Polynôme caractéristique

Bonjour,

Soient $E$ un $\mathbb{K}$-espace vectoriel de dimension finie $n$ et $\varphi\in L(E)$ un endomorphisme. Je voudrais donner une définition de $\chi_\varphi$ le polynôme caractéristique de $\varphi$ sans faire appel aux matrices (au final ça sera un peu déguisé car je vais quand même devoir utiliser une base).

Pour cela je vais avoir besoin de plusieurs ingrédients.
  1. On munit $E$ d'une base $\mathcal{B} = (e_1,\dots,e_n)$.
  2. Le déterminant en base $\mathcal{B}$ (noté $\det_\mathcal{B}$) est l'unique forme $n$ linéaire alternée telle que $\det_\mathcal{B}(e_1,\dots,e_n) = 1$.
  3. Le déterminant de $\varphi$ est l'unique valeur $\det\varphi$ telle que pour tout $n$-uplets $(v_1,\dots,v_n)$, on ait $\det_\mathcal{B}(\varphi(v_1),\dots,\varphi(v_n)) = \det\varphi\cdot \det_\mathcal{B}(v_1,\dots,v_n)$.

Enfin, la définition/propriété que je pensais donner est : le polynôme caractéristique $\chi_\varphi$ est l'unique polynôme unitaire $X^n+p_{n-1}X + \cdots + p_1X + p_0$ qui, une fois évalué en $x\in\mathbb{K}$, peut s'écrire $\chi_\varphi(x) = \det(x\mathrm{Id}_E - \varphi)$.

Est-ce rigoureux ?

En fait, souvent on trouve $\chi_\varphi(X) = \det(X\mathrm{Id}_E - \varphi)$ et je trouve qu'il est trop facile de croire que l'on peut démontrer le théorème de Cayley-Hamilton en replaçant l'indéterminée $X$ par $\varphi$ dans le déterminant.

Cordialement,
Mister Da

Réponses

  • Il y a deux modifications par rapport à la définition habituelle : d'une part, refuser de parler du déterminant d'une matrice, ce qui est contre-productif parce que quand même, on a besoin de faire des calculs de temps en temps ; d'autre part, remplacer un polynôme par une fonction polynomiale, ce qui n'est pas possible pour un corps fini. Je ne recommanderais pas cette approche. S'il s'agit seulement d'éviter l'erreur de remplacer X par A, eh bien, il n'y a qu'à la signaler et basta.
  • "l'unique polynôme unitaire de degré $n$" : comme le fait remarquer Math Coss, l'unicité n'est pas du tout claire sur un corps fini (ou si tu veux t'amuser, sur un anneau commutatif, où le polynôme caractéristique reste intéressant)

    Par ailleurs, il y a en réalité une preuve de Cayley-Hamilton qui consiste presque à "remplacer $X$ par $\varphi$" dans le polynôme, elle est un peu subtile mais elle marche bien, voir l'article wikipedia par exemple.

    De toute façon, même si je suis d'accord avec Math Coss que c'est pas super intéressant de vouloir éviter les matrices, tu peux t'en passer même ici : pour tout anneau $A$ (commutatif, unitaire) et tout entier naturel $n\geq 0$, $\bigwedge^n A^n$ est libre de rang $1$, donc tout morphisme $\bigwedge^n A^n\to \bigwedge^n A^n$ est la multiplication par un scalaire. En prenant $\bigwedge^n f$, on appelle ce scalaire $\det f$, et c'est pas beaucoup plus mystérieux que ça.

    En particulier, on peut interpréter $\det (XI_n - \varphi)$ comme le déterminant d'une application linéaire $k[X]^n\to k[X]^n$, donc le définir sans matrices.
  • Bonjour,

    merci pour vos réponses.

    Effectivement, je suis complétement passé à côté des corps finis qui nous font perdre l'injectivité entre entre les polynômes et les fonctions polynomiales. Miséricorde.

    Je suis également d'accord avec vous que ce n'est pas super intéressant de vouloir esquiver les matrices. En fait quand on définit le polynôme minimal on peut dire que c'est l'unique générateur unitaire du noyau du morphisme d'évaluation d'un polynôme en $\varphi$ et ça m'avait donné envie d'essayer de définir le polynôme caractéristique dans la même veine mais finalement c'est bancal.

    En fait, quand je vois la quantité $\det (XI_n-\varphi)$ secrètement j'ai la recette avec les matrices et je le vois comme la fonction polynomiale où $X$ est un scalaire et $\varphi$ sa matrice dans une base donnée. Mais si j'essaye de faire abstraction ce qui me gène c'est que je n'arrive pas à me représenter ce que serait $XI_n-\varphi$. Dans mon esprit, $\varphi\in L(E)$, $X\in\mathbb{K}[X]$ et $I_n\in\mathcal{M}_{n\times n}(\mathbb{K})$, du coup je ne vois pas bien comment on pourrait les marier entre eux. J'ai par exemple beaucoup de mal à comprendre ta dernière phrase Maxtimax.

    J'espère que ne je ne vous ennuie pas avec mes problèmes métaphysiques.

    Cordialement,
    Mister Da
  • Je tente une explication.

    On identifie $E$ à $\mathbb K^n$ et on note $E' = \mathbb K[X]^n$.

    $X I_n$ est une matrice à coefficients dans l'anneau $\mathbb K[X]$, $X$ est donc un scalaire dans ce contexte. $\phi$ est un endomorphisme de $E$ vu comme $\mathbb K$ espace vectoriel, c'est donc en particulier un endomorphisme de $E'$ vu comme module sur $\mathbb K[X]$ (vu qu'on a identifié $E$ à $\mathbb K^n$ on peut trivialement étendre un endomorphisme du $\mathbb K$ ev $E$ comme un endormorphisme du $\mathbb K[X]$ module $E'$). Sa matrice dans une base est une matrice à coefficients dans $\mathbb K$ mais vu comme des éléments de $\mathbb K[X] \supset \mathbb K$.

    Le polynôme caractéristique devient alors le déterminant de la matrice (ou de l'endomorphisme) $X I_n - \phi$ dans le $\mathbb K[X]$-module $E'$.

    En gros on a augmenté les scalaires $K$ par les polynômes sur $K$, et dans ce contexte (où $X$ est un scalaire) on voit bien que la matrice diagonale $X I_n$ (dont les coefficients sont des polynômes de degré $\leq 1$) n'est évidemment pas la matrice de $\phi$ (dont les coefficients sont des polynômes de degré $\leq 0$).

    Je vous laisse m'envoyer des massues cloutées si je dis n'importe quoi et je retourne en analyse 8-)
  • Bah le truc de la fonction polynomiale marche si tu t'autorises à tester $x$ dans tous les surcorps de $k$; mais ça ne va pas t'aider à calculer ledit polynôme, ni à prouver des trucs dessus.

    Pour ma dernière phrase, autorise moi les matrices 30 secondes (on peut décrire cette application sans matrice, mais c'est plus facile à visualiser avec), et dis que $E=k^n$ (puisque tu as fixé une base de $E$ au début, ça ne change pas grand chose). Dans ce cas $\varphi$ est représentée par une matrice $M$, et alors $XI_n - M$ est une matrice tout ce qu'il y a de plus valable à coefficients dans $k[X]$. Mais pour un anneau $A$, une matrice $n\times n$ à coefficients dans $A$ représente naturellement une application $A$-linéaire $A^n\to A^n$, donc ici notre matrice $XI_n - M$ représente une application $k[X]$-linéaire $k[X]^n\to k[X]^n$, qui mérite d'être notée $X id- \varphi$. Maintenant $\bigwedge^n (X id - \varphi) : \bigwedge^n k[X]^n \to \bigwedge^n k[X]^n$ est une application $k[X]$-linéaire, et par ce que j'ai dit avant c'est forcément un scalaire, mais "scalaire" ici veut dire "multiplication par un élément de $k[X]$"; en d'autres termes c'est un polynôme : le polynôme caractéristique de $\varphi$.
  • De fait, il est bien étrange d'écrire $X\mathrm{I}_n-\varphi$, je n'ai pas fait attention à ce mariage de la carpe et du lapin. Il vaudrait mieux calculer le déterminant de $X\mathrm{Id}_E-\varphi$, ce qui est plus délicat qu'il n'y paraît (car $X$ n'est pas un scalaire : ce truc vit dans $K[X]\otimes E$, berk) ou plutôt de $X\mathrm{I}_n-A$, où $A$ est la matrice de $\varphi$ dans une base quelconque – vraiment quelconque ? oui ! grâce à la multiplicativité du déterminant. Au fait, cette matrice $X\mathrm{I}_n-A$, elle est à coefficients dans $K[X]$ ; si on ne connaît pas le déterminant pour les matrices à coefficients dans un anneau, on peut dire qu'elle est à coefficients dans $K(X)$ et il faut alors vérifier que le polynôme caractéristique est bien un polynôme (mais c'est immédiat avec la formule $\sum_{\sigma\in\mathfrak{S}_n}\varepsilon(\sigma)\cdots a_{i\sigma(i)}$). Enfin, on pinaille, on pinaille, ce n'est pas ça qui nous dira comment calculer le spectre.
  • Bonjour,

    et merci à tous pour vos messages. Je suis d'accord que ce je cherche n'est absolument pas pratique pour faire le calcul effectif. En fait je cherche juste à me convaincre quand branchant les espaces de départ et d'arrivée les uns aux autres on retombe bien sur nos pattes.

    Je vais essayer de vous paraphraser avec mes mots :

    Si on écrit $\det(XI_n-\varphi)$ (et non pas $\det(X\mathrm{Id}_E-\varphi)$ comme dans mon premier message) on parle bien du déterminant d'une matrice mais en fait il faut se placer dans le $\mathbb{K}[X]$-module $\mathcal{M}_{n\times n}(\mathbb{K}[X])$ et non dans le $\mathbb{K}$-espace vectoriel $\mathcal{M}_{n\times n}(\mathbb{K})$. Bon, pas d'bol je ne connais pas grand chose au module (au pire je passe dans l'espace vectoriel $\mathcal{M}_{n\times n}(\mathbb{K}(X))$ comme a dit Math Coss) mais je viens de comprendre enfin comment interpréter $XI_n$.

    Après on confond $\varphi\in L(E)$ avec sa matrice (dans une base arbitraire) qui vit a priori dans $\mathcal{M}_{n\times n}(\mathbb{K})$ et il y a moyen de la voir comme un élément de $\mathcal{M}_{n\times n}(\mathbb{K}[X])$ en identifiant un scalaire $x\in\mathbb{K}$ avec le polynôme constant correspondant.

    J'espère que c'est bon.
    Merci énormément pour vos lumières.
    Cordialement,
    Mister Da
  • C'est une mauvaise idée de mélanger $\mathrm{I}_n$ et $\varphi$ dans une même écriture, ainsi que d'identifier $\varphi$ avec sa matrice dans une base donnée, parce qu'il y a (en général) plusieurs bases et plusieurs matrices pour la même application linéaire.

    Et alors, diras-tu ? Eh bien, on parle de polynôme caractéristique pour faire de la réduction et on fait de la réduction quand on se donne une application linéaire dans une base inappropriée et qu'on cherche à en trouver une où la matrice est plus simple. Autrement dit, quand on parle de polynôme caractéristique, on est très, très souvent amené à manipuler deux bases (souvent la base canonique et une base de vecteurs propres (ou ce qui en tient lieu)). Avec ta convention olé-olé, on serait donc amené à identifier une application linéaire avec deux matrices, c'est-à-dire à déclarer que deux matrices (en général différentes) sont égales.

    Cette « identification » me paraît donc abusive et source de confusion.
  • Bonjour,

    merci.

    En fait j'avais pris cette liberté pour insister sur le fait que le polynôme caractéristique est lié à $\varphi$ mais je suis tout à fait d'accord avec ce que tu me dis ça brouille plus que ça n'éclaircit.

    Bref pour être le plus "formel" possible il faudrait utiliser $\chi_\varphi(X) = \det(X\mathrm{Id}_E-\varphi)$ mais c'est vraiment pas commode pour travailler. Du coup, on n'y coupe pas, on prend une base arbitraire de $E$ dans laquelle la matrice $M$ représente $\varphi$ et on écrit $\chi_\varphi(X) = \det(XI_n-M)$ où l'on voit $XI_n-M$ comme un élément du $\mathbb{K}[X]$-module $\mathcal{M}_{n\times n}(\mathbb{K}[X])$ en identifiant la matrice $M\in\mathcal{M}_{n\times n}(\mathbb{K})$ avec l'élément qui va bien de $\mathcal{M}_{n\times n}(\mathbb{K}[X])$ et, dans ce contexte, $X\in\mathbb{K}[X]$ est un scalaire. Si on ne veut pas fréquenter un module, on passe tout dans $\mathcal{M}_{n\times n}(\mathbb{K}(X))$ et on s'assure alors qu'on a bien un polynôme à la fin et non une fraction rationnelle.

    Ma copie est-elle plus présentable ?

    Merci beaucoup pour votre patience.

    Cordialement,
    Mister Da
  • En tout cas c'est comme cela que je vois les choses. Tu as écrit plus clairement ce que je voulais dire. Mais je ne suis pas algébriste !
  • Bonjour,

    merci pour la confirmation. Perso, j'avais trouvé ton message très clair et très aidant (je ne trahis aucun secret en avouant que je ne suis pas algébriste non plus (ni analyste d'ailleurs), il y a peut-être un lien).

    En tout cas merci énormément à toi, Math Coss et Maxtimax car j'avais un vrai blocage psychologique sur $\chi_\varphi(X) = \det(XI_n-M)$ que je savais manipuler mais sans savoir pourquoi.

    Je ne sais pas si c'est un mauvais réflexe, mais dès que je croise une matrice, c'est plus fort que moi, tant que je ne comprends pas de quelle application il est question entre quels espaces et dans quelles bases j'ai un profond blocage alors que je n'ai pas besoin de connaitre tout ça pour faire effectivement le calcul...

    @Maxtimax : j'ai relu un bon nombre de fois ton dernier message. Je pense avoir compris. Je me laisse quelques jours de décantation. Si jamais, il est probable que je relance cette discussion.

    Merci énormément pour votre aide et la précieuse qualité de vos réponses.

    Cordialement,
    Mister Da
  • Si tu veux systématiquement associer une application linéaire à une matrice $A$, il te suffit de considérer $X \mapsto AX$ dans la base canonique :-D
  • Oh ! Tu viens de m'enlever tous mes maux de tête ! X:-(
Connectez-vous ou Inscrivez-vous pour répondre.