journée "type"

Bonjour,
je vais vous décrire un moment de ma journée d'enseignant de collège:
Une heure avec une classe de cinquième, je fais passer un élève au tableau pour corriger un exercice qui était à faire à la maison, il doit écrire 2/3,7 sous forme irréductible. Sachant que ce type d'exercice a été traité à plusieurs reprises en classe. Il ne sait pas ce que "irréductible" veut dire. Après avoir fait participer les élèves, on conclut qu'il ne faut pas de virgule sur la fraction. Alors: "Comment faire disparaître cette virgule?
-Ben, on l'efface..."
Une discussion nous amène à évoquer un "fois dix", et l'élève me propose plusieurs solutions, "3,7 fois dix, c'est 3,70", puis "3,7 fois dix, c'est 30,70". Je lui propose alors de poser la multiplication, ce qu'il fait. Ensuite il effectue consciencieusement 0 fois 37, à la ligne suivante il effectue 1 fois 37, en ayant pensé à décaler le résultat. Arrive le moment de l'addition, il est perdu. Il ne sait pas s'il faut s'occuper de placer une virgule, s'il faut faire une addition, où placer la virgule.
Bref c'est assez long à décrire, vous imaginez le temps que cela a pris en classe, et en plus, l'élève, après avoir non sans mal trouvé la place de la virgule, avait perdu le fil. Pourquoi avait-on fait "fois dix"?

Sans exagérer, dans mes classes, une fois sur trois au moins, lorsqu'un élève est amené à faire une simple addition, un "fois 2", un "fois 3", un "fois dix", un "divisé par 2", etc, il ne sait pas faire l'opération de tête (et ça concerne aussi de "bons" élèves). Alors je la lui fait poser, et l'exécution de cette tâche peut prendre de longues minutes. Je ne veux pas "lâcher" l'élève, mais pendant ce temps, je perds ma classe.

En 4ème et en 3ème, je rencontre les mêmes situations. Plus de la moitié des élèves sont en difficulté devant des tâches que l'on trouve dans les programmes de l'école primaire. La plupart ira en seconde.

J'ai essayé beaucoup de choses pour pallier ces difficultés: séance de calcul mental en fins d'heures, primaths ou les "ceintures" de sésamath, valoriser les élèves qui apprennent "par coeur" des définitions ou propriétés, faire des exercices qui sortent de l'ordinaire. A chaque fois, on revient aux mêmes problèmes: des élèves plus que moyens aux élèves en grande difficulté, ils maîtrisent mal ou pas leurs tables, ils ne connaissent pas assez de vocabulaire, et ils ne s'appuient jamais sur le cours ou sur des exemples.

Je ne pense pas être seul à faire ce constat, et je veux bien que l'on me dise que mon travail n'est pas de qualité. Plus le temps passe et plus je me résigne à accepter que je n'y arriverai pas, et que mon rôle ne se résume plus qu'à faire de la garderie.

Réponses

  • En effet, c'est terrifiant.
    J'avoue que le "ben on l'efface" m'a d'abord fait rigoler, ça m'a rappelé la blague "qui a découvert l'Amérique ?", mais ici ce n'est pas une blague...
    Pourrais-tu préciser les caractéristiques de ce collège ?
    Bonne soirée tout de même.
    F. Ch.
  • Une discussion nous amène à évoquer un "fois dix", et l'élève me propose plusieurs solutions, "3,7 fois dix, c'est 3,70", puis "3,7 fois dix, c'est 30,70".

    C'est fini, franchement pas la peine d'aller plus loin.
    Je lui propose alors de poser la multiplication, ce qu'il fait.

    Incompréhenssible, comment peut-il arriver à poser une multiplication après avoir dit 30,70?

    En fait il faudrait revenir au programme de CM1 d'il y a 80 ans.
    A chaque fois, on revient aux mêmes problèmes: des élèves plus que moyens aux élèves en grande difficulté, ils maîtrisent mal ou pas leurs tables, ils ne connaissent pas assez de vocabulaire, et ils ne s'appuient jamais sur le cours ou sur des exemples.

    L'effet télé où il faut être passif pendant de heures.
  • Pour avoir fait une année en ZEP, et être passé dans une dizaine de collèges, je dirais que ce collège est assez tranquille. Ce que je peux dire c'est que dans chacune de mes classes, 5 élèves sont dans des situations familiales compliquées voire très compliquées, la majorité des élèves sont boursiers...
    Le manque de travail et d'investissement est criant, beaucoup de profs se débrouillent sans l'aide de la vie-sco, comme dans tous les collèges où je suis passé. Je n'ai donc pas le sentiment que ce que je constate est exceptionnel, ça me semble même assez banal.
  • Pour éviter tout malentendu, je précise que je n'ai jamais enseigné dans le secondaire. Mais d'expérience, quand un élève ou un étudiant part comme ça, il n'y a rien à en tirer au tableau parce qu'il a « débranché son cerveau ». C'est souvent dû à des facteurs indépendants de son savoir : angoisse, fatigue, etc. Dans ces conditions, lui faire poser l'opération est une perte de temps et c'est même contre-productif car tu risques de perdre l'attention de la classe. Il vaut peut-être mieux demander à la classe le résultat de $3,7 \times 10$ de façon à enchaîner sur la question importante : « pourquoi a-t-on fait $\times 10$ ? » Si tu as le temps, tu peux ensuite en rediscuter au calme avec l'élève pour établir le diagnostic.

    En tout cas, je vois bien à quel point ton rôle est difficile. Je suis confronté quasiment tous les jours au niveau de calcul abyssal des étudiants de licence, ce qui me rend extrêmement reconnaissant envers les collègues de collège qui font faire du calcul mental à leurs élèves pour corriger ça. Courage !
  • J'ai fait un système de tirage au sort, chaque élève peut être désigné, chaque élève voit le résultat du tirage au sort. Je pourrais "truquer" le tirage pour éviter certains candidats, mais pour l'instant, je m'y refuse. Les occasions de se concentrer sur chaque élève sont rares, et j'espérais qu'en procédant ainsi, plus d'élèves se sentiraient concernés car motivés par une bonification notée, ou par peur de passer au tableau et d'y rester un long moment. Pour l'instant, cette méthode est un échec. Je n'ai pas d'autre idée.
    Demander à la classe
    Le problème, c'est que devant moi, ce n'est pas "la classe", mais un ensemble de petits groupes de 2, 3 ou 4 élèves allant de totalement déconnectés à très investis. Alors je suis sûr qu'en demandant à la classe, la bonne réponse ou de bonnes interventions se feront, mais peu d'élèves en bénéficieront.
    Depuis dix ans maintenant, je change chaque année ma façon de faire mon travail (je ne fais rien de révolutionnaire). J'essaie de ne pas reproduire les erreurs, je n'ai jamais terminé l'année avec le sentiment du travail bien fait, je n'ai en tête qu'une dizaine d'élèves qui se sont mis ou remis à faire des efforts dans ma matière, et heureusement, j'ai toujours quelques élèves dont les copies me font dire que j'ai réussi à transmettre quelque chose. Bref, ce n'est pas brillant.
  • Et oui. J'ai lu un article qui parlait de "la pédagogie de garçon de café" où le prof explique une chose à un élève, la même chose à l'autre, courant ainsi, de table en table, pour servir chaque client, mais pas la salle !
  • Je n'ai pas eu le temps de lire, mais je pense deviner (je lirai un peu plus tard) la teneur. Sache que c'est un problème beaucoup plus collectif qu'individuel (pour les profs j'entends). A un niveau local on ne peut rien faire. Le mythe "du prof qui se sacrifie dans sa mission impossible...".

    Des quelques mots que j'ai saisi sache aussi que les élèves ne sont pas conscients des exigences de l'égalité (attendue). Si tu demandes d'enlever la virgule, on l'efface c'est tout. Le résultat (et c'est la seule chose qui se produit) est alors différent du précédent. Mais qui a dit que ça devait être égal??? J'ai fait suffisamment de sondages et d'expériences pour savoir que ce tacite du "ça doit être égal" n'est pas du tout institué. L'erreur n'en est donc pas une (c'est plutôt un hors-sujet). Rien qu'aujourd'hui, j'ai une élève (qui veut aller en L) et qui jouait sa note trimestrielle en maths sur un contrôle, qui avait bien compris (parce que j'avais hélas soigné ça chez elle, mais rien d'autre) qu'on souhaitait conserver une même valeur. Et bien elle a fait un raisonnement de 10 lignes avec un "3+3" qui s'est promené pendant tout le raisonnement. Elle n'était pas sûr qu'elle pouvait le remplacer par 6 (ça, je n'avais pas traité la pathologie). Je la féliciterai demain en ironisant un peu mais pas trop, mais tu vois à quel point nos implicites ne sont pas installés. Ne t'évanouis donc pas devant ces choses étonnantes (le calcul n'a pas grand chose à voir dans cette histoire, mais effectivement les réflexes conditionnés qu'on connaissait il y a 20 ans ne sont plus là)
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
  • En effet, on peut lire dans certains manuels au lieu de "développer et réduire" la consigne désastreuse "écrire sans parenthèse".
  • Au moment du "3,7*10=30,70", j'aurais sans doute lâché une blagounette "oui... pas trop mal... c'est presque ça... il y a un début d'idée..." avant de m'appuyer sur la classe pour avancer, "relâcher" cet élève qui manifestement doit avoir d'autres préoccupations dans sa vie actuellement, terminer l'exo moi-même, donner vite fait un exemple du même type.

    Peut-être revenir à des bases élèves plutôt qu'à des techniques d'opérations : 3,7 c'est 37 dixièmes, fois dix, etc etc, enfin tout dépend du background.

    Et puis, bon... mathématiquement parlant, une fraction irréductible... dans le secondaire...
    (je n'ai pas envie de finir ma phrase, ce serait déprimant)
  • Oui, c'est déprimant, je compatis.
    J'en ai vu plein des élèves comme ça, maintenant je suis dans un endroit "différent".
    Alors j'aurai tendance à dire, ne lâche pas, fais leur faire du calcul mental, fais leur ranger la calculatrice quand elle n'est pas utile ... et d'un autre côté tu fais ce que tu peux, et un jour comme tout le monde, tu en auras marre, mais vraiment vraiment marre de faire de la garderie et de l'animation pour capter 30secondes leur attention ... alors sache juste qu'il existe des classes de collège dans lesquelles il y a un bon niveau, oui ça existe encore, et qu'il est agréable d'enseigner au lycée ... et là on change carrément de métier, oui "prof de maths" tout court ne veut rien dire, enseigner dans un collège de ZEP ou enseigner dans un bon lycée, ce n'est pas du tout le même métier ...
    Tous n'irons quand même pas en seconde, image que l'on enlève tes 8 élèves les plus faibles, et quand même la classe serait différente.
    Bon je n'ai pas fait avancer la question mais de toute façon il n'y a pas de solution :-(
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