Morphisme $\Z^\N\to \Z$ nul : motivation ?

Il y a un exercice classique qui consiste à montrer qu'un morphisme de groupes $\Z^\N \to \Z$ qui est nul sur les suites presque nulles est nécessairement nul.

La preuve que je connais est la suivante: on fixe $p,q$ deux premiers distincts. Alors $p^n$ est premier avec $q^n$ pour tout $n$ et donc il existe $u_n, v_n$ des entiers tels que $p^n u_n + q^n v_n = 1$.

Si on prend alors une suite $a\in \Z^\N$ on a $a_n = a_np^nu_n + a_nq^nv_n$ et donc $a = (p^n u_na_n) + (q^nv_na_n)$.

Il reste alors à remarquer que pour un $k$ fixé, $f((p^n u_n a_n)) = p^k f( (0,...0, u_ka_k, pu_{k+1}a_{k+1},...))$ par l'hypothèse faite. En regardant la valuation $p$-adique (ou simplement par des considérations de taille, peu importe, de toute façon, $f( (0,...0, u_ka_k, pu_{k+1}a_{k+1},...))$ est nul ou bien de valeur absolue $\geq 1$), on en déduit que $f((p^n u_n a_n))= 0$, de même pour l'autre et donc $f(a)= 0$, d'où finalement $f=0$ (j'ai peut-être omis des détails mais l'idée est là).

Je me demandais s'il y a une intuition qui pourrait faire penser à cette preuve, au-delà d'une mystérieuse indication "penser aux suites $(p^na_n)$" (qui m'avait personnellement aidé à résoudre l'exercice), ou, sinon, s'il y a une autre preuve de cet énoncé qui, elle, cache une intuition qui rend la démarche naturelle ?

Réponses

  • Bonjour,

    utiliser la linéarité et la divisibilité est assez naturel dans un contexte où il y a de la linéarité et des entiers, non ? Je retiendrais que l'idée essentielle c'est que l'image d'une suite est divisible par toutes les puissances de $p$. Un entier qui vérifie ça, c'est forcément 0.

    Tu peux "simplifier" un peu l'argument en prenant $p=2$ et $q=3$...
  • Oui c'est ce qu'un ami m'a répondu tout à l'heure; je vois un peu, mais j'avoue ne pas être totalement convaincu (malheureusement ma question n'est pas totalement mathématique et donc c'est moi qui décide si la réponse est satisfaisante (:P) ).
    En gros, pourquoi penserait-on que l'image d'une suite serait forcément divisible par toutes les puissances de $p$ ?
  • ... à cause de la linéarité : quand tu as une application linéaire $f$, un vecteur $x$ et un scalaire $\lambda$ non nul, tu as $f(x)=\lambda f(x/\lambda)=\lambda^2f(x/\lambda^2)=...$. Donc dans un contexte où il y a des entiers, ça devient vite une question de divisibilité.

    Maintenant pour gérer les inverses, on utilise Bézout comme pour trouver l'inverse dans un groupe cyclique $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$.
  • J'ai pensé à quelque chose, je ne sais pas si ça te satisfera :

    Soient $R$ un anneau, et $I$ un idéal de $R$.

    Soit $M$ un $R$-module. On définit la topologie $I$-adique sur $M$ en spécifiant une base de voisinages de $0$, donnée par les $I^nM$.
    Maintenant, si $M$ et $N$ sont deux $R$-modules, alors tout morphisme de $R$-modules $M \rightarrow N$ est automatiquement continu pour les topologies $I$-adiques.
    On note $I_{\epsilon}M := \bigcap_{n \in \mathbb{N}} I^nM$ et on appelle ses éléments des $I$-infiniment petits.
    Si $M$ et $N$ sont deux $R$-modules, alors tout morphisme de $R$-modules $M \rightarrow N$ envoie automatiquement des $I$-infiniment petits de $M$ sur des $I$-infiniment petits de $N$.

    Soit $J$ un autre idéal de $R$, supposons que $I_\epsilon M+ J_\epsilon M = M$, et soit $N$ un $R$-module sans $I$-infiniment petits autres que $0$ et sans $J$-infiniment petits autres que $0$. Alors il découle de tout ceci que tout morphisme de $R$-modules $M \rightarrow N$ est nul.

    Maintenant, on considère la relation d'équivalence $\sim$ sur $\mathbb{Z}^\mathbb{N}$ qui est "l'égalité sauf sur un ensemble fini". Alors ta démonstration consiste à remarquer que $M := \mathbb{Z}^\mathbb{N}/\sim$ est un $\mathbb{Z}$-module qui est tel que $M = (p)_\epsilon M + (q)_\epsilon M$ où $p$ et $q$ sont deux nombres premiers différents. Comme ton morphisme $\mathbb{Z}^\mathbb{N} \rightarrow \mathbb{Z}$ est supposé nul sur les suites presques nulles, il passe au quotient en un $M \rightarrow \mathbb{Z}$, qui est donc nul car $\mathbb{Z}$ n'a ni $(p)$-infiniment petits ni $(q)$-infiniment petits.

    C'est exactement ta démo, mais avec des termes un peu pédants :-D
  • Joli (tu)
  • J'ajoute qu'en réfléchissant à tout ça, j'ai repensé à l'article du blog de Terence Tao, A cheap version of non-standard analysis.
    Je pense qu'il y a un lien, sans savoir exactement lequel, mais je pense que Maxtimax est plus au courant de ces choses-là !
  • @Georges: Merci! Effectivement c'est juste une réécriture mais ça donne un cadre un peu plus général à l'exercice; et puis l'idée de voir les $(p^n a_n)$ comme des infiniment petits était exactement ce à quoi je pensais sans mettre des mots dessus.

    Malheureusement c'est difficile de dire ça en colle à un.e élève à qui j'indique la solution :-D

    Quant au lien avec l'ANS, je ne le vois pas immédiatement, mais il y a moyen de réinterpréter ta réinterprétation de ma solution comme une sorte d'analyse non standard: si on a un espace $X$ (je reste vague sur "espace"), $\mathcal{U}$ un ultrafiltre non principal sur $\mathbb{N}$, on peut former $X^* = X^\mathbb{N}/\mathcal{U}$ qui "ressemble" à $X$. Ici on a en fait uniquement un filtre (le filtre de Fréchet - la relation induite correspond à ton $\sim$) - mais pas mal de propriétés restent similaires. Par hypothèse, $f$ se factorise par $\mathbb{Z}^*$ - ce qui fait le lien avec "l'ANS".
  • Oui, je n'avais rien de plus précis en tête que ce que tu as écrit à propos d'un éventuel lien avec l'ANS.
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