Représentation induite et groupoïdes

J'ai eu une réalisation soudaine en cours de représentations concernant la représentation induite, et je la partage donc avec vous : elle me semble montrer qu'une fois de plus, se restreindre aux groupes peut être pénalisant quand les groupoïdes nous cotoient. Ma réalisation concerne les représentations induites d'un groupe $G$ par des représentations d'un sous-groupe $H$: je me souviens la première fois que je les ai rencontrées ça m'enervait cette description assez peu attirante de l'action de $G$ sur les différents morceaux de l'induite, qui semblait si laide. En la revoyant avec le point de vue $\mathrm{Ind}_H^G = k[G]\otimes_{k[H]}-$ ça m'a un peu aidé, mais ce n'était toujours pas optimal. C'est en les revoyant en ayant entendu parler de groupoïdes que tout s'est clarifié; c'est de ça que je vous parle.

Je rappelle qu'un groupoïde est simplement une petite catégorie dans laquelle tous les morphismes sont des isomorphismes, et qu'il est dit connexe si tous ses objets sont isomorphes.
Quand un groupe $G$ agit sur un ensemble $X$, on a groupoïde associé $X\rtimes G$ qui contient toutes les informations de l'action : ses objets sont les éléments de $X$, et on a une flèche $(g,x)$ de $x$ vers $g\cdot x$ pour tout objet $x$ et élément $g\in G$, la composition étant $(h,y)\circ (g,x) = (hg, x) $.
Ce groupoïde est connexe si et seulement si l'action est transitive et pour un objet $x$, son groupe d'automorphismes est précisément $Stab(x)$, le stabilisateur. Bref.
En particulier, alors que du point de vue groupes on est tristes en voyant $G/H$ pour $H$ non distingué, du point de vue groupoïde on a $(G/H)\rtimes G$ qui est toujours un groupoïde pour l'action par permutation usuelle : on a un groupoïde qui se souvient de plus que juste les classes à gauche.

Je vais appeler ce groupoïde $B$ ($G,H$ sont fixés au long de ce que je raconte).
Pour un groupoïde $E$ fixé, on peut appeler représentation de $E$ un foncteur $E\to k-Vect$ ($k$ notre corps préféré - pour un groupoïde à un objet, aka un groupe, ça revient aux représentations usuelles).
Je prends donc $E=X\rtimes G$ pour une action de $G$ sur $X$, disons transitive pour que $E$ soit connexe, et $F$ une représentation de $E$. Je peux alors considérer un bel espace vectoriel $V=\displaystyle\bigoplus_{x\in X} F(x)$ sur lequel j'ai une belle action de $G$ gratuitement : $g\cdot (v,x) = (F(g,x)(v), g\cdot x)$ (j'ai noté $(v,x)$ le vecteur $v$ dans $F(x)$).
Ça c'est gratuit, c'est tout ce qu'il y a de plus fonctoriel, de plus canonique, de plus facile à trouver (faire un diagramme aide beaucoup à voir pourquoi c'est ça qu'il fallait considérer).

Bon bah maintenant si j'ai un $H$-représentation $W$, je peux en déduire une représentation $F$ de $B$ de la manière suivante : je choisis $g_1,...,g_k$ un système de représentants de $G/H$, $g_1=e$ disons, et je pose $F(g_iH) = W$, puis si $\alpha = (g, g_iH)$ est une flèche de $g_iH$ vers $g_jH$, je pose $F(\alpha)(v, g_iH) = (hv, g_jH)$ où $gg_i=g_jh$ (à nouveau, faire un dessin pour s'en rendre compte : on va de $g_i$ vers $g_j$ en utilisant $gg_i \sim g_j$, bah il faut twister par "la preuve que $gg_i\sim g_j$, c'est-à-dire $h$) , et bah ça ça fait la représentation induite quand on fait la somme comme juste au-dessus : et avec ce point de vue groupoïdique, tout est clair.

Ça me motive à dire la chose suivante (dont je n'ai pas plus d'exemples, mais j'imagine qu'il y en a ) : ce n'est parce qu'un groupoïde connexe est équivalent à un groupe, qu'étudier les représentations de groupoïdes revient à étudier celles de groupes.

Principe qui est analogue à la question groupe fondamental/groupoïde fondamental: le groupoïde fondamental et le groupe fondamental d'un espace connexe par arcs sont équivalents, pour autant étudier le groupoïde fondamental est bien plus simple et plus efficace. Voilà c'est un peu ce que je voulais partager, si vous avez des remarques, des questions, des raisons de me dire que je raconte n'importe quoi, n'hésitez pas.
Ah petite chose tout de même : on peut être déçu (je le suis) que cela repose tout de même sur un choix de représentants de $G/H$ : mais en un sens pour ce genre de descriptions, c'est inévitable. En effet en se référant par exemple à la construction produit tensoriel, on est ramené à définir des actions de genre $l\cdot (g\otimes v)$, où $g\otimes v$ représente plus ou moins le $v$ du $F(gH)$: seulement si on change de $g$ (en restant dans $gH$) on change le $v$ en question d'un facteur dans $H$.
Évidemment on repère automatiquement le lien avec le produit tensoriel et je ne prétends pas que c'est une "nouvelle construction de la représentation induite"; simplement je trouve que c'est une manière de voir plus agréable/intuitive. La réciprocité de Frobenius s'y voit bien à la main par exemple (alors qu'avec le produit tensoriel elle s'y voit bien par alignement de propriétés universelles)
J'espère que ça vous aura donné une idée ou deux; ou mieux encore que vous aurez plus à dire à ce sujet et que vous m'apprendrez des trucs

Réponses

  • Je suspecte d'ailleurs (enfin c'est clair, mais l'intérêt, lui, ne l'est pas forcément) qu'en partant d'un groupoïde connexe quelconque $E$, et d'une représentation, et en fixant un objet $x$ et un isomorphisme avec chaque autre objet, on aura une représentation somme de $E(x)$ (les automorphismes de $x$) qui se fera aussi par déplacement + twist de manière agréable (le fixage des isomorphismes correspond au fixage de représentants dans $G/H$), et qu'il pourrait être intéressant.

    La remarque que j'ai faite en passant à propos de "preuve que $gg_i\sim g_j$" suggère aussi qu'il y a éventuellement (ou bien je m'emballe) un cadre de catégories supérieures à envisager ici)
  • Par curiosité ce type de cours est pour quel niveau ?
  • Le cours que je suivais était un cours de M2, mais le prof n'a pas abordé ces histoires de groupoïdes, c'est moi qui ai mis cet aspect dessus
  • Salut,

    La théorie (algébrique) des $H$-représentations est une sous-théorie de celle des $G$-représentations et que $\operatorname{Ind}_H^G$ est le foncteur libre associé. On a une construction automatique qui est la $G$-représentation libre sur les éléments de $W$, quotientée par les bonnes relations. Chaque élément est une combinaison linéaire formelle de $g(x)$ avec $x \in W$ et $g \in G$. On a $(gh)(x) = g(h(x))$ lorsque $h \in H$, donc on peut réduire une somme de la forme $(gh)(x) + g(y)$ en $g(h(x)+y)$. On peut trouver une forme canonique si on veut en choisissant des représentants de $G$ modulo $H$, ou bien si on ne veut pas faire de choix on peut dire qu'on considère $gH \otimes W$ et on quotiente par une action de $H$. Je trouve ça déjà assez intuitif.

    Autant je comprends bien qu'on veuille parler de groupoïde fondamental plutôt que de groupe fondamental en topologie algébrique, autant là pas trop en quoi c'est plus clair…

    On peut dire que la représentation induite est $G \otimes W$ quotienté par les relations $(gh) \otimes x = g \otimes h(x)$ pour tout $h \in H$. Je vois ton approche comme faisant la même chose mais en séparant en plusieurs espaces. On a une copie de $W$ par élément de $g \in G$, qu'on va noter $W_g$. La flèche correspondant à $a \in G$ et partant de $W_b$ envoie $x \in W_b$ sur $x \in W_{ba}$. On identifie ensuite $x \in W_{gh}$ avec $h(x) \in W_g$. Je ne sais pas trop placer ça dans un cadre propre… mais je trouve que c'est un peu du formalisme gratuit.

    Pour la réciprocité de Frobenius est-ce que ça ne se déduit pas directement de la définition de $\operatorname{Ind}_H^G$ comme adjoint à gauche de $\operatorname{Res}_H^G$ ? (On a un isomorphisme, et en passant à la dimension, on obtient l'égalité des produits scalaires.) À moins que ce que tu appelles réciprocité de Frobenius ne soit justement cette définition.
  • Champ-Pot-Lion : merci pour ton retour; je suis au courant d'à peu près tout ce que tu dis là - la vision groupoïde me semblait simplement plus naturelle (maid visiblement ce n'est pas ton cas - en fait je n'ai pris la somme que pour retrouver l'induite; j'ai l'impression - sans pouvoir le justifier- que le bon objet n'est justement pas l'induite mais la représentation de groupoïde que je mentionne)
    Pour la réciprocité de Frobenius, je parlais bien de montrer que $\mathrm{Ind}_H^G$ est bien un adjoint de $\mathrm{Res}_H^G$, la formule pour les caractères s'en déduit bien évidemment.
  • > le bon objet n'est justement pas l'induite mais la représentation de groupoïde que je mentionne

    Mais ce serait le bon objet pour faire quoi ? L'avantage que je vois, c'est que ta construction se généralise à n'importe quelle catégorie au lieu de $k-\operatorname{Vect}$. Elle est indépendante du choix des représentants (je ne vois pas comment la formuler sans en général, sauf si on a des colimites). Mais je ne vois pas l'intérêt de généraliser comme ça.

    Pour moi ça complexifie puisque au départ on est dans un contexte d'algèbre universelle à un seul type, avec tous les éléments qui sont dans le même objet algébrique, avec des opérations uniformes dessus. Mais dans ta construction, $g(x)$ et $x$ ne sont plus "comparables", ce qui est une restriction inutile. Si on essaie de généraliser cette construction pour construire des objets libres en général, ça donne quelque chose de vraiment bizarre : il va falloir que dès qu'on veut égaler deux éléments (par un axiome), les deux ensembles dans lesquels ils sont soient rendus égaux…

    L'ensemble des entiers naturels peut être défini comme la structure libre sur le singleton pour la théorie algébrique avec un seul symbole d'arité $1$ et pas d'axiome. Je trouve que c'est comme si tu disais qu'il fallait considérer pour faire ça le diagramme $\{\star\} \to \{\star\} \to \{\star\} \to \cdots$.

    Peux-tu détailler en quoi la formule de Frobenius est plus claire avec ta construction qu'avec le produit tensoriel ? Lorsque $B$ est un sous-anneau de $A$ (non nécessairement commutatifs), dans la preuve que $\operatorname{Hom}_A(A \otimes_B M, N) \cong \operatorname{Hom}_B(M,N)$, on a des isomorphismes très explicites avec des descriptions courtes. Alors qu'avec ta construction, ça me semble plus "bricolage" ? Enfin, si c'est plus clair comme ça pour toi, tant mieux.
  • Telle quelle, elle n'est malheureusement pas indépendante du choix des représentants; je suis d'ailleurs en train de réfléchir à comment régler ça :-D
    "Le bon objet pour faire quoi" : je ne sais pas vraiment, mais en gros pour transporter des choses de $H$ vers $G$ en incorporant ce twist qu'on observe

    Effectivement on perd un peu les outils de l'algèbre universelle (quoique l'algèbre universelle à plusieurs sortes existe il me semble...)

    Alors la réciprocité de Frobenius ne s'y voit pas mieux qu'avec le tensoriel; mais elle s'y voit mieux avec les mains (alors que comme tu le suggères, avec le produit tensoriel elle s'y voit via les propriétés universelles), au sens où si j'ai $f:W\to V$ $H$-linéaire ($V$ représentation de $G$), alors pour $i$, je peux définir $f_i :F(g_iH)\to V$ par $v\mapsto g_i\cdot f(v)$ et en recollant ça marche; et en fait cela vient simplement de ce que la flèche $g_i : H\to g_iH$ relie $v$ dans $W$ et $v$ dans $F(g_iH)$ : on n'avait donc pas le choix. Et en fait là c'est vraiment à la main à la main, mais comme $V$ correspond à un foncteur $G\to k-Vect$ et on a une fibration discrète $B\to G$ donc on peut regarder les transformations naturelles $W\to V$ (gros abus de notation !) qui vont exactement coïncider avec les morphismes de l'induite vers $V$, ce qui redonne la formule juste au-dessus, un peu moins "avec les mains".

    Mais tu as peut-être raison, je me suis peut-être un peu emballé pour pas grand chose. Mais l'idée qu'en augmentant la dimension su groupoïde on puisse éventuellement faire quelque chose d'indépendant des génerateurs (alors même que je ne l'ai pas formalisée) m'a beaucoup séduite.
  • Ce que je voulais dire par "indépendant des générateurs", c'est que si on choisit deux systèmes de représentants $(g_i)_{i\in I}$ et $(g'_i)_{i\in I}$, alors les deux représentations de groupoïdes que ta construction donne sont isomorphes. Si on note $W_i$ la copie de $W$ correspondant à $g_i$ et $W'_i$ la copie de $W$ correspondant à $g'_i$, l'isomorphisme de $W_i$ vers $W'_i$ est ${g'}_i^{-1} g_i \in H$ (en considérant comme toi que le groupe agit par la gauche). Et ce que je voulais dire, c'est que je ne voyais pas comment la formuler sans système de représentants dans le cas où on n'a pas de colimite (mais c'est un peu un jeu formel dans le vide).

    Dans ta construction, il faut réfléchir (je trouve) pour définir à quel morphisme de $W_i$ vers $W_j$ doit correspondre $g$ lorsque $g g_i \sim g_j$. Alors que dans la construction "en mettant tout dans le même monde", on peut écrire directement $g(g_i(x)) = g_j(h(x))$, sans avoir besoin de dire "on voudrait cette équation, donc on va poser cette définition".
  • Ah ! Oui, heureusement parce que si ça en dépendait.. :-D

    Alors effectivement dans le même monde tu as une égalité pure et dure entre les flèches $gg_i$ et $g_jh$ donc c'est peut-être plus clair; mais un des trucs qui m'intéresse dans ma présentation (qui est un point que je n'ai pas développé parce que je ne sais pas le développer, j'y réflechis) c'est que dans $gg_i = g_jh$, on peut voir $h$ comme une preuve que $gg_i\sim g_j$; en fait comme une preuve que $gg_iH=g_jH$, et cet aspect "truc qui relie = preuve" m'a fait penser qu'en fait il pourrait y avoir des trucs catégoriques de dimension supérieure qui se cachent, genre en fait on aurait un $2$-groupoïde au départ, et ce twist qu'on observe correspond à la $2$-structure en quelque sorte. Mais là je ne suis pas sûr du tout et ce n'est que pure spéculation (pour le moment, j'espère tout de même élucider ça - quitte à me rendre compte que c'est n'importe quoi)
  • Ok, je commence à comprendre un peu mieux.

    Ça me fait penser à l'$\infty$-groupoïde associé à un complexe de chaînes de groupes abéliens. Lorsqu'on a un complexe de chaînes de groupes abéliens $\cdots \to M_2 \to M_1 \to M_0 \to \cdots$, les "flèches d'ordre $n$" de l'$\infty$-groupoïde sont les éléments de $M_n$. Les flèches de $a \in M_n$ vers $b \in M_n$ sont l'ensemble des $f \in M_{n+1}$ tels que $a + \partial(f) = b$. Le fait que $\partial^2 = 0$ correspond au fait que l'on n'a des flèches d'ordre $n+1$ qu'entre deux flèches parallèles d'ordre $n$. Le fait que la suite soit exacte correspond à la connexité de l'$\infty$-groupoïde.

    Je ne sais pas comment retrouver ta définition "automatiquement" comme conséquence d'un truc comme tu dis…
  • Oui c'est un peu similaire, dans $a + \partial f = b$, $f$ est "une preuve que $a$ est homologue à $b$", c'est le même genre d'idée; mais pour mon histoire de représentation induite je ne sais pas trop si je peux rendre précise la connexion, et si l'induite peut finalement découler d'une affaire d'$\infty$-groupoïdes (ou de $n$-groupoïdes); mais ça me plairait bien
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