Importance de la rapidité de compréhension

Bonjour,

J'aimerais avoir votre avis sur une question. Selon vous, quel est le degré d'importance de la rapidité de compréhension des concepts, des théorèmes, des démonstrations lorsqu'on fait de la recherche en mathématiques ? Par exemple, si un chercheur en mathématiques pouvait - du jour au lendemain - comprendre instantanément tous les concepts et tous les théorèmes de n'importe quel bouquin ou papier à la première lecture, est-ce que ça changerait grandement son travail ? Ou au contraire, est-ce que la capacité de compréhension n'est pas un facteur si limitant que ça dans la recherche comparé par exemple à la créativité et à la technicité (au sens capacité à trouver des démonstrations) ?

(Je ne sais pas si je poste ça dans la bonne section.)

Réponses

  • Bah cette personne serait certainement plus productive, puisqu'une bonne partie du temps est consommée à lire/comprendre des articles/se faire des exposés sur des articles etc.
    Après je dis ça mais je suis pas encore complètement dans ce monde-là; mais franchement si tu pouvais comprendre tout à la première lecture je pense que ce serait très très pratique.
  • Chaque mathématicien fait de la recherche selon sa propre méthode. Tu t'adaptes selon tes points forts et tes points faibles. Si tu as du mal avec les concepts vus pour la première fois, tu peux toujours profiter de tes collègues, en discutant autour d'un café ; organiser un groupe de travail local si le sujet s'y prête ; inviter le chercheur qui a écrit l'article au séminaire de l'équipe pour profiter de son exposé ; discuter par mail aussi, même si ce n'est sans doute pas la méthode la plus efficace. Et puis, après un moment dans la recherche, tu te fais ta spécialité, et les nouveaux concepts t'y paraîtront souvent naturels.
  • Hardy attribuait à Ramanujan une qualité primordiale concernant la rapidité de compréhension : être capable de changer ses hypothèses et notations et d'en tirer immédiatement les bouleversantes conséquences.
  • Je ne sais pas de quoi on parle.
    Si quelqu’un comprend tout des livres académiques à la première lecture, sait-il « chercher » ?
    N’est-ce pas remplir des tonnes de brouillons qui permet d’appréhender une notion et d’en faire tout le tour ?

    Bon, la discussion semble philosophique.
  • Dom : Pourquoi l'un empêcherait l'autre ? La littérature n'est que le point de départ, mettons qu'on veuille faire de la recherche en théorie des nœuds, on commence par faire état de la littérature sur le sujet et ensuite on explore de notre côté, n'est-ce pas là l'idée ? Et, évidemment, rien n'oblige à se manger un livre entier sans réfléchir dans son coin aux concepts abordés, grande capacité de compréhension ou non d'ailleurs !
  • En fait je comprends « [...] rapidité de compréhension [...] des démonstrations » comme plutôt une faiblesse.
    Certains comprennent parfaitement des théorèmes et ne savent pas du tout les mettre en application.
    Certains comprennent parfaitement des concepts (qu’est-ce ? des définitions de nouveaux objets ?) et ne savent pas du tout remarquer qu’ils ont affaire à eux.

    Je me place dans le cas extrême (expérience de pensée) : le gars n’a jamais rien su démontrer seul mais sait refaire et expliquer toutes les démos qu’il a lues. On sait seulement qu’il les a comprises instantanément.

    Ça donne quoi, en terme de chercheur ?

    Je suis peut-être à côté de la plaque par incompréhension de la question...

    Edit : cela dit, s’il faut comprendre le terme « rapidité de compréhension » comme « un gars qui n’a pas un meilleur cerveau mais qui est juste cent fois plus rapide en tout » je ne crois pas que ce soit mieux pour être chercheur.
    Est-ce un problème de temps, la « fibre du chercheur » ?
    N’est-ce pas une histoire d’intuition, pas exemple ?
  • Chacun son style. Pour ma part, j'ai plutôt le sentiment que je ne comprends pas très vite, mais je suis tenace et j'ai une bonne mémoire.
  • Disons que, quel que soit X, si son cerveau est changé en « le même cerveau mais allant plus vite que le sien », alors X’ (c’est-à-dire X qui va plus vite) est plus rentable que X.

    Mais, quel que soit Y, rien ne dit que X’ est plus rentable que Y.

    A part ces considérations...

  • Je comprends vite et bien les concepts et démonstrations, ça ne m'a jamais bloqué pour faire des raisonnements un peu complexes, même si je ne suis pas au niveau recherche...
  • Les meilleurs chercheurs que j'aie rencontrés sont des gens qui comprennent très très très vite. Ça n'est que mon expérience personnelle.
    dom a écrit:
    Si quelqu’un comprend tout des livres académiques à la première lecture, sait-il « chercher » ?

    Ben pourquoi ne saurait-il pas ? Le fait de comprendre instantanément le cours n'a jamais empêché de réfléchir sur des exercices, non ? Au contraire même : moins on a besoin de passer du temps à comprendre les définitions et les théorèmes, plus on en a à consacrer aux exercices, où il s'agit justement de chercher la réponse et pas juste de la lire !

    La créativité, en maths, vient rarement ex nihilo (là dessus, Ramanujan est la seule exception que je connaisse) : les grands chercheurs sont des gens qui étudient beaucoup, et connaissent beaucoup beaucoup de choses.
    Et plus on apprend et comprend vite, plus on a d'outils dans la manche pour avoir des idées.
  • Je ne peux pas contribuer en parlant de recherche, mais je voulais quand même dire quelque chose.

    Je vais prendre un exemple de ma vie étudiante : on a appris un jour, en probabilités, la notion d'espérance conditionnelle. La définition du cours était : si $\mathcal{T}$ est une tribu, si $X$ est une VA $\mathcal{T}$-mesurable + conditions, alors il existe une unique variable aléatoire $\mathcal{T}$-mesurable + conditions $Z$ telle que $\mathbb{E}(XY) = \mathbb{E}(ZY)$ pour toute variable aléatoire $Y$ $\mathcal{T}$-mesurable + conditions. Je suis exprès un peu brouillon parce que ce qui compte, c'est que ma définition de cet objet était cette égalité.

    Ce qu'on est censé comprendre, à partir de cette définition, c'est que $Z$ est la meilleure approximation de $X$ par rapport à une variable $Y$ qui "représente" $\mathcal{T}$... ou un truc comme ça.

    A partir de cette définition, je ne trouve pas ça clair du tout (et, vu que le prof avait l'habitude de nous dire "eh ben, c'est long !" quand on mettait plus de 30 secondes à répondre à l'une de ses questions qui prennent 5 pages de correction dans son bouquin, vous comprendrez qu'il n'a pas clarifié plus que ça...). Il y a d'autres définitions, comme la version "projection dans $L^2$" qui rendent beaucoup plus évident le côté "meilleure approximation".

    J'ai manipulé cet objet par le biais des formules qu'on avait. J'avais compris les démonstrations de ces formules les unes à partir des autres, en partant de la définition, mais je n'avais pas compris la définition (d'ailleurs, je ne trouve toujours pas celle que j'ai écrite en premier très claire) donc on peut dire que je faisais des maths comme un ordinateur, en appliquant des procédés qui fonctionnent sans avoir besoin de comprendre. On arrête de faire des maths et on fait du calcul formel à la place, en gros.

    Je pense qu'on est beaucoup à ne pas comprendre en profondeur certaines des notions qu'on utilise, même régulièrement. Je pense que ça ne devrait pas trop être perçu comme un frein : si on ne comprend pas, parfois le mieux c'est juste de s'enfoncer encore plus loin, de continuer à s'exposer, de continuer à se poser des questions, et ça finit par se construire dans notre tête.

    A voir ce que ceux qui font de la recherche pensent de ça.
  • gimax,

    Tu poses la question « pourquoi pas ? ».
    Tu as raison. Ce que je veux dire c’est que ce n’est pas une règle.
    Je dis que si le gars « ne sait pas chercher », il peut réfléchir plus vite que tout le monde, il ne le saura toujours pas.
    Si le gars « sait chercher », et si en plus il va plus vite, alors oui, c’est un atout.

    C’est mon exemple avec $X \mapsto X’$ où on donne à $X$ le même cerveau, la même manière de fonctionner SAUF qu’on augmente la rapidité de compréhension (on l’appelle $X’$). C’est la même personne MAIS tout va plus vite, en gros, dans sa compréhension.
    Si $X=Tom Cruise$, je ne pense pas que $X’$ ait une facilité dans la recherche en mathématiques.
  • @homo topi: Oui, c'est un bon exemple.
    C'est un truc difficile, l'espérance conditionnelle.
    Même en étant très bon en probas, il m'a fallu plusieurs années pour avoir le sentiment de l'avoir vraiment bien compris.
    Dans un premier temps, maîtriser la technique, les règles de calcul, c'est déjà très bien.

    Il ne faut pas non plus oublier qu'un prof (ou un livre) peut apporter beaucoup, mais il ne peut pas comprendre à la place des gens.
    Quant au sentiment d'avoir compris, c'est quelque chose d'intime qui va au-delà de la simple compréhension formelle.
  • Tiens,

    N’est-ce pas en enseignant quelque chose (disons sérieusement, pas en sortant du Bon Coin pour manger en n’aimant pas du tout la chose enseignée) qu’on parvient à mieux le comprendre, l’apprivoiser, se l’approprier, etc. ?
  • Pour moi, c'est le cas. J'apprends souvent en réfléchissant comment l'expliquer à quelqu'un d'autre, ça fait ressortir les détails pas clairs.
  • Le physicien Roger Penrose disait que les grands mathématiciens se séparaient en deux catégories: les mathématiciens idiots et les mathématiciens intelligents.
    Le mathématicien idiot est certes bon en maths mais il s'interroge ! Il fait preuve d'humilité: celle que lui impose sa lenteur et qui le rend très efficace quand il s'agit de comprendre un domaine précis en profondeur !
    A l'opposé, il y a le mathématicien intelligent, touche-à-tout, à l'esprit vif. Sa compréhension des problèmes complexes est quasi-instantanée mais est-il en mesure de saisir aussi efficacement que d'autres une signification théorique profonde ? Sa fulgurance n'est-elle pas un frein à sa créativité ?
    Penrose cite John Von Neumann, (son génie effrayant, son cynisme absolu, son goût pour les chapeaux) comme l'exemple parfait du mathématicien intelligent au cerveau trop rapide. Lui qui fit partie du "comité des cibles" du projet Manhattan sentait les idées porteuses comme personne mais il laissait toujours à d'autres le soin de les développer.
    ...97066
  • On a fait le tour de la question : Etre rapide est-il une qualité pour être un bon chercheur qui cherche?

    Maintenant, attaquons la question : Etre rapide est-il une qualité pour être un bon chercheur qui trouve ?
    Tu me dis, j'oublie. Tu m'enseignes, je me souviens. Tu m'impliques, j'apprends. Benjamin Franklin
  • Poincaré était quelqu'un de très très vif. On m'avait notamment raconté qu'à l'issue d'une épreuve de concours (l'X, le concours général ? je ne sais plus), il avait non seulement traité le sujet parfaitement et en intégralité mais aussi trouvé le temps d'ajouter des commentaires en disant que le sujet était mal posé et qu'il aurait fallu le poser comme ci ou comme ça...

    Ceux qui ont connu Grothendieck en parlent comme d'un esprit fulgurant...

    Je ne crois pas qu'on puisse taxer l'un ou l'autre ni de manque de profondeur, ni de manque de créativité...
  • Il y a des génies mathématiques, et c'est clair que Poincaré et Grothendieck en étaient. Ce n'est pas la norme pour autant.
  • Personne ne dit que c'est la norme. Mais quand je lis des commentaires selon lesquels la rapidité de pensée serait un handicap, je crois rêver... Si on regarde les très grands chercheurs, c'étaient tous des esprits très rapides ! Donc on ne peut pas décemment pas dire que la vitesse nuit à la créativité ou à la profondeur.

    Je suis quelqu'un de lent. J'aurais adoré que ma lenteur soit un atout et non handicap. Ce n'est pas le cas. C'est dommage mais c'est comme ça. En France, la grande majorité des chercheurs de grande envergure ayant fait leurs cursus scolaire en France sont issus d'une ENS, ce sont donc effectivement des gens rapides. Ce n'est pas un hasard.

    Aujourd'hui, il faut faire une thèse en trois ans (à mon époque, la thèse en quatre ans complétée par un ATER la dernière année était usuelle, ce n'est plus le cas depuis une bonne dizaine d'années). Quand on est lent, faire une bonne thèse en trois ans, c'est dur. C'est d'autant plus dur qu'on se trouve en concurrence après avec des normaliens qui sont des gens rapides et qui eux ont fait une thèse en quatre ans (avec une première année de thèse officieuse en dernière année d'école).

    Du rapide qui a quatre et du lent qui a trois ans, lequel aura à votre avis le meilleur dossier scientifique ?

    La vitesse de pensée n'est pas une condition nécessaire pour être bon chercheur, ni pour avoir de la créativité et une certaine profondeur de pensée. Mais ça ne peut qu'aider, car comme déjà dit, plus on est rapide, plus on apprend vite, plus on apprend vite, plus on connaît de choses, plus on connaît de choses plus il est facile de faire des liens entre les choses qu'on connaît et de faire naître des idées. C'est quand même une tautologie. Les idées ne sortent pas du néant.

    Il ne faut pas se leurrer là-dessus : c'est globalement plus difficile quand on est lent. Ce n'est pas impossible, et ça n'empêche pas d'être très bon. Mais il faut comme aléa l'a dit, beaucoup de tenacité, et aussi un moral d'acier, car se retrouver le seul à ne pas comprendre au milieu de gens très vifs, ça n'est pas facile tous les jours...
  • Je vois la chose comme ça. Certains ont plus de chance que d'autres.

    Personnellement, mon parcours universitaire n'a pas été bon, pour plein de raisons (dépression, famille, argent...). Donc non, je n'ai pas atteint le niveau de quelqu'un qui intègre Normale Sup à 20 ans. Est-ce que pour autant je dois me sentir incapable, et ne pas vouloir me lancer dans une carrière mathématique ? J'aurai beaucoup plus de mal que les autres, oui, mais si je le fais, je le fais pour MOI. Je ne suis pas les autres, s'ils ont moins de mal, c'est tant mieux pour eux. Je le ferai pour moi parce que ça me plaît, pas pour me comparer aux autres.

    Je pense qu'il n'existe aucun théorème au nom d'un seul de mes profs de fac. Ils ont fait Normale Sup, ou Polytechnique, ou des universités plus prestigieuses de Paris. Ce ne sont pas les mathématiciens que l'histoire va retenir, pourtant ils font de la recherche qui leur plait, à leur rythme, avec leurs moyens, et c'est tout ce qui compte. Si un jour, je peux faire quelque chose un peu comme ça, tant mieux, sinon, tant pis, je ferai autre chose. Mais je ne me compare pas aux autres. J'ai du mal à imaginer mes profs de fac ne pas réussir à fermer l'oeil la nuit parce qu'ils ont déjà 55 ans mais n'ont pas encore leur propre page Wikipédia... donc pourquoi moi je me prendrais la tête ? J'ai déjà eu assez de problèmes comme ça, pas la peine d'en rajouter.

    Faites des maths si ça vous plait, avec vos capacités (vous n'en aurez jamais d'autres), et arrêtez de vous comparer aux autres, ça n'apporte rien. Je fais des maths à mon niveau, sur le forum, certains des gens qui m'apprennent des trucs et sont largement en avance sur moi dans un domaine particulier sont probablement plus jeunes que moi. Et alors ? Je continue parce que ça m'aide à me sentir bien de continuer à apprendre et découvrir.

  • Il me semblait avoir lu une citation de Grothendieck qui se décrivait comme long à la compréhension mais patient et travailleur.
    Bon, j'imagine que sa prétendue lenteur doit être toute relative par rapport à la nôtre.
  • Et tu as bien raison Homo Topi ! Loin de moi l'idée de dire qu'il faut renoncer à ses rêves ! Loin de moi l'idée de dire que si on n'est pas Grothendieck ou Poincaré, il ne faut pas faire de maths...

    Je réagissais juste aux différents messages qui visaient à dire qu'être lent était un atout par rapport à être rapide. Il ne faut pas se leurrer, ce n'est pas vrai.

    Il faut avoir conscience que si on est plus lent que les autres, ça va être plus dur si on souhaite intégrer le milieu académique et faire de la recherche en professionnel (au sens être payé pour cela) : l'obtention d'un poste académique se fait par comparaison aux autres.
    Mais plus dur ne dit pas impossible ! Et si on aime ça et que c'est qu'on souhaite, il faut essayer bien sûr ! Mais il faut essayer sans se bercer d'illusions et être conscient de ce à quoi se confronte.

    Riemann_lapins_crétins : disons surtout que la perception que Grothendieck avait de lui-même et celle que les autres avaient de lui n'était pas la même...

  • Si Grothendieck se trouvait sincèrement lent, je n'imagine pas ce qu'il pensait de ses collègues au vu de sa légendaire propension à taper sur les doigts.
  • bonjour

    la recherche en math demande de l'humilité : elle n'est productive que progressivement
    le chercheur doit s'accrocher lorsqu'il ne comprend pas un exposé, un écrit original ou même simplement un cours
    que l'auteur agrémente souvent de concepts nouveaux, ou de définitions qui lui sont propres
    d'autant plus que l'auteur en question n'a pas toujours le sens pédagogique (se mettre au niveau de son auditoire)

    mais le chercheur va tenter de confirmer (par une autre voie) ou d'infirmer (par des contre-exemples)
    ces concepts nouveaux et lui-même va alors proposer ses propres idées qui porteront sur le même domaine
    ou sur un autre domaine des mathématiques, car le chercheur a l'esprit discursif (son intelligence est vagabonde)

    en math les créations sont permanentes (c'est ce qui fait la particularité de notre science)
    mais une création mathématique ne devient découverte que si elle débouche sur des exemples d'application et d'utilisation concrète
    dans un autre chapitre mathématique ou dans les autres domaines scientifiques (physique, biologie, médecine, économie, psychologie)
    et le décalage entre ces créations et leurs utilisations est parfois impressionnant (plusieurs siècles comme avec les nombres complexes)

    cordialement
  • Freeman Dyson (décédé le 28 février dernier) ne disait pas autre chose que Penrose: "Certains mathématiciens sont des oiseaux, d'autres sont des grenouilles."
    Lui-même se disait grenouille.
    https://www.nytimes.com/2020/03/03/science/freeman-dyson-institute-for-advanced-study.html
    ...
  • Je n'avais pas vu passer la nouvelle de sa mort !
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