Dimension du noyau d'une composée

Bonjour,

Voilà mon exercice :
Soient $E$ un espace vectoriel de dimension finie, et $f, g$ deux endomorphismes de $E$.
Pour $u$ une application linéaire, on notera $K_u$ la dimension de son noyau.
Montrer $$K_f+K_g\geq K_{g\circ f}$$

1. J'appelle $h$ la restriction de $g$ à $f(E)$.
Alors $\ker(h)\subset\ker(g)$, et donc $K_h\leq K_g$.
2. Je montre que $Im(g\circ f)=Im(h)$, d'où l'égalité de leurs rangs.
3. Avec le théorème du rang appliqué à $h$ : $Rg(h)=Rg(f)-K_h$.
4. Avec le théorème du rang appliqué à $g\circ f$, puis en cours de calcul à $f$ :
\begin{align*}
\dim(E)&=K_{g\circ f}+Rg(g\circ f)\\
&=K_{g\circ f}+Rg(h)\\
&=K_{g\circ f}+Rg(f)-K_h\\
&=K_{g\circ f}+\dim(E)-K_f-K_h
\end{align*}
On en déduit
$$\K_{g\circ f}-K_f=K_h\leq K_g$$
Cqfd.

Cette trame est-elle correcte, ou bien ai-je laissé traîner un truc important quelque part ?

On imagine bien que si $E$ n'est plus de dimension finie, mais que $K_f$ et $K_g$ sont finies, le résultat subsiste...
Comment le démontrer dans ce cas ?

Merci à tous !

Réponses

  • Ça m'a l'air OK.

    En dimension infinie, on peut procéder ainsi. Je préfère penser à des applications linéaires $f:E\to F$ et $g:F\to G$ plutôt qu'à des endomorphismes (on peut bien supposer $E=F=G$ si on veut). On commence par choisir une base $b$ de $\ker f$ et un supplémentaire $E'$ de $\ker f$. La restriction de $f$ à $E'$ induit un isomorphisme $f':E'\to\newcommand{\im}{\mathop{\mathrm{im}}}\im f$. On choisit une base $c'$ de $\im f\cap\ker g$ que l'on complète en une base $c'\cup d$ de $\ker g$. (Pour référence ultérieure, on complète cette famille en une base $c'\cup d\cup e$ de $F$.) On note $c={f'}^{-1}(c')$. (Pour référence ultérieure, on complète $c$ en une base $c\cup a$ de $E'$.)

    Là, on doit tout avoir en mains. La famille $b\cup c$ est une base de $\ker g\circ f$, la famille $b$ est une base de $\ker f$, la famille $c'\cup d$ une base de $\ker g$ et il y a autant de vecteurs dans $c$ que dans $c'$.

    Dessin :
    \[\xymatrix@R=.15cm{E\ar[r]^{f}&F\ar[r]^{g}&G\\
    b\ar[r]&0\\
    c\ar[r]^{1:1}&c'\ar[r]&0\\
    &d\ar[r]&0\\
    a\ar[r]^{1:1}&a'\ar[r]^{1:1}&a''\\
    &e\ar[r]^{1:1}&e'.}\]
  • Merci Math Coss. Je vois le topo.

    En dimension infinie, théorème de la base incomplète et existence du complémentaire, c'est lié à l'axiome du choix ?

    Pour fixer mes idées sur un exemple, $C^0(\R,\R)$ admet donc une base ? ça ressemble à quoi ?
  • L'axiome du choix est équivalent à l'existence d'une base dans n'importe quel espace vectoriel. Pour des espaces compliqués comme $\mathcal C^0(\mathbb R, \mathbb R)$, on est incapable de donner explicitement une telle base, mais si on invoque l'axiome du choix, on peut au moins dire qu'il en existe une.
  • Attention : il faut absolument distinguer « le complémentaire » et « un supplémentaire » ! Tu peux me dire les deux différences ?

    Pour en revenir à l'exercice, c'est au fond le même argument que le tien, sauf qu'au lieu d'utiliser l'égalité numérique du théorème du rang, j'ai utilisé le lemme qui permet de la démontrer (une application linéaire induit un isomorphisme de tout supplémentaire du noyau sur l'image).
  • Math Coss a écrit:
    Je préfère penser à des applications linéaires $f:E\to F$ et $g:F\to G$ plutôt qu'à des endomorphismes (on peut bien supposer $E=F=G$ si on veut).

    Remarque très pertinente.
    jp nl a écrit:
    On imagine bien que si $E$ n'est plus de dimension finie, mais que $K_f$ et $K_g$ sont finies, le résultat subsiste...

    Bien sûr. Classiquement :
    \begin{gather}x\in\mathrm{Ker}(g\circ f)\implies g(f(x))=0\implies f(x)\in\mathrm{Ker}(g)\\x\in\mathrm{Ker}(f)\implies g(f(x))= 0 \implies x\in\mathrm{Ker}(g\circ f)\end{gather}
    ce qui justifie :
    — l'existence, par restriction de \(f\), d'une application linéaire \(\tilde f\) de \(\mathrm{Ker}(g\circ f)\) dans \(\mathrm{Ker}(g)\), pour laquelle:
    \begin{align}\mathrm{Ker}(\tilde f)&=\mathrm{Ker}(g\circ f)\cap\mathrm{Ker}(f)& \mathrm{Im}(\tilde f)&\subset\mathrm{Ker}(g)\end{align}
    — l'inclusion de \(\mathrm{Ker}(f)\) dans \(\mathrm{Ker}(g\circ f)\), qui fournit :
    \[\mathrm{Ker}(\tilde f)=\mathrm{Ker}(f).\]
    Et dès que les noyau sont de dimensions finies, la formule du rang pour \(\tilde f\) fournit:
    \[\dim\mathrm{Ker}(g\circ f) = \dim\mathrm{Ker}(\tilde f)+\dim\mathrm{Im}(\tilde f)\leqslant\dim\mathrm{Ker}(f)+\dim\mathrm{Ker}(g).\]
  • Merci à tous.


    Je ne suis pas au fait de l'axiome du choix, mais une petite question ("culturelle") :
    Mon espace vectoriel $C^0(\R,\R)$ a-t-il une base dénombrable ?

    Je recommence, suite à ce malheureux lapsus (un supplémentaire/le complémentaire) :
    Existence d'un supplémentaire, c'est lié pour moi (en dimension finie (tu)) au théorème de la base incomplète.
    Pareil en dimension infinie ?

    Chouette cette restriction $\tilde{f}$ !
  • jp nl a écrit:
    Mon espace vectoriel $C^0(\R,\R)$ a-t-il une base dénombrable ?

    La famille \((x \mapsto\lvert x-a\rvert)_{a\in\R}\) ne serait-elle pas libre dans le \(\R\)-espace vectoriel \(C^0(\R,\R)\) ?
  • Ok. Je l'écris, pour voir si ça colle.
    Soit $n\in\N^*$ et $(a_1,...,a_n)\in\R^n$, les $a_i$ tous distincts.
    Il suffit de montrer que la famille $(x\mapsto|x-a_i|)_{1\leq i\leq n}$ est libre.
    Supposons qu'il existe $(\alpha_1,...,\alpha_n)\in\R^n-\{0_{\R^n}\}$ tel que $f : x\mapsto \sum_{i=1}^n\alpha_i|x-a_i|$ soit nulle.
    Alors, en choisissant $i_0$ tel que $\alpha_{i_0}\neq0$ :
    1) $x\mapsto \alpha_{i_0}|x-a_{i_0}|$ n'est pas dérivable en $a_{i_0}$.
    2) Pour $i\neq i_0, x\mapsto \alpha_{i}|x-a_{i}|$ est dérivable en $a_{i_0}$,
    donc par somme, $f$ n'est pas dérivable en $a_{i_0}$. Or $f$ est la fonction nulle, dérivable sur $\R$.
    Contradiction : la famille est libre.

    Donc cette famille libre peut être complétée en une base, dont le cardinal ne sera pas dénombrable.
    Pourquoi une autre base ne serait-elle pas dénombrable ?
  • Peut-être parce que toutes les bases ont le même cardinal… qui est la dimension de l'espace vectoriel.
  • Il y a un lien évident : le théorème de la base incomplète implique l'existence de supplémentaires. Étant donnée un sous-espace $F$ dans un espace $E$, on part d'une base $b$ de $F$, on la complète en une base $b\cup c$ de $E$ (avec un abus de langage déjà utilisé plus haut), alors l'espace engendré par $c$ est un supplémentaire de $F$.

    À l'envers, admettons l'existence de supplémentaires et fixons un corps $K$. Cela signifie que $K$ est un anneau semi-simple (tout module admet un supplémentaire : jusque là, ce n'est qu'une reformulation). Par non-sens abstrait, cf. par exemple le théorème 1.3.1.1 de ce cours de Pierre Baumann, tout $K$-module $E$ (ce n'est rien d'autre qu'un espace vectoriel sur $K$...) est somme directe de modules simples, c'est-à-dire qu'il existe une famille $(E_i)_{i\in I}$ de $K$-modules simples telle que $E=\bigoplus_{i\in I}E_i$. Ici, un $K$-module simple est un espace vectoriel non réduit à $\{0\}$ qui n'admet pas de sous-espace strict : c'est donc une droite vectorielle (l'espace est l'espace engendré par un vecteur non nul quelconque). Le choix d'un vecteur non nul dans chaque $E_i$ fournit une base de $E$.

    On voit bien que cette démonstration du théorème de la base incomplète est bien hypocrite : elle utilise l'axiome du choix d'une façon plus compliquée que la démonstration habituelle.
  • @ gb :
    Toutes les bases ont le même cardinal... Le lemme de l'échange généralisé à la dimension infinie ?

    @ Math Coss :
    Oups. Largué, mais... ce n'est pas grave !
  • @MathCoss: en quoi cette façon est-elle plus compliquée ? En jetant un oeil à la preuve que tu cites, il s'agit de la même preuve qu'en dimension finie, sauf qu'on n'a pas une famille génératrice finie pour nous protéger, et qu'il faut se jeter dedans; et c'est Zorn qui nous rattrape
  • Je reformule un peu. On appelle espace vectoriel simple sur un corps fixé $K$ un espace vectoriel non réduit à $\{0\}$ qui n'admet pas de sous-espace strict. Soit $S$ un sous-espace vectoriel simple. On vérifie que $S$ est une droite vectorielle comme d'habitude. En effet, soit $v$ un élément non nul de $S$. L'application $f:K\to S$, $k\mapsto kv$ est un isomorphisme (son image est un sous-espace de $S$ qui contient $v$ et si $k\in K^*$, alors $\frac1kf(k)=v\ne0$ donc $f(k)\ne0$). Ainsi, $S=Kv=\{kv,\ k\in K\}$ et tout espace vectoriel simple est isomorphe à $K$. Much ado about nothing...

    Le théorème tiré du cours de Baumann dit que pour des raisons « formelles » (enfin, il y a le lemme du choix quand même), si on admet que tout sous-espace admet un supplémentaire, alors tout espace vectoriel est somme directe (finie ou pas) de sous-espaces simples, c'est-à-dire de droites. Ça, c'est le théorème de la base incomplète.

    La morale, c'est que le théorème de la base incomplète (qui donne l'essentiel de la structure des espaces vectoriels) est essentiellement équivalent à la conjonction de deux faits : d'une part l'existence de supplémentaires (non triviale), d'autre par la description des espaces vectoriels simples (la trivialité en début de post).
  • @Maxtimax : C'est à peu près la même chose mais si on se restreint aux espaces vectoriels, c'est plus compliqué parce qu'on fait semblant de ne pas savoir que les seuls modules semi-simples sont les espaces vectoriels qui admettent une base. Bon, je ne me battrai pas sur cette estimation subjective.
  • @MathCoss: oui, c'est subjectif, ça n'avancera à rien

    @jpnl: En fait en dimension infinie l'argument est différent: soit $B,B'$ deux bases de $E$ (on peut les supposer infinies car si l'une est finie, l'autre aussi et donc les théorèmes classiques s'appliquent) Pour $b\in B$, je note $B'_b$ une partie finie de $B'$ qui suffit à générer $b$.

    Alors $\displaystyle\bigcup_{b\in B} B'_b$ génère $E$ et est incluse dans $B'$: c'est donc $B'$. Donc $|B'|\subset \displaystyle\sum_{b\in B}|B'_b| \subset \displaystyle\sum_{b\in B} \aleph_0 \subset |B|\aleph_0$. Mais $B$ est infinie donc $|B|\aleph_0 = |B|$. Donc $|B'|\leq |B|$.

    ¨Par symétrie, $|B|\leq |B'|$, et donc par Cantor-Bernstein, $|B|=|B'|$: cela prouve l'unicité du cardinal d'une base en dimension infinie.

    Dans ce message je montre comment dans certains cas on peut calculer cette dimension à partir du cardinal de l'espace. Ici ce n'est pas le cas car $|C^0(\R,\R)|= |\R|=\mathfrak{c}$; mais cela nous indique tout de même que la dimension n'est pas $>|\R|$. Comme on a exhibé une famille libre de cardinal $|\R|$, on en déduit que la dimension est $|\R|= \mathfrak{c}$: aucune chance de trouver une base dénombrable ;-)
  • Merci à tous !
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