable.
« Construction linéaire dans l’espace n°2 », 1949/1972. Surface cubique réglée.

$[5]$ Antoine Pevsner, peintre et sculpteur.
« Lignes tangentes », 1935/1936. Surface réglée engendrée par des génératrices tangentes à une courbe gauche. Elle a été définie par Gaspard Monge en 1771.
« Construction dans l’oeuf », 1948.

$[6]$ Ana Rewakowicz, plasticienne.
« Research into porous sails », 2015. Sculpture en fils de tissus tractés formant une surface réglée.
« Conversation bubble », Odda, Norvège, 2008.

$\textbf{Illustrations}$

Figure 1: cubique à 27 droites-modèle de Clebsch d'équation

\begin{equation}
\displaystyle x^3+y^3+z^3+t^3=(x+y+z+t)^3
\end{equation}

Modèle en plâtre présenté à Göttingen en 1872.
Collection Brill-Schilling.

Figure 2: épure du volume commun à deux tores avec la ligne de terre $yy'$.
Joseph Caron-Ecole Normale Supérieure, 1897.

Figure 3: les huit cercles tangents à trois cercles sur la sphère.
Joseph Caron-modèle en carton, 1912.
Collection de l'IHP.

Figure 4: deux modèles de Caron d'après une photographie de Man Ray de 1935.
Collection de l'IHP.

Figure 5: surface réglée engendrée par les droites joignant des points de spirales.
Collection de l'IHP.

Figure 6: interface utilisateur d'un logiciel de visualisation.

Toutes les figures sont issues de l'ouvrage "Objets mathématiques".



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Réponses

  • bonsoir

    bravo et merci pour ces "objets mathématiques" exposés dans les locaux de l'Institut Henri Poincaré

    en géométrie de l'espace $R^3$ il est fort utile de visualiser les solides, surfaces et courbes
    que l'ordinateur ne restituera qu'en perpective cavalière

    Archimède lui-même utilisait ces objets mathématiques pour vérifier empiriquement
    les mesures des surfaces latérales et volumes des solides (cônes, cylindres, sphères)
    mesures qu'il avait calculées auparavant avec les paramètres de ces solides
    et le nombre $\pi$ qu'il avait introduit lui-même en mathématique

    les Romains de l'Antiquité qui étaient fort peu attirés par les études mathématiques
    après Archimède ont eux-mêmes confectionné des solides dont le volume était préalablement calibré
    en particulier les jarres pour le transport de l'eau, des huiles et des salaisons

    la géométrie analytique, dénoncée par Félix Klein pour "son influence desséchante"
    n'est apparue qu'à la fin du XVIème siècle
    elle est bien-sûr indispensable aux physiciens, aux astrophysiciens comme aux mathématiciens

    en fait pendant deux millénaires cette géométrie est restée le plus souvent, empirique et artisanale tout en étant très précise
    après tout les architectes, les ingénieurs, charpentiers du Moyen Age européen
    avaient l'esprit géométrique très éveillé tout en négligeant les calculs mathématiques
    c'était le cas "des bâtisseurs des cathédrales" célébrés par Anne Sylvestre dans une de ses belles chansons

    les monuments de notre patrimoine peuvent être considérés comme l'excellence des objets géométriques
    à Lyon le Musée des confluences situé au bout de la Presqu'île du confluent de la Saône avec le Rhône
    est l'objet géométrique dernier cri, celui qui surprend par son audace architecturale
    mais qui inquiète les Lyonnais sceptiques sur sa capacité à résister aux tempêtes un peu violentes !

    cordialement
  • Vue du Musée des confluences de Lyon évoqué par jean lismonde :
    muse-confluences-frquentation-actu13.jpg
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