Une curiosité algébrique

Dédié @ ModuloP.
À l'occasion du fil : http://www.les-mathematiques.net/phorum/read.php?3,1558192,1564436#msg-1564436 je me suis remis à quelques questions d'algèbre « moderne », bien simples pour les spécialistes de ce forum, mais qui peuvent être de quelque utilité pour les débutants. Et il m'est revenu une curiosité.
On considère l'anneau d'entiers quadratiques réels : $ \mathbb Z [ \sqrt 6]= \mathbb Z +\mathbb Z \sqrt 6= \{ x+y \sqrt 6/x \in \mathbb Z, y \in \mathbb Z \}$.
Dans cet anneau on a : $ 6= 2 \times 3 = \sqrt 6 \times \sqrt 6$.
On pourrait croire alors que cet anneau n'est pas factoriel. Il l'est pourtant, et il est même euclidien.
Je sais prouver que ces deux factorisations de l'élément $6$ n'en font qu'une, et je vous laisse chercher.
Mais je n'ai pas de démonstration qui me convienne de l'euclidianité de cet anneau et si vous en avez une elle sera la bienvenue.
Bonne soirée.
Fr. Ch.

Réponses

  • En bidouillant un peu $a^2-6b^2 = \pm 2$ et $\pm 3$ on trouve :
    $3 = (3+ \sqrt{6})(3- \sqrt{6})$, $-2 = (22+ 9 \sqrt{6})(22- 9 \sqrt{6})$ et $(3+ \sqrt{6})(22- 9 \sqrt{6}) = 12-5 \sqrt{6} = \sqrt{6}(2\sqrt{6}-5)$ et $2\sqrt{6}-5$ est inversible.
  • $\def\AA{\Z[\sqrt 6]} \def\Astar{\Z[\sqrt 6]^\times} \def\Aplus{\Z[\sqrt 6]^\times_+} \def\sq{\sqrt 6} $
    J'essayes de comprendre la structure du groupe des unités de l'anneau $\AA$ pour l'exercice. L'idée est de mettre en oeuvre une version multiplicative des " sous-groupes discrets de $\R$ ". Lien : ici et .

    Notons $\Astar := \{ z \in \AA \mid |N(z)|= 1 \}$ le groupe des inversibles de $\AA$ et notons également $\Aplus := \Astar \cap [ z > 1]$.

    Alors $\Astar$ est l'ensemble des solutions entières d'une des deux équations $x^2-6y^2=1$ et $x^2-6y^2=-1$. On constate, par réduction modulo $3$, que la seconde est impossible.

    Ainsi : $\Astar= \{ z \in \AA \mid N(z)= 1 \}$.

    Soit $z \in \Aplus$ que l'on écrit $z=x+y \sq$. Alors on a : ${1 \over z} = x-y \sq$ et également : $0 < {1 \over z} < 1$. D'où : $2x > 1$ et comme $x$ est entier : $x \geq 1$. De l'inégalité $x- y \sq < 1$, on tire : $y \sq > x-1 \geq 0$ et par suite $y \geq 1$. En testant, on trouve $z \geq 5+2 \sq = : \epsilon $. En particulier, $\epsilon$ est l'élément minimal de $\Aplus$.

    Soit $z \in \Aplus$, comme la suite $z_n := \epsilon^n$ est strictement croissante et non bornée, il existe un entier $n$ tel que :
    $ z_n < z \leq z_{n+1}$. D'où : $ 1 < z \epsilon^{-n} \leq \epsilon$. Comme $z \epsilon^{-n} \in \Aplus$ et $\epsilon$ est minimal, on obtient : $z = \epsilon^{n+1}$.

    Ainsi $\Aplus = \{ \epsilon^n \mid n \in \N^* \}$.

    Maintenant, soit $z \in \Astar$, tel que $z \ne \pm 1$ alors il existe un unique nombre $Z$ de l'ensemble $\{ z ,{ 1 \over z}, -z ,-{ 1 \over z} \}$ vérifiant $Z \in \Aplus$. On en déduit que :
    $$ \Astar := \{ \pm \epsilon^n \mid n \in \Z \}$$

    Alors dans le texte que j'ai trouvé, on parle de fractions continues pour trouver $\epsilon$. Je dois lire un peu. Mais je n'ai pas répondu a tes questions et je pense que Reuns à déjà expliqué les $2$ décompositions de $6$ que tu proposes.

    Pour le côté Euclidien, pas d'idée.
  • @moduloP: Tu veux peut-être placer tes découvertes dans un cadre général : le théorème des unités de Dirichlet est fait pour toi, qui se spécialise pour décrire le groupe des unités d'un anneau d'entiers quadratiques. Pour la division euclidienne, la norme $N:z=a+b\sqrt{6}\mapsto z\bar{z}=a^2-6b^2$ est un candidat raisonnable (ça marche si on remplace $6$ par $2$, $-1$ ou $-2$).
  • J'ai (re)donné il y a cinq semaines une démonstration qui ressemble à celle de moduloP, et vaut pour tous les anneaux $A=\Z[\sqrt{d}]=\Z+\Z\sqrt{d}=\{x+y\sqrt{d}\mid x\in \Z,y\in \Z\}$ où $d$ est un entier positif sans facteur carré :
    http://www.les-mathematiques.net/phorum/read.php?3,1541816,1542158#msg-1542158

    Dans cette démonstration, il est admis que le groupe des unités de cet anneau ne se réduit pas à $\{1\}$. Pour prouver ceci pour les petites valeurs de $d$, on peut s'en sortir « à vue ». Par exemple pour $d=6$, si $z$ est une unité de l'anneau, avec $z=x+y\sqrt{6}$, $ x\in \Z,y\in \Z$, $z>1$, alors $x+y\sqrt{6}>1 $ d'où : $0<x-y\sqrt{6}<1 $, qui impliquent : $x \geq 2$ et $y \geq 1$. On voit que $y= 1$ ne convient pas, d'où $y \geq 2$, qui implique $x \geq 5$. On constate que $5+2\sqrt{6} $ est une unité, qui se trouve donc la plus petite unité $z$ telle que $z>1$. On en déduit sans mal que c'est un générateur du groupe multiplicatif des unités positives. C'est comme dans toutes les démonstrations de monogénéité multiplicative : on identifie un candidat générateur, et on coince tout élément entre deux puissances consécutives de celui-ci.

    Dans le cas général, les fractions continu(é)es sont utiles pour trouver une solution effective non triviale de l'équation de Fermat-«Pell » $x^2-d y^2=\pm 1$, qui fournit cette unité fondamentale. Plusieurs ouvrages en traitent, ce n'est pas très difficile, et la théorie des fractions continu(é)es est très belle. Dans le fil que j'ai cité, Claude Quitté propose une autre méthode pour les $d$ pas trop grands.

    Bonne journée.
    Fr. Ch.
  • Pour en venir au paradoxe qui fait l'objet de ce fil, reuns a montré la voie par ses calculs.

    Dans l'anneau $A=\Z [\sqrt 6 ]$, on a : $N(3+\sqrt 6)=(3+\sqrt 6)(3-\sqrt 6)=3$ et $N(2+\sqrt 6 )=(2+\sqrt 6)(2-\sqrt 6)=-2$.

    Comme $2$ et $3$ sont premiers dans $\Z$, les éléments $ \pm 3\pm \sqrt 6$ et $\pm 2 \pm \sqrt 6 $ sont irréductibles dans l'anneau $A=\Z [\sqrt 6 ]$. Il en résulte aussi que $2$ et $3$ ne sont pas irréductibles dans $A=\Z [\sqrt 6 ]$, puisque chacun d'eux est le produit de deux éléments de norme $>1$, lesquels sont d'ailleurs irréductibles dans $A$.

    De plus : $\sqrt 6 =(2+\sqrt 6 )(3-\sqrt 6 )$ est encore le produit de deux irréductibles dans $A=\Z [\sqrt 6 ]$.

    Notre égalité du début : $6=2 \times 3=\sqrt 6 \times \sqrt 6 $ n'en dit donc pas plus sur une supposée non-factorialité de l'anneau $A=\Z [\sqrt 6 ]$ que l'égalité : $36=4 \times 9= 6\times 6$ n'en dirait sur une supposée non-factorialité de notre bon vieil anneau $\Z$.

    On observe de plus que $2+\sqrt 6 $ et $2-\sqrt 6 $ sont associés dans l'anneau $A=\Z [\sqrt 6 ]$ car $\frac{2-\sqrt 6}{2+\sqrt 6} =-5+2 \sqrt 6 $, qui est une unité de l'anneau $A$ comme on a vu. Il en est de même de $3+\sqrt 6 $ et $3-\sqrt 6 $. Et il apparaît alors que cette égalité $6=2 \times 3=\sqrt 6 \times \sqrt 6 $ conduit en fait à une même décomposition de $6$ en produit d'unités et d'irréductibles. Et que notre anneau $A$ est peut-être factoriel ?

    Bonne journée.
    Fr. Ch.
  • @math coss : Pour la norme, il faut considérer $| z \overline z |$ pour la "norme". Et effectivement, ça passe sans problème pour $\Z[ \sqrt{ 2}]$.
    Soit $ z = x+y \sqrt 2 \in \Q[ \sqrt 2]$, en prenant $a$ et $b$ les entiers les plus proche de $x$ et $y$. On a :
    $$
    \mid (x-a)^2- 2(y -b)^2 \mid \leq {1 \over 4} + {2 \over 4} = {3 \over 4} < 1
    $$
    Mais l'argument ne tiens plus pour $\sqrt{6}$.
  • Bonjour,
    De la lecture concernant le caractère euclidien des anneaux d'entiers de corps de nombres in http://www.rzuser.uni-heidelberg.de/~hb3/publ/survey.pdf (322 références bibliographiques). En particulier, la section 4.2 et le théorème 4.4 page 11. Cette section 4.2, consacrée aux anneaux quadratiques réels, se complète avec la section 12 (Tables), page 26. Dans la première table de la section 12, on y voit ``the norm-Euclidean miminimum'' $M(K)$ (défini au début de la section 3 et section 2) pour les corps quadratiques réels $K = \Q(\sqrt m)$ avec $m \le 102$ sans facteur carré. En particulier $M(\Q(\sqrt 6)) = 3/4$. Je me suis toujours demandé comment cette table était rangée ; et surtout obtenue !

    A noter l'étonnant résultat de Weinberger (proposition 3.1 p. 6) : sous GRH, tout anneau d'entiers d'un corps de nombres qui est principal est euclidien, à l'exception des 4 anneaux quadratiques imaginaires principaux non euclidiens (discriminants : $-19, -43, -67, -163$).

    De quoi occuper les longues soirées d'hiver. Cela serait déjà pas mal de prouver que $M(\Q(\sqrt 6)) = 3/4$, même si c'est connu depuis des lustres. Pour l'instant, je n'ai pas vu la preuve dans les articles importants de Barnes & Swinnerton-Dyer (référencés par Franz Lemmermeyer). Je pointe le premier article : https://projecteuclid.org/download/pdf_1/euclid.acta/1485888687 (je pense qu'il y en a quatre en tout).
  • Niveau référence : j'ai trouvé un texte où l'auteur annonce une démonstration.

    Je n'ai pas encore lu.
  • Bonjour,

    Le bricolage qui suit établit le caractère euclidien de l'anneau $A = \mathbb{Z} [ u ] $ où $u = \sqrt{6}$.
    On montre en effet que la valeur absolue de la norme de l'extension $\mathbb{ Q} (u)$ de $\mathbb{Q}$ est un " stathme euclidien " pour l' anneau $ A$.en s' assurant que $\forall x, y\in \mathbb{Q} \:\:, \exists a,b \in \mathbb{Z} $ tels que:$ -1 < (x - a)^2 - 6 (y - b)^2 < 1$.
    Soient donc $x$ et $y$ dans $\mathbb{Q}$ . On choisit alors les entiers $a$ et $ b$ selon les modalités ci-dessous:
    $d$ désignant la distance,

    $\begin{array} {|c|c|} \hline \text{Si} & \text{ Alors on choisit a et b tels que }\\ \hline d(y,\mathbb{Z}) \leq 0.4 &d(x , a) \leq 0.5\: \: et\:\: d(y , b) \leq 0.4\\ d(y , \mathbb{Z}) > 0.4\:\: et \:\:d(x ,\mathbb{Z}) \leq 0.25 & 0.75 \leq d(x , a) \leq 1\: \:et \:\: 0.4 \leq d(y , b) \leq 0.5\\d(y , \mathbb{Z}) > 0.4 \: \: et \:\: d(x , \mathbb{Z}) > 0.25& 1.25 < d(x ,a)\leq 1.5 \: \:et\: \: 0.5 \leq d(y , b) < 0.6\\ \hline \end{array}$
    Amicalement,
  • @LOU
    Je ne vois pas pourquoi tu dis ``bricolage''. Je n'ai pas encore vérifié que cela fonctionne mais il me semble que cela a une bonne tête. Est ce que tu as utilisé un dessin (comme à la page 22 de la thèse pointée) ?

    Serais tu capable de faire plus en montrant que $M(\Q(\sqrt 6)) \le 3/4$. Rappel : si $K$ est un corps de nombres, poour $x \in K$, on définit le minimum euclidien en $x$ par :
    $$
    M_K(x) = \inf \{ | N_{K/\Q}(x-y)| \mid y \in \mathcal O_K \}
    $$
    C'est un inf qui est atteint (cf la proposition 1.10 de la thèse). Si bien que $\mathcal O_K$ est euclidien pour la valeur absolue de la norme si et seulement si $M_K(x) < 1$ pour tout $x \in K$. On introduit :
    $$
    M(K) = \sup \{ M_K(x) \mid x \in K \}
    $$
    Et ce qui m'impressionne beaucoup, c'est qu'il y a un algorithme pour calculer $M(K)$. Avec la surprise expérimentale (si je comprends bien) concernant le caractère rationnel (conjectural) de $M(K)$, cf la thèse.

    Thèse de Cerri : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00011151/document
  • Bonjour Claude,


    Pour répondre à ta toute première question, j' ai certes utilisé un dessin dont le cadre était un "domaine fondamental"
    ( un carré $ [0 ; 1] \times[0 ; 1$]) , mais comme je ne recherchais pas la valeur de $M (K)$, il était nettement plus rudimentaire que celui de la page 22 et ne contenait pas d'hyperbole.
    Amicalement,
  • LOU16
    J'ai vérifié tes affaires. Avec tes notations, j'ai trouvé :
    $$
    | (x-a)^2 - 6(y-b)^2 | \le \cases {
    24/25 & dans le cas 1 \cr
    15/16 & dans le cas 2 \cr
    3/4 & dans le cas 3 \cr
    }
    $$
    Fort possible que je me sois gouré. Tu as les traces de quelque chose ?
    Je vais essayer d'en savoir plus en ce qui concerne $M(\Q(\sqrt 6))$.
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