Isomorphisme de corps de fractions de groupes

Bonjour,

Permettez-moi d'abord d'introduire une notation. Lorsque $G$ est un groupe abélien sans torsion et $k$ est un corps, on dénote le corps de fractions de la $k$-algèbre intègre $k[G]$ par $k(G)$.

Ma question est la suivante. Étant donnés deux groupes abéliens sans torsion $G$ et $H$, on suppose que les corps $k(G)$ et $k(H)$ sont isomorphes (en tant que corps) pour tout corps $k$. S'ensuit-il que $G$ et $H$ sont isomorphes en tant que groupes abéliens ?

C'est une simple question de curiosité, et malgré quelques tentatives de réflexion, aucune ne m'a permis de résoudre ce problème. Auriez-vous des pistes convaincantes à proposer ?

Réponses

  • Est-ce que tu peux expliquer pourquoi cette algèbre est intègre ? Je crois avoir une idée à base de l'ordonnabilité des groupes abéliens sans torsion, mais ce serait un argument assez long...
  • Ta notation $k[G]$ désigne-t-elle la $k$-algèbre du groupe $G$ ? Si c'est le cas, $k[G]$ n'est intègre que si $G$ est trivial.
  • @b.b. Pourtant $k[\Bbb{Z}]$ est intègre, non ? Il s'agit en effet, à isomorphisme près, de $k[X, X^{-1}]$.
    @GeorgeAbitbol : il me semble que c'est l'argument standard, mais je me trompe peut-être.
  • Ah d'accord... Je me suis planté en pensant qu'on travaillait avec des groupes finis, ça m'apprendra à pas lire les énoncés attentivement...
  • Pour les groupes de type fini, c'est facile : le groupe $G$ est isomorphe à $\Z^r$ et il est donc caractérisé par son rang $r$, mais alors $k[G]\simeq k[X_1^{\pm1},\dots,X_r^{\pm r}]$, $k(G)\simeq k(X_1,\dots,X_r)$ et on retrouve $r$ comme le degré de transcendance de $k(G)$ sur $k$.

    Edit : Mais ça ne résout pas le problème, voir plus bas.
  • @Georges Abitbol : cela est la proposition 3.1 de ce document (Zero-divisors and idempotents in group rings, par Bartosz Malman). Le cas où $G$ n'est pas supposé abélien reste encore ouvert de nos jours (conjecture de Kaplansky) !

    Ici $G$ est généralement infini, en effet.

    @Math Coss : bonne remarque ! Je crains que cela ne nous soit guère utile dans le cas général, toutefois.
  • Et quand tu dis que $k(H)$ et $k(G)$ doivent être isomorphes en tant que corps, tu ne demandes pas à ce qu'ils soient isomorphes en tant que $k$-algèbres ?

    Sinon, je ne sais pas si ce que dit Math Cross est bon... Si les scalaires de $k(G)$ sont envoyés sur autre chose que des scalaires $k(H)$, alors $k(G)$ est isomorphe à $k(H)$ en tant que $k$-algèbres, mais pour une structure de $k$-algèbre sur $k(H)$ qui est différente de celle habituelle, ce qui pourrait peut-être faire changer le degré de transcendance, non ?

    D'autre part, je n'ai pas de solution au problème proposé, mais je crois bien que si $\mathbb{C}[G]$ et $\mathbb{C}[H]$ sont isomorphes en tant que $\mathbb{C}$-algèbres, alors $G$ et $H$ le sont. En effet, le groupe [EDIT : Ce n'est pas un groupe, ce qui suit est faux, voir plus bas.] multiplicatif des morphismes de ces algèbres vers $\mathbb{C}$ est isomorphe au dual de $G$ vu comme groupe abélien discret. En particulier, si $\mathbb{C}[G]$ et $\mathbb{C}[H]$ sont isomorphes en tant que $\mathbb{C}$-algèbres, alors $G$ et $H$ ont des groupes duaux isomorphes, et donc sont isomorphes, par dualité de Pontryagin.
  • @GeorgesAbitbol a raison que deux extensions isomorphes (et pas $k$-isomorphes) n'ont pas forcément le même degré de transcendance sur $k$. Prenons en effet par exemple $\mathbb{C} = k$.
    Alors $\mathbb{C}(X)$ peut être plongé dans un corps $K$ isomorphe à $\mathbb{C}$ et donc pour un certain ensemble $S$ non vide d'éléments transcendants sur $\mathbb{C}$ et un ensemble fini $T$ (éventuellement vide) d'éléments algébriques sur $\mathbb{C}(S)$, on a $\mathbb{C} \simeq \mathbb{C}(S,T)$, de sorte que les degrés de transcendance sur $\mathbb{C}$ ne coïncident pas.

    Ils coïncident cependant si on prend $k =$ un corps premier il me semble.
  • @Maxtimax : Merci pour ces informations ! Faudra qu'à l'occasion, je voie ce plongement de $\mathbb{C}(X)$ dans $\mathbb{C}$ dont tu parles !
  • @Georges Abitbol : ma supposition est en effet d'avoir un isomorphisme de corps et non de $k$-algèbres. Par conséquent, je pense pouvoir apporter une rectification à la « bonne remarque » faite par Math Coss : lorsque $k = \mathbb{Q}(t_1, t_2, \dots)$, on a $k(\Bbb Z^n) \cong k(\Bbb Z^m)$ en tant que corps (mais pas en tant que $k$-algèbres), pour tous les entiers $n, m \geq 1$.
    Je suis satisfait par l'argument avec les $\mathbb{C}$-algèbres.

    (Le fait que $\mathbb{C}(X)$ se plonge dans $\mathbb{C}$ peut s'expliquer en regardant la clôture algébrique $\overline{\mathbb{C}(X)}$ de $\mathbb{C}(X)$. C'est est un corps algébriquement clos de cardinalité $2^{\aleph_0}$ et de caractéristique $0$ ; or on peut montrer qu'il n'y a (à isomorphisme près) qu'un seul corps algébriquement clos de cardinalité $\kappa$ et de caractéristique $p$, pour tout cardinal $\kappa \geq 2^{\aleph_0}$ et tout entier $p$ premier ou nul — on parle de théorie $\kappa$-catégorique.
    Toutefois cela nous éloigne de ma question initiale, qui reste non résolue).
  • @G.L. : Ah voui, voui, avec ce $k$-là, d'accord... Mmmmh... Bon ben j'ai, pour l'instant, plus aucune idée sur ton problème... Merci pour cette histoire de théorie des modèles, maintenant je saurai où chercher pour me renseigner !
  • la théorie de modèles permet de montrer qu'il n' y a (à isomorphisme près) qu'un seul corps algébriquement clos de cardinalité $\kappa$ et de caractéristique $p$, pour tout cardinal $\kappa \geq 2^{\aleph _0}$ et tout entier $p$ premier ou nul
    Steinitz aurait été surpris d'apprendre qu'il faisait de la théorie des modèles avant l'heure. Il pensait faire de l'algèbre. ;-)
  • Pour Georges Abitbol, il est faux que si $\mathbb{C}[G]$ et $\mathbb{C}[H]$ sont isomorphes (même en tant que $\mathbb{C}$-algèbre) alors $G$ et $H$ le sont (en tant que groupes). On peut penser à prendre $G=D_4$ le groupe des isométries du carré et $H=\mathbb{H}_8$ le groupe des quaternions:
    on a $\mathbb{C}[G]=\mathbb{C}[H]=\mathbb{C}^4\times M_2(\mathbb{C})$. De façon générale, la classe d'isomorphie de $\mathbb{C}[G]$ est donnée par les dimensions des représentations irréductibles du groupe $G$.
  • On peut même ajouter que si $G$ est abélien alors $\mathbb{C}[G]=\mathbb{C}^n$ (algèbre produit) où $n$ est l'ordre de $G$ et donc pour les groupes abéliens, $\mathbb{C}[G]$ ne détecte que le cardinal et donc ne fait pas la différence entre $(\mathbb{Z}/2\mathbb{Z})^2$ et $\mathbb{Z}/4\mathbb{Z}$.
  • @Vincent : je ne sais pas si l'argument de Georges Abitbol est valable ou pas (je ne connais pas assez la théorie des représentations) dans ce cas, mais ici on parle de groupe abéliens sans torsion : tous tes exemples sont finis et en particulier ont de la torsion (d'ailleurs tes deux premiers exemples ne sont pas abéliens)
  • Il y a peut-être des éléments de réponse sur ce pdf (internet): "isomorphism of non commutative group algebras of torsion-free groups over a field" par P.V. Danchev.

    K est un corps de caractéristique quelconque. G est un groupe sans torsion.
    FH = "group algebra of G over F". Je ne sais pas exactement comment traduire FH: une algèbre sur F probablement...

    Alors il y a un résultat d'isomorphisme concernant les groupes non abéliens sans torsion:
    Si F est un corps et G un groupe sans torsion alors FG est isomorphe à FH en tant que F-algèbre pour tout groupe H.
    ...
  • Selon l'article cité par df, le corollaire 2 a comme application : si $G$ est abélien sans torsion, alors pour tout groupe $H$, $FG\simeq FH$ implique $G\simeq H$; où le premier isomorphisme est un $F$-isomorphisme. Cela confirme ici, avec $F=\mathbb{C}$ ce qu'annonçait Georges Abitbol (même si la preuve est différente)
  • @Vincent : je parlais en effet de groupes abéliens et sans torsion, comme rappelé par Maxtimax.

    @df : merci beaucoup pour cette référence ! Toutefois, elle ne semble pas résoudre mon problème initial, puisque d'une part, il y est question de l'algèbre $k[G]$ du groupe $G$ (et non de son corps de fractions), et d'autre part seuls des isomorphismes de $k$-algèbres sont considérés (et non des isomorphismes de corps).
  • Mon raisonnement ne marche pas (merci Vincent), je vais expliquer pourquoi, en espérant que ce soit instructif.

    Notons $Char(A)$ l'ensemble des formes linéaires multiplicatives sur la $\mathbb{C}$-algèbre $A$. $Char(A)$ n'est pas un groupe, pour la multiplication point par point. C'est idiot mais c'est là que je me suis trompé. Par exemple, si $X$ est un ensemble à deux éléments, les deux caractères de l'algèbre des fonctions à valeurs complexes sur $X$ donnés par l'évaluation en les deux points sont tels que leur produit n'est pas linéaire.

    Dans notre cas, l'application qui, à un morphisme de $G$ vers $\mathbb{C}^*$, associe son prolongement par linéarité, qui est un élément de $Char(\mathbb{C}[G])$, est bijective, mais pas un isomorphisme (puisqu'à droite, il n'a pas de groupe), d'où le fait annoncé par Vincent selon lequel l'algèbre d'un groupe abélien fini ne se souvient que du cardinal de son dual.

    En outre, l'application qui, à un élément $a$ de l'algèbre de $G$ associe l'application sur le dual de $G$ qui envoie $\chi$ sur $\chi(a)$ est injective, et donc est un isomorphisme, d'après les dimensions, qui témoigne de l'isomorphie annoncée par Vincent.

    Mille excuses pour les erreurs.
  • @Georges Abitbol : je n'avais en effet pas fait attention au fait qu'il était question de "dual" d'algèbres et non de dual de groupes abéliens... ! Merci pour la correction.

    Ma question initiale reste toutefois sans réponse définitive. Je rappelle le contexte. On se fixe deux groupes abéliens sans torsion $G$ et $H$. Supposons que pour tout corps $k$, les corps $k(G)$ et $k(H)$ soient isomorphes en tant que corps. Peut-on en conclure que $G$ et $H$ sont isomorphes en tant que groupes abéliens ?
  • La question posée initialement reste sans réponse. Je me permets de demander si quelqu'un a une idée bienvenue afin de la résoudre.
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