Composition des polynômes

Je suis en train d'étudier Toute l'Algèbre de la licence de JP Escofier et je butte sur le chapitre des polynômes, tout particulièrement concernant leur composition.

La composition des polynômes semble une opération naturelle; on a par exemple $P(X) = X^3$ et $Q(X) = X + 1$, alors $P(Q(X)) = (X + 1)^3$. C'est l'opération classique type $P \circ Q$.

Sauf que les polynômes ne sont pas définis comme des applications, mais comme les éléments d'une algèbre commutative unitaire (acu) sur un corps $\K$; avec $1, X, X^2, \ldots$ désignant les vecteurs d'une base, et non des puissances d'un bidule appelé $X$.

Vers la fin du chapitre, on nous dit que $\K[X]$ possède une propriété universelle: pour toute autre algèbre $A$ sur $\K$ et tout élément $a$ de $A$, il existe un unique morphisme d'acu $\phi: \K[X] \to A$ telle que $\phi(X) = a$. Le texte ne le dit pas, mais il apparaît ainsi que $\K[X]$ est simplement une acu libre sur un ensemble singleton.

Et au tout dernier paragraphe du chapitre, l'auteur définit la composition de polynômes sur la base de cette propriété universelle: pour obtenir le polynôme $P(Q(X))$, on considère l'unique morphisme d'acu $\gamma_Q$ de $\K[X]$ dans lui-même qui envoie $X$ sur $Q$; alors $P(Q(X)) = \gamma_Q(P)$. En réfléchissant bien, on arrive à voir que ça correspond bien à peu près à ce qu'on entend par composition de polynômes.

Mais ça s'arrête là. L'auteur se contente alors d'affirmer que le $P(Q(X))$ ainsi obtenu correspond à la fonction polynôme $p \circ q$, avec $p, q$ les fonctions polynôme correspondant à $P, Q$ respectivement. (Les fonctions polynôme étant elles-mêmes définies à partir de la propriété universelle, appliquée à la $\K$-acu des applications de $\K$ sur lui-même, en faisant $\phi(X) = $ l'identité de $\K$.)

Je ne vois pas comment on démontre ça.

Par ailleurs, l'auteur en réalité utilise la composition des polynômes plusieurs fois bien avant de l'avoir définie, comme s'il s'agissait d'une opération évidente. Et en particulier, après avoir défini la dérivation d'un polynôme simplement par son effet sur les vecteurs de base - $D(X^m) = m X^{m-1}$ - il considère comme évident que la dérivée par exemple de $(X + a)^m$ est $m (X + a)^{m-1}$, appliquant visiblement par automatisme la formule de dérivation connue sur les fonctions composées. Nulle part on n'a de démonstration de cette formule. (On peut la démontrer en développant $(X + a)^m$ par la formule du binôme, mais l'auteur ne le fait pas et c'est artificiel.)

Alors ma question est:

- Comment démontrer, dans ce cadre (celui d'une acu libre sur un singleton, avec la propriété universelle correspondante) que la fonction polynôme correspondant à une composition de polynômes est la composition des fonctions polynôme correspondantes?

- Comment démontrer que la dérivation appliquée à la composition des polynômes donne la formule habituelle; c'est-à-dire que $D(P \circ Q) = (D(P) \circ Q) D(Q)$?

Je n'arrive tout simplement pas à savoir par où commencer pour montrer ces deux résultats. J'ai l'impression qu'il y a quelque chose de plus profond qu'on nous le dit dans le livre à propos des polynômes, concernant la structure de monoïde qui résulte de leur composition; mais je n'arrive pas bien à gratter cette profondeur. J'ai l'impression en particulier que la définition de la dérivée de $X^m$ n'est pas simplement une formule arbitraire calquée artificiellement sur ce qu'on sait de la dérivée d'une fonction numérique $x \mapsto x^m$; c'est peut-être en fait la seule possibilité de définir $D$ linéaire $K[X] \to K[X]$ de manière à obtenir, justement, la formule $D(P \circ Q) = (D(P) \circ Q) D(Q)$. Mais c'est là juste une intuition.

Je vous remercie pour tout éclaircissement.

Réponses

  • Le but est de montrer que $\phi(\gamma_Q(P)) = \phi(P) \circ \phi(Q)$. Tout est linéaire en $P$ donc il suffit de l'établir pour chaque $X^m$. Pour $m=0$ et $m=1$ le résultat est évident. Pour $P=X^2$, on a d'un côté $\phi(P) \circ \phi(Q) = \phi(X \times X) \circ \phi(Q) = (\phi(X) \times \phi(X)) \circ \phi(Q) = (\phi(X) \circ \phi(Q)) \times (\phi(X) \circ \phi(Q)) = \phi(Q) \times \phi(Q)$, tandis que, $\gamma_Q(P) = \gamma_Q(X \times X) = \gamma_Q(X) \times \gamma_Q(X) = Q \times Q$ et donc $\phi(\gamma_Q(P)) = \phi(Q \times Q) = \phi(Q) \times \phi(Q)$. On se sert simplement du fait que $\phi$ et $\gamma_Q)$ sont des morphismes d'algèbres. Les autres puissances s'obtiennent de la même manière par récurrence.
  • J'allais t'écrire un truc beaucoup plus élémentaire, mais puisque Poirot a répondu à ta question, ça ne va pas servir à grand chose...

    Néanmoins, je te donnerai quand même un conseil : trouve-toi un meilleur livre. Au début de mes études, j'ai acheté les livres de chez Dunod (Toute l'algèbre de la licence, Analyse 1ère année, Analyse 2ème année) parce que les profs les recommandaient, mais ils n'ont jamais été suffisants. Ils sont très souvent incomplets ou imprécis. Là je viens de finir mon Master, et de tous les livres que j'ai, ce sont de loin ceux que j'ai le moins utilisés, parce qu'ils ne vont pas assez dans les détails et restent trop souvent à un niveau trop élémentaire.
  • Merci Homo Topi - as-tu des conseils pour un meilleur livre, sur le sujet?

    Je suis assez orienté «abstraction» et catégories, parce que j'ai une mauvaise mémoire et me trompe facilement dès que c'est calculatoire. Si tu as des références, sur les polynômes en particulier, dans ce sens, ça m'intéresse.
  • David Olivier écrivait:

    > Vers la fin du chapitre, on nous dit que $\K[X]$
    > possède une propriété universelle: pour toute
    > autre algèbre $A$ sur $\K$ et tout élément $a$
    > de $A$, il existe un unique morphisme d'acu $\phi:\K[X] \to A$
    > telle que $\phi(X) = a$.

    Tout est dit, là.

    > on considère
    > l'unique morphisme d'acu $\gamma_Q$ de $\K[X]$
    > dans lui-même qui envoie $X$ sur $Q$; alors
    > $P(Q(X)) = \gamma_Q(P)$.

    OK

    > Les
    > fonctions polynômes étant elles-mêmes définies
    > à partir de la propriété universelle,
    > appliquée à la $\K$-acu des applications de $\K$
    > sur lui-même, en faisant $\phi(X) = $ l'identité
    > de $\K$.

    Très bien

    > L'auteur se contente alors
    > d'affirmer que le $P(Q(X))$ ainsi obtenu
    > correspond à la fonction polynôme $p
    \circ q$, avec $p, q$ les fonctions polynôme
    > correspondant à $P, Q$ respectivement.

    C'est une conséquence immédiate de la propriété universelle. Ce que tu demandes, c'est de voir pourquoi le diagramme
    $$\xymatrix{

    \mathbf K[X] \ar[d]^{\gamma_Q} \ar[r]_{\varphi} & \mathbf K^{\mathbf K}\ar[d]^{\cdot \circ \varphi(Q)} \\
    \mathbf K[X] \ar[r]_{\varphi} &\mathbf K^{\mathbf K}
    }$$
    commute, où $\varphi$ est le morphisme "fonction polynôme associée".

    Il suffit de regarder l'image du $X$ quand on va du haut à gauche au bas à droite. Pour les deux chemins, l'image est $q=\varphi(Q)$. Par l'unicité dans la propriété universelle, on a bien la commutativité du diagramme, autrement dit, pour tout $P$, $\varphi(P)\circ \varphi(Q)=\varphi(P(Q))$.
  • Ça vaut bien la peine de se décarcasser...
  • Si on commence à parler de propriété universelle, c'est bien pour que ça serve à quelque chose, non ?
  • Je m'adressais juste à David Olivier qui a gentiment ignoré ma réponse. Je suis tout à fait d'accord avec ce que tu as écrit. J'avais tenté de raisonner comme ça mais ne m'en étais pas sorti.
  • Tu veux que la dérivée vérifie la formule de Leibniz : d(fg) = d(f)g +fd(g). C’est pour cela qu’on pose d(x^n)=n x^{n-1}, si on fixe x’=1.

    Pour ta formule de dérivée de la composée, il suffit d’appliquer la règle de Leibniz à P^n puis par linéarité de la dérivation.

    Remarque : en général les dérivations de k[x] sont déterminées par la dérivée de x, qui peut être qui tu veux.
  • Poirot, je te remercie pour ta réponse et n'ai ignoré la réponse de personne. Ou plutôt, j'ai ignoré la réponse de tout le monde, sauf celle de Homo Topi, d'un caractère général (sur les bouquins).

    C'est que je suis lent et n'ai que peu de temps pour les maths. Il me faut du temps pour digérer les choses.
  • Bon, après réflexion détaillée sur la réponse de GaBuZoMeu (lent je suis - j'ai vérifié comme il faut que «$\cdot \circ \phi(Q)$» est bien morphisme d'algèbre commutative unitaire), je constate qu'elle correspond très exactement à ce que je demandais, concernant les fonctions polynômes. Merci donc à lui pour cela.

    Je vais me plonger dans celle de Poirot, parce qu'elle m'intrigue.

    Par contre, personne n'a répondu concernant la dérivée.

    Sauf Colas, mais ce n'est pas ce que je demandais. Je parlais de la composition des polynômes, pas de leur produitL
  • Tu te trompes : voici une réponse plus détaillée.

    Soit P,Q deux polynômes

    Alors, P(Q) = somme a_p Q^p
    Donc P(Q) ‘ = somme (a_p Q^p)’

    Or d’après ce que je t’ai dit, Q^p ‘ = p Q^{p-1} Q'

    Ce qui répond à ta question.
  • Colas : il te manque un $Q'$ dans ta formule pour $(Q^p)'$
  • Pas faux, merci !
  • Colas écrivait:
    > Tu te trompes :

    Je me trompais en effet. Je te remercie pour ta réponse. J'avais fait la bêtise de ne lire que la première ligne.

    J'ai donc la réponse à mes deux questions.

    Je n'ai pas oublié Poirot, mais je n'ai pas non plus eu le temps de me pencher dessus.

    En tout cas, je vous remercie tous.
  • Ta réponse marche effectivement bien, Poirot. J'ai l'impression en fait qu'il n'y a pas besoin de récurrence.

    Si $P = \sum_n a_n X^n$, par linéarité + conservation des produits, on a $\phi(\gamma_Q(P)) = \sum_n a_n (\phi(\gamma_Q(X)))^n = \sum_n a_n (\phi(Q))^n$. Par ailleurs, $\phi(P) \circ \phi(Q) = (\sum_n a_n (\phi(X))^n) \circ \phi(Q) = (\sum_n a_n {Id_{\K^\K}}^n) \circ \phi(Q) = \sum_n a_n (\phi(Q))^n$. D'où le résultat.

    Merci donc pour cet éclairage, qui est utile pour comprendre l'intimité du fonctionnement de la chose, alors que la réponse de GaBuZoMeu est plus aérienne.
  • Et l'associativité de la composition des polynômes, hein? Je me suis posé la question, et pour le coup, j'y ai répondu.

    Pour la clarté, à la place de la notation style $P(Q)$, je vais écrire $P \ast Q$. Je définis $P \ast Q$ comme $\gamma_Q(P)$, avec $\gamma_Q$ l'unique morphisme d'acu tel que $\gamma_Q(X) = Q$.

    Il s'agit donc de montrer que $(P \ast Q) \ast R = P \ast (Q \ast R)$.

    On a $P \ast (Q \ast R) = \gamma_{Q \ast R}(P) = \gamma_{\gamma_R(Q)}(P)$.

    De l'autre côté, $(P \ast Q) \ast R = \gamma_R(P \ast Q) = \gamma_R(\gamma_Q(P)) = (\gamma_R \circ \gamma_Q)(P)$.

    Notre problème est donc de montrer l'égalité de $\gamma_{\gamma_R(Q)}(P)$ et $(\gamma_R \circ \gamma_Q)(P)$.

    Tant $\gamma_{\gamma_R(Q)}$ que $\gamma_R \circ \gamma_Q$ sont des morphismes d'acu de $\K[X]$ vers la même acu $\K[X]$, donc selon la propriété universelle il suffit pour montrer leur égalité de la montrer sur $X$.

    $\gamma_{\gamma_R(Q)}(X) = \gamma_R(Q)$

    $(\gamma_R \circ \gamma_Q)(X) = \gamma_R(\gamma_Q(X)) = \gamma_R(Q) = \gamma_{\gamma_R(Q)}(X)$

    Il s'ensuit que $\gamma_{\gamma_R(Q)} = \gamma_R \circ \gamma_Q$, et donc notre loi $\ast$ de composition des polynômes est bien associative.
  • Un bon exemple pour voir qu'un diagramme, c'est plus lisible !
    $$\xymatrix{



    \mathbf K[X] \ar[d]^{\gamma_Q} \ar[dr]^{\gamma_{Q(R)}} & \\

    \mathbf K[X] \ar[r]_{\gamma_R} &\mathbf K[X]

    }$$
    L'image de $X$ par les deux chemins est la même : $\gamma_R(Q)=Q(R)$
  • Le problème avec les diagrammes, c'est qu'il faut avoir un niveau agrégation de LaTeX pour les faire.
  • Ce n'est pas plus difficile que d'écrire une matrice en LaTeX;
Connectez-vous ou Inscrivez-vous pour répondre.