Insomnies sesquilinéaires
dans Algèbre
Ce message n'est pas pour résoudre un problème mais pour rapporter une idée géniale que j'ai eue vers trois heures du matin.
Enfin, géniale... en tout cas, je suis content de moi.
C'est que je suis un peu perdu dans les histoires de produit scalaire hermitien. Non qu'il y ait un truc précis que je n'arrive pas à comprendre, mais l'ensemble me semble touffu et peu transparent. On a affaire à des applications antilinéaires, des applications à moitié antilinéaires au lieu de bilinéaires, etc. On ne peut plus (à ma connaissance) utiliser les jolis résultats des catégories, ni les produits tensoriels...
Donc pendant mon insomnie, j'ai eu l'illumination suivante.
Soit un espace vectoriel complexe $\mathcal E = (E, +, \cdot)$. Je note ici différemment l'ensemble $E$ et l'espace vectoriel correspondant.
L'idée est qu'on peut lui associer un autre espace vectoriel complexe, que je note $\bar {\mathcal E}$, défini sur le même ensemble $E$, par:
$\bar {\mathcal E} = (E, +, \bar \cdot)$
avec $\bar \cdot$ (noter la barre au-dessus) définie comme il se doit comme une opération $E \times \C \to E$, par:
$a \bar \cdot \vec u = \bar a \cdot \vec u$
On vérifie facilement que ça fait bien un espace vectoriel.
J'imagine que cette idée je ne suis pas le seul à l'avoir eue. Est-ce que cet $\bar {\mathcal E}$ a un nom? Je vais l'appeler le conjugué de $\mathcal E$.
Notons qu'une application linéaire entre deux espaces vectoriels complexes $\mathcal E$ basé sur $E$ et $\mathcal F$ basé sur $F$ est linéaire $\mathcal E \to \mathcal F$, antilinéaire $\bar {\mathcal E} \to \mathcal F$ ou $\mathcal E \to \bar {\mathcal F}$, mais enfin linéaire aussi $\bar {\mathcal E} \to \bar {\mathcal F}$. Il s'agit de la même application en termes ensemblistes, mais avec des propriétés différentes selon les espaces considérés.
L'avantage de l'introduction de cet espace $\bar {\mathcal E}$ est de permettre de se ramener à des opérations linéaires, là où sinon on se retrouve avec de l'antilinéarité. Aussi, on peut tirer avantage des produits tensoriels et autres outils définis sur des applications linéaires.
Une forme sesquilinéaire $\sigma: E \times E \to \C$ peut se ramener à une forme bilinéaire, à condition de la définir sur $\bar {\mathcal E} \times \mathcal E$ (ou sur $\mathcal E \times \bar {\mathcal E}$ selon la convention). Dès lors, on a l'équivalence classique entre $L(\bar {\mathcal E}, \mathcal E; \C)$ et $L(\bar {\mathcal E} \otimes \mathcal E, \C$).
Ainsi, on peut ramener un produit scalaire hermitien $\sigma$ à une application linéaire $\sigma_\otimes: \bar {\mathcal E} \otimes \mathcal E \to \C$, ou encore à une application linéaire $\sigma_L: \bar {\mathcal E} \to \mathcal E^*$.
S'agissant d'un produit scalaire, on montre comme classiquement que ce $\sigma_L$ est injectif, ce qui entraîne, en dimension finie, qu'il s'agit d'un isomorphisme entre $\bar {\mathcal E}$ et $\mathcal E^*$.
On peut se servir de tout ça pour construire, en dimension finie, l'adjoint d'un endomorphisme $\phi: \mathcal E \to \mathcal E$, de la façon suivante.
Nous pouvons former, de façon classique, sa transposée $\,^t\phi: \mathcal E^* \to \mathcal E^*$. Comme $\sigma_L: \bar {\mathcal E} \to \mathcal E^*$ est un isomorphisme, nous obtenons une nouvelle application linéaire $\psi = \sigma_L^{-1} \circ \,^t\phi \circ \sigma_L$. Par construction, $\psi$ est une application linéaire $\bar {\mathcal E} \to \bar {\mathcal E}$, mais on a vu plus haut que de fait il s'agit alors aussi d'une application linéaire $\mathcal E \to \mathcal E$.
On va voir que $\psi$ est très exactement l'adjoint $\phi^\dagger$ de $\phi$.
Soient en effet deux vecteurs quelconques $\vec u$ et $\vec v$ de $E$. Par définition du produit scalaire $\sigma$, on a $<\psi(\vec u), \vec v> = \sigma(\psi(\vec u), \vec v) = \sigma_L(\psi(\vec u))(\vec v)$. De même, $<\vec u, \phi(\vec v)> = \sigma_L(\vec u)(\phi(\vec v))$.
Calculons donc $<\psi(\vec u), \vec v> = \sigma_L(\psi(\vec u))(\vec v)$, et d'abord $\sigma_L(\psi(\vec u))$:
$\sigma_L(\psi(\vec u)) = (\sigma_L \circ \psi)(\vec u) = (\sigma_l \circ \sigma_L^{-1} \circ \,^t\phi \circ \sigma_L)(\vec u) = (\,^t\phi \circ \sigma_L)(\vec u) = \,^t\phi(\sigma_L(\vec u)) = \sigma_L(\vec u) \circ \phi$.
Donc $<\psi(\vec u), \vec v> = \sigma_L(\psi(\vec u))(\vec v) = (\sigma_L(\vec u) \circ \phi)(\vec v) = \sigma_L(\vec u)(\phi(\vec v)) = <\vec u, \phi(\vec v)>$.
On obtient bien la formule définissant $\psi$ comme adjoint de $\phi$.
Ce que j'aime beaucoup là-dedans, c'est que l'antilinéarité est pratiquement absente du raisonnement. Elle est présente uniquement dans le fait que $\psi$ est initialement défini comme endomorphisme sur $\bar {\mathcal E}$, mais on s'est immédiatement ramené au cas d'un endomorphisme sur $\mathcal E$. Cela mis à part, le raisonnement est identique à celui qu'on peut tenir dans le cas réel.
Avec à peu près la même facilité, on peut calculer la matrice de l'application adjointe.
Comme je le disais, je ne dois pas être l'inventeur de ce point de vue. Je ne l'ai cependant jamais rencontré; et je trouve dommage qu'il ne soit pas largement enseigné, parce que je pense que cela permettrait de clarifier l'ensemble du sujet.
Enfin, géniale... en tout cas, je suis content de moi.
C'est que je suis un peu perdu dans les histoires de produit scalaire hermitien. Non qu'il y ait un truc précis que je n'arrive pas à comprendre, mais l'ensemble me semble touffu et peu transparent. On a affaire à des applications antilinéaires, des applications à moitié antilinéaires au lieu de bilinéaires, etc. On ne peut plus (à ma connaissance) utiliser les jolis résultats des catégories, ni les produits tensoriels...
Donc pendant mon insomnie, j'ai eu l'illumination suivante.
Soit un espace vectoriel complexe $\mathcal E = (E, +, \cdot)$. Je note ici différemment l'ensemble $E$ et l'espace vectoriel correspondant.
L'idée est qu'on peut lui associer un autre espace vectoriel complexe, que je note $\bar {\mathcal E}$, défini sur le même ensemble $E$, par:
$\bar {\mathcal E} = (E, +, \bar \cdot)$
avec $\bar \cdot$ (noter la barre au-dessus) définie comme il se doit comme une opération $E \times \C \to E$, par:
$a \bar \cdot \vec u = \bar a \cdot \vec u$
On vérifie facilement que ça fait bien un espace vectoriel.
J'imagine que cette idée je ne suis pas le seul à l'avoir eue. Est-ce que cet $\bar {\mathcal E}$ a un nom? Je vais l'appeler le conjugué de $\mathcal E$.
Notons qu'une application linéaire entre deux espaces vectoriels complexes $\mathcal E$ basé sur $E$ et $\mathcal F$ basé sur $F$ est linéaire $\mathcal E \to \mathcal F$, antilinéaire $\bar {\mathcal E} \to \mathcal F$ ou $\mathcal E \to \bar {\mathcal F}$, mais enfin linéaire aussi $\bar {\mathcal E} \to \bar {\mathcal F}$. Il s'agit de la même application en termes ensemblistes, mais avec des propriétés différentes selon les espaces considérés.
L'avantage de l'introduction de cet espace $\bar {\mathcal E}$ est de permettre de se ramener à des opérations linéaires, là où sinon on se retrouve avec de l'antilinéarité. Aussi, on peut tirer avantage des produits tensoriels et autres outils définis sur des applications linéaires.
Une forme sesquilinéaire $\sigma: E \times E \to \C$ peut se ramener à une forme bilinéaire, à condition de la définir sur $\bar {\mathcal E} \times \mathcal E$ (ou sur $\mathcal E \times \bar {\mathcal E}$ selon la convention). Dès lors, on a l'équivalence classique entre $L(\bar {\mathcal E}, \mathcal E; \C)$ et $L(\bar {\mathcal E} \otimes \mathcal E, \C$).
Ainsi, on peut ramener un produit scalaire hermitien $\sigma$ à une application linéaire $\sigma_\otimes: \bar {\mathcal E} \otimes \mathcal E \to \C$, ou encore à une application linéaire $\sigma_L: \bar {\mathcal E} \to \mathcal E^*$.
S'agissant d'un produit scalaire, on montre comme classiquement que ce $\sigma_L$ est injectif, ce qui entraîne, en dimension finie, qu'il s'agit d'un isomorphisme entre $\bar {\mathcal E}$ et $\mathcal E^*$.
On peut se servir de tout ça pour construire, en dimension finie, l'adjoint d'un endomorphisme $\phi: \mathcal E \to \mathcal E$, de la façon suivante.
Nous pouvons former, de façon classique, sa transposée $\,^t\phi: \mathcal E^* \to \mathcal E^*$. Comme $\sigma_L: \bar {\mathcal E} \to \mathcal E^*$ est un isomorphisme, nous obtenons une nouvelle application linéaire $\psi = \sigma_L^{-1} \circ \,^t\phi \circ \sigma_L$. Par construction, $\psi$ est une application linéaire $\bar {\mathcal E} \to \bar {\mathcal E}$, mais on a vu plus haut que de fait il s'agit alors aussi d'une application linéaire $\mathcal E \to \mathcal E$.
On va voir que $\psi$ est très exactement l'adjoint $\phi^\dagger$ de $\phi$.
Soient en effet deux vecteurs quelconques $\vec u$ et $\vec v$ de $E$. Par définition du produit scalaire $\sigma$, on a $<\psi(\vec u), \vec v> = \sigma(\psi(\vec u), \vec v) = \sigma_L(\psi(\vec u))(\vec v)$. De même, $<\vec u, \phi(\vec v)> = \sigma_L(\vec u)(\phi(\vec v))$.
Calculons donc $<\psi(\vec u), \vec v> = \sigma_L(\psi(\vec u))(\vec v)$, et d'abord $\sigma_L(\psi(\vec u))$:
$\sigma_L(\psi(\vec u)) = (\sigma_L \circ \psi)(\vec u) = (\sigma_l \circ \sigma_L^{-1} \circ \,^t\phi \circ \sigma_L)(\vec u) = (\,^t\phi \circ \sigma_L)(\vec u) = \,^t\phi(\sigma_L(\vec u)) = \sigma_L(\vec u) \circ \phi$.
Donc $<\psi(\vec u), \vec v> = \sigma_L(\psi(\vec u))(\vec v) = (\sigma_L(\vec u) \circ \phi)(\vec v) = \sigma_L(\vec u)(\phi(\vec v)) = <\vec u, \phi(\vec v)>$.
On obtient bien la formule définissant $\psi$ comme adjoint de $\phi$.
Ce que j'aime beaucoup là-dedans, c'est que l'antilinéarité est pratiquement absente du raisonnement. Elle est présente uniquement dans le fait que $\psi$ est initialement défini comme endomorphisme sur $\bar {\mathcal E}$, mais on s'est immédiatement ramené au cas d'un endomorphisme sur $\mathcal E$. Cela mis à part, le raisonnement est identique à celui qu'on peut tenir dans le cas réel.
Avec à peu près la même facilité, on peut calculer la matrice de l'application adjointe.
Comme je le disais, je ne dois pas être l'inventeur de ce point de vue. Je ne l'ai cependant jamais rencontré; et je trouve dommage qu'il ne soit pas largement enseigné, parce que je pense que cela permettrait de clarifier l'ensemble du sujet.
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