Riemann et ses zéros

Bonjour

Quelqu'un peut-il m'expliquer comment Riemann s'y est pris concrètement pour calculer à la main les 3 premiers zéros de zéta.

Ce qu'en dit wiki et rien c'est pareil ....

Réponses

  • Il a utilisé ce que l'on appelle aujourd'hui la formule de Riemann-Siegel, appliquée à ce que l'on appelle aujourd'hui la fonction $Z$ de Hardy.

    Tu veux des détails ?
  • j'aimerais bien en effet des détails
  • Je ne suis pas expert de la question, noix de totos apportera certainement beaucoup plus de détails, mais je t'explique ce que je comprends de l'utilisation de la formule de Riemann-Siegel pour calculer des zéros de la fonction $\zeta$. Pour la petite histoire, c'est Siegel qui est tombé par hasard sur cette fameuse formule dans de vieux papiers de Riemann (presque 80 ans les séparent) et en a tout de suite compris l'utilité.

    Tout d'abord, la fonction $Z$ de Hardy dont parle noix de totos est définie par $$Z(t) = e^{i \theta(t)} \zeta\left(\frac{1}{2} + it\right),$$ où $\theta(t)$ est une expression provenant de l'équation fonctionnelle de la fonction $\zeta$ que je n'ai pas besoin de te détailler ici. Tout ce qui compte c'est que cette fonction $Z$ est à valeurs réelles, et qu'elle s'annule précisément en les parties imaginaires des zéros de la fonction $\zeta$ sur la droite critique.

    Trouver des zéros d'une telle fonction est facile : si on calcule $Z(t_1) < 0$ et $Z(t_2) > 0$, alors d'après le théorème des valeurs intermédiaires, il y a un zéro entre $t_1$ et $t_2$, et on procède par dichotomie pour trouver des approximations aussi bonnes que l'on veut. Encore faut-il être capable de calculer les valeurs de la fonction $Z$ avec suffisamment de précision, et c'est exactement ce que permet de faire la formule de Riemann-Siegel, qui donne une approximation de $Z(t)$, avec estimation du terme d'erreur.

    Pour info, c'est à peu de choses près comme ça que l'on vérifie que l'hypothèse de Riemann est vraie pour les parties imaginaires jusqu'à une borne donnée $T$ : on calcule le nombre de changements de signe de la fonction $Z$ pour $0 \leq t \leq T$, et on applique le principe de l'argument pour connaître le nombre de zéros de la fonction $\zeta$ dans un rectangle de la forme $0 \leq \mathfrak{Re}(s) \leq 1, 0 \leq \mathfrak{Im}(s) \leq T$, et on constate que ces deux nombres coïncident !
  • Poirot a quasiment tout dit. J'ajouterais simplement une version de la formule de Riemann-Siegel sous forme consise, et avec les notations du message de Poirot :
    $$Z(t) = 2 \sum_{n=1}^N \frac{\cos \left( \theta(t) - t \log n \right)}{\sqrt n} + O \left( t^{-1/4} \right),
    $$ où $N : = \sqrt{\dfrac{|t|}{2 \pi}}$.

    Elle améliore la formule d'Euler-Maclaurin pour l'obtention de valeurs approchées de $\zeta$. Des énoncés plus précis existent et fournissent, comme le souligne Poirot, une aide à la vérification expérimentale de l'hypothèse de Riemann. Le meilleur résultat actuel en ce sens est dû à Trudgian & Platt qui ont vérifié que les tous zéros non triviaux $\beta$ de $\zeta$ sont tels que $\beta = \frac{1}{2} + i \gamma$ avec $0 < \gamma \leqslant 3 \times 10^{12}$.
  • Bonsoir, la méthode est expliquée dans Titchmarsh: The theory of the Riemann Zeta Function (Oxford) à partir de la page 388.
    A demon  wind propelled me east of the sun
  • Tiens à ce propos.
    Existe-t-il une preuve élémentaire (c'est-à-dire sans recours à l'analyse complexe) du fait démontré par Hardy qu'il y a une infinité de zéros de $\zeta$ sur la droite critique ?
  • Ça m'étonnerait très fortement.
  • Je "connais" une autre preuve du résultat de Hardy mais cette preuve utilise aussi de l'analyse complexe: On Epstein's zeta function de MF Deuring (1937)
  • À Gilles Benson : Titchmarsh indique effectivement un moyen d'effectuer ces calculs (j'ai donné cette référence à Noradan en mail privé la semaine dernière), mais il utilise une version simplifiée de la formule de Riemann-Siegel.

    À Fin de Partie : il y a "analyse complexe" et "analyse complexe". En général, on parle de "preuve non élémentaire" dès que l'on utilise de gros outils d'analyse complexe. Il existe plusieurs démonstrations du résultat de Hardy, dont l'une se sert du lemme suivant, dû à Fejér :

    Soit $a > 0$ et $n \in \mathbb{Z}_{\geqslant 1}$. Le nombre de changements de signes dans $\left] 0, a \right[$ d'une fonction continue $f$ est au moins égal au nombre de changements de signes dans la suite
    $$f(0), \ \int_0^a f(t) \, \textrm{d}t, \ \int_0^a tf(t) \, \textrm{d}t, \dotsc, \int_0^a t^n f(t) \, \textrm{d}t.$$

    Certes, ce lemme est utilisé avec une fonction à valeurs complexes, mais l'usage du $i$ s'arrête là : on peut donc considérer cette preuve comme "quasi-élémentaire".

    Voir ce livre Theorem 3.36 page 138.
  • Merci pour tout
    mais ça soulève d'autres questions

    Riemann a priori n'en savait rien que ses zéros étaient sur la droite critique. J'imagine donc que s'il a osé conjecturer la chose c'est qu'il n'a pas trouvé de zéros ailleurs au moins dans le rectangle [0,1] x [0,26] (puisque le 3e est à 25,0) ; donc qu'il les a cherchés sans savoir qu'il n'en obtiendrais que sur la droite.

    de surcroît la série que je connais ($1/n^s-1/(1-s)\: (1/ (n+1)^{s-1}-1/n^{s-1})$ converge affreusement lentement (en $\sqrt(N)$) et donc même pour une décimale ça nécessite 100 termes. Ce qui me parait irréaliste pour les moyen dont il disposait.
    J'en déduit donc qu'il a procédé avec des expressions bien plus efficaces

    Je vais tâcher de trouver Tichmarsh
  • Les expressions bien plus efficaces c'est précisément la formule de Riemann-Siegel dont on parlait au-dessus. Riemann avait aussi démontré le théorème des nombres premiers en supposant sa conjecture, ce qui lui donnait une motivation supplémentaire. Aujourd'hui on sait bien sûr qu'on a besoin de beaucoup moins (essentiellement, la non-annulation sur la droite $\mathfrak{Re}(s)=1$).
  • On peut ajouter à ce fil que la recherche explicite des zéros non triviaux sur la droite critique n'a pas pour unique but la recherche d'un éventuel zéro qui n'y serait pas.

    En effet, il n'est pas rare aujourd'hui de travailler non pas directement avec l'hypothèse "RH" elle-même, mais avec une hypothèse moins forte de la forme "RH$(H_0)$" qui signifie :

    "tous les zéros $\rho$ non triviaux de $\zeta$ tels que $\textrm{Im} \, (\rho) \leqslant H_0$ sont sur la droite critique".

    On sait aujourd'hui que RH$(3,0610046 \times 10^{10})$ est vraie, avec un nombre de zéros égal à $103 \, 800 \, 788 \, 359$.

    À titre d'exemple d'application, en théorie explicite des nombres, une branche en plein essor actuellement, il est connu que, plus l'on a localisé des zéros non triviaux de $\zeta$ sur la droite critique, plus des estimations de fonctions arithmétiques diverses et variées sont précises.
  • Bonjour,

    Juste à titre de curiosité, a-t-on aujourd'hui des résultats sur la convergence de séries du genre $\displaystyle\sum_{k\geq 1}\dfrac{1}{z_k^s}$ où $z_k$ est le $k$-ième zéro de $\zeta$ sur la droite critique ?

    Cordialement,

    Rescassol
  • On peut au moins dire que la série dont tu parles converge absolument dès que $\mathfrak{Re}(s) > 1$, c'est un fait général concernant les fonctions entières d'ordre $1$.

    Selon comment tu indexes tes zéros, il y a même convergence en $1$ si je ne dis pas de bêtise, en groupant chaque zéro avec son conjugué.
  • La somme suivante était apparemment connue de Riemann :
    $$\sum_\rho \frac{1}{\rho} = 1 + \frac{\gamma}{2} - \log \sqrt{4 \pi}.$$
    C'est une semi-convergence. De même, si $1/ \rho$ est associé à $1/(1-\rho)$, alors la série $\sum_\rho \frac{1}{\rho(1-\rho)}$ est absolument convergente et sa somme vaut le double de la précédente. Autre exemple
    $$\sum_{\rho} \frac{1}{|\rho|^2} \leqslant 0,0462.$$
    On s'intéresse aussi souvent aux sommes portant sur les parties imaginaires $\gamma$ des zéros $\rho$ non triviaux. Par exemple, pour tout $T \geqslant 2 \pi e$, on a
    $$\sum_{0 < \gamma \leqslant T} \frac{1}{\gamma} = \frac{1}{4 \pi} \left(\log \frac{T}{2 \pi} \right)^2 + O^\star \left( 0,705 \right)$$
    tandis que, pour tout entier $n \geqslant 2$
    $$\sum_{\gamma > T} \frac{1}{\gamma^n} < T^{1-n} \log T.$$
    En fait, un tout récent travail de Brent, Platt et Trudgian montre que la limite
    $$\lim_{T \to + \infty} \left( \sum_{0 < \gamma \leqslant T} \frac{1}{\gamma} - \frac{1}{4 \pi} \left(\log \frac{T}{2 \pi} \right)^2 \right)$$
    existe et vaut $\approx - 0,017 \, 1594$.
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