Forme de Killing

Depuis peu, je me suis (re)mis à la lecture du livre "Lectures on Lie Groups and Lie Algebras" de Carter-Seagal-Macdonald. Dans la première partie, qui concerne les algèbres de Lie, il y a un commentaire sur la forme de Killing qui n'est pas démontré. J'aimerais le comprendre, mais je sèche.

Donc, c'est parti pour des notations (je copie à peu près celles du livre).

$\mathfrak{g}$ est une algèbre de Lie de dimension finie sur $\mathbb{C}$, le crochet de Lie étant noté $[ \cdot, \cdot]$.

Pour tout $s \in \mathfrak{g}$, on définit $\text{ad}(s) : \mathfrak{g} \longrightarrow \mathfrak{g}$, $t \longmapsto [s,t]$, c'est une application linéaire.

On définit la forme de Killing en posant $\langle x;y \rangle := \text{Tr} \big(\text{ad}(x) \circ \text{ad}(y) \big)$ pour tous $(x,y) \in \mathfrak{g}^2$. C'est une forme bilinéaire symétrique $\mathfrak{g} \times \mathfrak{g} \longrightarrow \mathbb{C}$.

Si $\mathfrak{g}$ est une algèbre de Lie, un idéal de $\mathfrak{g}$ est un s.e.v. $h$ de $\mathfrak{g}$ tel que $[h; \mathfrak{g}] \subseteq h$, où $[h ;\mathfrak{g}] := \{[s,t] \in \mathfrak{g} : s \in h, t \in \mathfrak{g} \}$.

On dit qu'une algèbre de Lie $\mathfrak{g}$ est simple si ses seuls idéaux sont $\{0\}$ et $\mathfrak{g}$.

Le résultat qui m'intrigue est le suivant :

Si $\mathfrak{g}$ est simple (et "non triviale" : de dimension $> 1$), alors la forme de Killing est non dégénérée :
pour tout $x$, si $\langle x;y \rangle = 0$ quel que soit $y$, alors $x=0$.

Note : je sais qu'il existe un théorème plus général et plus fort, le "critère de Cartan" comme l'appellent les anglophones, mais chaque chose en son temps.

Bon.

Pour que l'hypothèse de simplicité puisse servir, je me suis dit qu'il faudrait montrer que le noyau de la forme de Killing est un idéal de $\mathfrak{g}$ (si ce n'est pas ça, je ne vois pas). Ensuite, il n'y a que deux choix : soit le noyau est $\{0\}$, soit c'est $\mathfrak{g}$ en entier. Là, il suffirait de trouver un $x$ non nul qui permettrait de contredire que le noyau n'est pas réduit à $\{0\}$.

Je veux donc montrer que $k := \{x \in \mathfrak{g} : \forall y \in \mathfrak{g}, \langle x ; y \rangle = 0\}$ est un idéal. Soit $s \in k$. Soit $t \in \mathfrak{g}$. Il faut que je montre que $[s;t] \in k$, donc il faut que je vérifie si $\langle [s;t] ; y \rangle = 0$ pour tout $y \in \mathfrak{g}$. Mais $\langle [s;t] ; y \rangle$, c'est $\text{Tr}\big( \text{ad}([s;t]) \circ \text{ad}(y) \big)$, que j'aimerais simplifier. Le crochet de Lie n'ayant aucune raison d'être associatif, je me retrouve un poil bloqué.

Comment je m'en sors ?

Réponses

  • Avec $I_0= \C x, I_{n+1} = I_n + [I_n,\mathfrak{g}]$ tu peux construire $I$ le plus petit idéal contenant $x$

    Si $\forall g\in \mathfrak{g}, <x,g> = 0$ alors (comme $<[y,z],w> = <y,[z,w]>$) on a $\forall i \in I, g\in \mathfrak{g}, <i,g> = 0$

    Et si $I =\mathfrak{g}$ alors $<.,.> = 0$
  • Le point clé, c'est que la forme de Killing est invariante. On peut l'écrire de plusieurs façons, par exemple : \[\kappa([x,y],z)=\kappa(x,[y,z])\] pour tout $(x,y,z)\in\mathfrak{g}^3$ (il revient au même d'écrire que $\kappa\bigl([y,x],z\bigr)+\kappa\bigl(x,[y,z]\bigr)=0$, ce qui exprime que l'application $\mathrm{ad}(y)$ est une « dérivation » de $\kappa$ considérée comme un produit).
  • reuns : tu vas un peu trop vite pour moi.

    J'ai vérifié rapidement qu'une intersection d'idéaux est encore un idéal, donc "le plus petit idéal contenant $x$", ça existe. Appelons-le $I$, pour notre $x$ fixé.

    Si pour tout $y \in \mathfrak{g}$, on a $\langle x;y \rangle = 0$, tu dis que : pour tout $i \in I$ et tout $y \in \mathfrak{g}$, $\langle i;y \rangle = 0$. Comment tu obtiens ça ? Je veux dire, je n'ai rien dans mon bouquin qui me permettrait de décrire $I$ formellement en termes de $x$, donc je ne vois pas comment tu fais.
  • $I_0 = K x, I_{n+1} = I_n+ [I_n,\mathfrak{g}]$

    Soit $N \le \dim(\mathfrak{g})$ le plus petit indice tel que $I_N = I_{N+1}$

    Alors $I_N$ est un $K$-e.v. qui contient $x$ et satisfait $[I_N, \mathfrak{g}] \subset I_{N+1} = I_N$ donc c'est un idéal, le plus petit contenant $x$.

    Ensuite si $<x,\mathfrak{g}> = 0$ alors par induction on montre que $<I_n, \mathfrak{g}> = 0$.

    Donc si $I_N = \mathfrak{g}$ alors $<.,.> = 0$.
  • MC : comment tu démontres l'invariance ? Je ne comprends pas, j'ai beau retourner mon identité de Jacobi dans tous les sens, je ne trouve pas ce qu'il faut...
  • Sais-tu que $\newcommand\ad{\mathop{\mathrm{ad}}}\ad[x,y]=[\ad x,\ad y]$ ?
    Partant, tu peux écrire \[\newcommand\tr{\mathop{\mathrm{tr}}}\kappa\bigl([x,y],z\bigr)=
    \tr(\ad x\ad y\ad z)-\tr(\ad y\ad x\ad z)\] et $\kappa\bigl(x,[y,z]\bigr)$ à l'avenant ; c'est pratiquement terminé car tu sais que $\tr(AB)=\tr(BA)$ pour tous endomorphismes $A$ et $B$.
  • Non, et pour moi ça ne veut rien dire : mon crochet de Lie, il est défini pour deux éléments de $\mathfrak{g}$, pas pour deux endomorphismes de $\mathfrak{g}$...
  • Ah ! C'est que la première famille d'exemples d'algèbres de Lie, c'est l'espace $\mathfrak{gl}(V)$ des endomorphismes d'un espace vectoriel $V$ muni du crochet défini par $[A,B]=AB-BA$.
    Dans $[\ad x,\ad y]$, on prend $V=\mathfrak{g}$. Cette première formule est immédiate à vérifier : elle exprime que l'application $\ad:\mathfrak{g}\to\mathfrak{gl}(\mathfrak{g})$ est un morphisme d'algèbres de Lie (c'est-à-dire, vu l'ensemble d'arrivée, ce qu'on appelle une représentation).
  • Je connais les $\mathfrak{gl}$ et les il y a les représentations d'algèbres de Lie au tout début du livre, mais là dans mon livre il est question d'une algèbre de Lie quelconque avec un crochet de Lie abstrait. Je n'ai aucune information à part ce que j'ai écrit. Dans le livre, il définit les $\text{ad}(x)(y) := [x;y]$ pour faire un semblant d'explication sur l'existence des sous-algèbres de Cartan, et après il y a un paragraphe où il définit la forme de Killing et annonce sans preuve le résultat dont je parlais. Résumé : je suis à la 11ème page du livre, et c'est déjà le bordel. Ça promet.

    Donc attends. Si je note $[\cdot;\cdot]_{\mathfrak{g}}$ le crochet de Lie de $\mathfrak{g}$, et $[\cdot;\cdot]$ celui de $\mathfrak{gl}(\mathfrak{g})$, je veux la relation $\text{ad}([x;y]_{\mathfrak{g}}) = [\text{ad}(x);\text{ad}(y)]$ : je ne le réécris pas ici, mais c'est équivalent à l'identité de Jacobi pour $[\cdot;\cdot]_{\mathfrak{g}}$. C'est bon !
  • Par contre, il y a encore un détail... dans la définition même de la forme de Killing, il y a $\text{ad}(x) \circ \text{ad}(y)$, donc il faudrait que pour tout $x$, $\text{ad}(x)$ soit un automorphisme de $\mathfrak{g}$ (sinon, ça coincerait aussi pour l'histoire de représentation adjointe).

    Sauf que là, c'est pareil, avec le peu d'hypothèses que j'ai, montrer que les $\text{ad}(x)$ sont des isomorphismes, ça me paraît compromis.
  • OK pour $\ad([x;y]_{\mathfrak{g}}) = [\ad(x);\ad(y)]$ : c'est en effet l'identité de Jacobi.

    Je ne comprends pas cet obstacle. Il est clair que $\ad(x)$ et $\ad(y)$ sont des endomorphismes de $\mathfrak{g}$ et que ce ne sont pas des automorphismes (en notant $\mathrm{ad}_x$ plutôt que $\ad(x)$, on a toujours $\mathrm{ad}_x(x)=[x,x]=0$ : le noyau de $\mathrm{ad}_x$ n'est jamais nul). Cela ne pose pas de problème pour définir la trace, ni pour avoir des égalités du genre $\tr(AB)=\tr(BA)$, valables pour tous les endomorphismes.
  • Tu as raison, c'est bon.
  • Alors, en attendant, grâce aux relations $\text{ad}([x,y]_{\mathfrak{g}}) = [\text{ad}(x),\text{ad}(y)]$ et $\langle [x,y]_{\mathfrak{g}}, z \rangle = \langle x, [y,z]_{\mathfrak{g}} \rangle$, on démontre effectivement que ce que j'avais appelé $k$ plus haut, le noyau, est un idéal de $\mathfrak{g}$.

    Donc $k=\{0\}$ ou $k = \mathfrak{g}$ car $\mathfrak{g}$ est supposée simple.

    Reste à trouver un $x \neq 0$ qui n'est pas dans $k$... Reste à montrer que $k=\{0\}$, gros étourdi que je suis !
  • J'ai essayé d'y réfléchir, mais je ne vois pas.

    Supposons que $k = \mathfrak{g}$... alors pour tous $x$ et $y$ dans $\mathfrak{g}$, on a $\langle x;y \rangle = 0$. Je cherche une contradiction.
  • Personne ne peut me dire comment faire ?
  • Je reviens ici après un sacré bout de temps. J'ai modifié 2-3 détails dans mes derniers messages.

    Alors, on avait vu que mon noyau $k$ de la forme de Killing est un idéal de $\mathfrak{g}$, reste à montrer que c'est $\{0\}$ et pas $\mathfrak{g}$.

    D'un côté, je ne comprends pas trop les indications de reuns, et d'un autre côté... dans mon énoncé, on suppose que $\mathfrak{g}$ est un $\mathbb{C}$-espace vectoriel de dimension finie au moins égale à $2$, et je ne me suis pas encore servi de ça. On peut supposer que $\mathfrak{g}$ contient deux vecteurs linéairement indépendants $e_1$ et $e_2$, mais je ne vois pas encore ce que ça m'apporte.

    Un peu d'aide serait la bienvenue.
  • Une remarque à bas prix qui ne va pas changer grand-chose : en dimension $1$, la forme de Killing est nulle.
  • En dimension $1$ :

    Tout élément de $\mathfrak{g}$ est de la forme $\lambda e_1$. Donc $\text{ad}(x) = \bigg[y \longmapsto [x;y]\bigg] = \bigg[y \longmapsto [\lambda e_1; \mu e_1] \bigg] = \bigg[y \longmapsto \lambda \mu [e_1; e_1] \bigg]$, donc $\text{ad}(x)$ est toujours l'application nulle car le crochet de Lie vérifie $[s;s]=0$ pour tout $s \in \mathfrak{g}$.

    Dans ce cas, $\text{Tr}\big(\text{ad}(x) \circ \text{ad}(y) \big)$ va être la trace de l'application nulle, donc $0$, tout le temps. Donc oui, la forme de Killing est nulle en dimension $1$.

    Et après ? En dimension $2$, je vais me retrouver avec des $[e_1;e_2]$ dont je ne sais pas vraiment quoi faire...
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