De la rédaction mathématique... autrement

Ce fil n'a aucun rapport avec l'autre, c'est juste le même thème.

Dans beaucoup de livres que je lis, je trouve que les démonstrations manquent cruellement de détails. Et j'entends d'autres gens parler de certains de ces livres comme des livres excellents, très agréables à lire, alors que moi, j'ai juste envie de crucifier l'auteur.

Je n'ai plus l'exemple exact en tête, et j'ai la flemme de le chercher, mais l'exemple exact que j'ai en tête est dans le Gourdon Analyse (mais il y en a dans une tonne de bouquins), un exercice sur la continuité uniforme. Bref c'est un exercice où pour un $\epsilon$ donné, il faut trouver un $\eta$ tel que.

Le corrigé de l'exercice dit littéralement. "Soit $\epsilon > 0$. Posons $\eta = \text{machin}$ [...].

Je suis le seul à qui ça donne envie de frapper des gens dans la bouche ? Sérieusement ! Le but d'écrire un bouquin niveau L1/L2/sup/spé, c'est d'apprendre les bases aux étudiants, non ? Alors au lieu de me cracher la bonne réponse à la figure comme ça, l'auteur pourrait prendre 2 lignes de plus dans son bouquin pour m'expliquer comment il l'a trouvé, son $\eta$. Je pense que ça serait nettement plus utile pour un étudiant. Je sais que la question est "existe-t-il un $\eta$ tel que", et donc il suffit d'en donner un pour répondre à la question... mais pour en donner un, il faut l'avoir trouvé avant ! Et si je n'y arrive pas tout seul, la moindre des choses selon moi ça serait de me dire comment j'aurais dû faire, si déjà on écrit un bouquin prétendant servir à m'apprendre les maths de base.

Peut-être la majorité des matheux, quand ils lisent un bouquin pour apprendre un truc, ils ne s'arrêtent pas à chaque étape pour comprendre. Ils vont croire l'auteur sur parole que ça marche, et continuer à lire. Moi, non. Je veux comprendre chaque étape, donc un auteur qui ne détaille pas ce qu'il fait, je ne trouve pas ça "agréable à lire" du tout. Peut-être que vous autres, vous trouveriez ça moins agréable à lire avec les détails parce que ça serait plus lourd de passer sur les détails. Pour moi, c'est plus lourd de remplir 20 pages de brouillon par page du livre pour m'expliquer tout ce que l'auteur a eu la flemme de m'expliquer. Et ça ne rend clairement pas la lecture de quoi que ce soit d'intéressant fluide.

J'avais fait un mémoire sur "Topology From The Differentiable Viewpoint" de John Milnor. Tout le monde trouve ce bouquin génial. Pour moi c'est une purge immonde.

Je ne sais pas comment les gens font pour ne pas chercher à tout comprendre dans le détail. Pour moi, soit on comprend tout, soit on ne comprend pas.

Réponses

  • Tu peux comprendre un truc sans en avoir les détails : plein de trucs que j'ai expliqués à différentes personnes ici (dont toi sûrement par moments), je ne les avais jamais écrits en détails de ma vie, juste je les savais parce que je les comprenais, parce que je m'étais fait dans ma tête un "roadmap" de comment faire, et que j'étais 100% certain que chaque étape je savais la faire sans souci.

    C'est typiquement le cas de certaines preuves d'analyse à niveau sup/spé (évidemment pas toutes !) : un.e camarade te dira "c'est une preuve par $\epsilon$", tu fermeras les yeux 30sec et sans écrire les détails tu te dires "ah oui, ça suffit" : tu n'auras pas les détails mais tu seras sûr à 100% (comprendre : autant qu'on puisse l'être, autant qu'une preuve écrite te fera être sûr) que tu peux les faire.

    Alors oui, au début, il faut les faire les détails. Il faut les faire assez souvent (beaucoup !) précisément pour arriver à un moment où tu peux te convaincre que tu sais les faire sans avoir à les faire explicitement.

    Et évidemment, plus tu avances, plus les gens le font, parce qu'on considère que tu as suffisamment d'expérience pour combler ces trous. Alors parfois, les textes contiennent vraiment trop peu de détails et ça en devient illisible; ça m'est arrivé aussi (je ne sais pas si c'était parce qu'il me manquait l'expérience ou si c'était vraiment juste mal écrit - bien sûr de mon point de vue je dirais mal écrit, mais peut-être que d'autres me diront "non mais c'est évident, pas besoin de préciser qu'il fallait utiliser Nakayama");


    mais il faut aussi comprendre que c'est de toute façon impossible (sauf à en faire un truc à plein temps, ce que certaines personnes font - cf. le Xena project je crois que ça s'appelle, ou de manière générale les gens qui essaient de formaliser sur ordinateur les maths - mais ça dépend de ce que tu veux faire), pour la simple raison que même si tu écris "tous les détails" d'une preuve d'analyse, elle ne sera pas formelle (la définition formelle d'une preuve il y a pas de mots comme "Soit" ou "alors", il y a par exemple des enchaînements de séquents etc. ). L'idée est de savoir que "en principe, avec assez de temps [potentiellement des milliards d'années] je pourrais transcrire ma preuve en une preuve formelle lisible par un ordi".

    Bon bah cette évaluation elle est subjective, personnelle: qu'est-ce que je suis convaincu de pouvoir formaliser?

    Peut-être que toi, "c'est une preuve par $\epsilon$" tu n'es pas convaincu, mais d'autres personnes le seront.

    Après ton exemple du $\epsilon, \eta$ semble pointer vers quelque chose d'autre. Tu n'as pas l'air de demander des détails de la preuve (la preuve ne contient pas d' "explication", juste une preuve) mais des explications quant à "comment j'aurais pu trouver cette preuve ?", qui est une question complètement différente !
    Là effectivement beaucoup de textes manquent d'intuition, d'éléments d'explication de "pourquoi j'ai posé ça". Ce sera encore plus le cas en analyse de niveau sup/spé puisqu'à ce niveau-là, l'analyse c'est beaucoup de techniques qu'il faut juste apprendre et il y a pas trop de question de naturalité ou quoi que ce soit. On te dit "tu vois $\tan$, fais tel changement de variable" et tu dois le croire. Bon bah du coup pas beaucoup d'intuition ou d'explication quand dans une preuve tu verras "on effectue le changement de variable bla" : c'est une technique qu'il faut se manger.

    Donc j'ai l'impression que tu mélanges deux soucis ici : l'un est le détail dans les preuves, qui est un souci relativement complexe (jusqu'à quel point faut-il être formel si on veut tout de même avancer et pas passer notre temps devant Coq ou Lean à essayer de traduire une définition niveau L1 ? ), et l'autre est la question des explications, intuitions données dans une preuve, qui est un souci plus simple à régler (il faut le faire, et quand c'est juste une technique à apprendre, le dire; point à la ligne).

    Je me trompe ?
  • Ben, c'est un peu ça, oui. Mais si tu me dis "au début, il faut les faire, les détails". Je les ai TOUJOURS faits. Mais ça n'empêche pas que certaines choses ne deviennent juste pas automatiques. Dans tel exercice, on trouve le $\eta$ de cette manière, mais on le trouvera autrement dans un autre exercice. Pas de méthode globale, juste 1500 méthodes qu'il faut réussir je ne sais pas comment à retenir par coeur à vie.

    Mais parfois j'hallucine quand même en lisant certains trucs dans les bouquins. Typiquement, quand ils passent d'une étape à une autre en utilisant un théorème qui a un nom (par exemple le lemme de Nakayama), pour moi il FAUT le mentionner, parce que c'est un résultat technique. Et plus on avance dans les maths, plus on connait de résultats techniques, plus on va mettre de temps à tester un par un les résultats techniques qu'on connait jusqu'à trouver lequel était le bon.

    Et oui le "comment j'aurais pu trouver cette preuve" est une question que je me pose souvent. J'avais même déjà fait un fil sur ça il y a un moment. Pour moi, apprendre à trouver des preuves, ça devrait faire partie de l'apprentissage des maths, mais ce n'est pas dedans. Apprendre par coeur les preuves qu'on nous donne, ça peut aider mais ça ne permet pas de trouver comment réfléchir à une question dont on ignore vraiment le résultat.

    Personnellement, je ne pense pas qu'il y ait "des techniques qu'il faut juste apprendre", en analyse ou ailleurs. Si tel changement de variable fonctionne dans tous les problèmes où il y a des $\tan$, c'est pour une raison, un truc propre à la fonction $\tan$... appliquer mécaniquement la méthode à chaque fois, et comprendre la raison de fond qui fait que la méthode marche, c'est très, très différent, et moi je veux comprendre le fond.

    Appliquer des méthodes sans chercher à les comprendre, c'est ce que font les ordinateurs. Je n'en suis pas un, moi.
  • Homo Topi a écrit:
    Pour moi, apprendre à trouver des preuves, ça devrait faire partie de l'apprentissage des maths, mais ce n'est pas dedans.

    Oui je suis plutôt d'accord. Dans les bouquins les auteurs font souvent l'impasse sur le chemin qui mène à l'idée de la preuve ou de la résolution de l'exercice pour ne garder qu'une preuve formelle qui est rigoureuse et bien "nettoyée". Malheureusement beaucoup de profs copient cette façon de faire.

    Un exemple concret : à l'époque j'avais acheté "Théorie des ensembles" de Krivine et bien j'ai appris des choses mais il est hard comme livre et je ne l'ai pas terminé (j'en suis même pas arrivé à la moitié). Dernièrement j'ai acheté "Théorie des ensembles" de Dehornoy et la différence est juste énorme. Bon je ne vais probablement pas le terminer non plus mais je n'ai jamais vu un auteur qui prend le lecteur "par la main" à ce point là. Pour une introduction à la théorie des ensembles il est mieux (par contre le Krivine est plus complet je crois).
  • Homo Topi a écrit:

    Le corrigé de l'exercice dit littéralement. "Soit $\varepsilon>0$. Posons $\eta=\text{machin }[...]$

    Je suis le seul à qui ça donne envie de frapper des gens dans la bouche ? Sérieusement ! Le but d'écrire un bouquin niveau L1/L2/sup/spé, c'est d'apprendre les bases aux étudiants, non ? Alors au lieu de me cracher la bonne réponse à la figure comme ça, l'auteur pourrait prendre 2 lignes de plus dans son bouquin pour m'expliquer comment il l'a trouvé, son $\eta$.
    Il l'a trouvé par inspiration.
    Les méthodes n'existent pas en maths. Il s'agit d'un phénomène naturel implacable, décrit formellement par des théorèmes d'indécidabilité (par exemple le théorème de l'arrêt qui dit qu'aucun logiciel ne peut lire un code source quelconque et conclure de manière fiable si l'exécution du programme correspondant s'arrêtera ou non).

    Pour comprendre, donnons un cas particulier simple de ce genre de choses (la majorité des résultats plus élaborés en sont des variantes).
    On fixe un ensemble fini $A$ de symboles ("alphabet") à au moins deux éléments et on considère l'ensemble $M$ des suites finies d'éléments de $A$ (les "phrases"). On considère alors une famille $(f_p)_{p\in M}$ de fonctions partielles (des "méthodes", ou "algorithmes"): si $q\in M$, $f_q$ est le "procédé décrit par la phrase $q$" qui transforme (si possible) systématiquement un élément de $M$ en un autre.
    Dans la suite on considère deux éléments distincts $0$ et $1$ dans $A$ (qui vont jouer le rôle de booléens on va dire).

    Peut-on savoir à l'aide d'une "méthode" au sens ci-dessus, étant donné $x\in M$, si $f_x(x)=0$? Non car

    Théorème: il n'existe aucun $u\in M$ tel que pour tout $y \in M$, $f_u(y)=1$ si $f_y$ est défini en $y$ et $f_y(y)=0$, et $f_u(y)=0$ dans tous les autres cas.
    En effet s'il existait un tel $u$, on aurait $f_u (u)=1$ ou $0$ ($f_u$ st défini partout et à valeurs dans $\{0,1\}$ par hypothèse).
    Si $f_u(u)=1$ alors $f_u$ est défini en $u$ et $f_u(u)=0$ ce qui est une contradiction.
    Si $f_u(u)=0$ alors $f_u$ n'est pas défini en $u$ (faux par hypothèse) ou bien $f_u(u)$ est différent de $0$ (à nouveau impossible).
    Bref on a une contradiction dans les deux cas.
    Une fonction est un ensemble $f$ de couples tel que pour tous $x,y,z$, si $(x,y)\in f$ et $(x,z)\in f$ alors $y = z$.
  • Il faudrait que je ressorte l'exemple que j'ai en tête pour te dire qu'on peut très bien résoudre l'exercice en question "de façon méthodique". Bon, on ne peut pas toujours, d'après ce que tu dis. Mais même quand on peut, j'ai l'impression que c'est délaissé dans les livres et dans les cours, et visiblement d'autres sont d'accord avec moi.
  • Ce n'est pas parce qu'il existe des énoncés qu'on ne peut trouver que par inspiration que l'énoncé indiqué par Homo Topi en est un.

    On peut imaginer que le correcteur a pris un $\eta>0$, et a réussi à majorer $|f(x)-f(y)|$ sous la condition $|x-y|<\eta$ par $\max(\varphi_1(\eta),\ldots,\varphi_n(\eta))$ où les $\varphi_i$ sont des fonctions continues, nulles en 0, strictement croissantes, dont la réciproque est facile à calculer, et dans ce cas il a posé $\eta=\min(\varphi_1^{-1}(\epsilon),\ldots,\varphi_n^{-1}(\epsilon))$.
  • Une remarque: ton exemple sort du Gourdon, dont le but assumé n'est pas d'apprendre la base aux étudiants.
    Les Gourdon, c'est des livres de spé++, avec une partie très courte voire minimaliste de cours et des exercices et problèmes en général assez durs. Ces bouquins s'adressent aux (bons) étudiants qui visent X-ENS, aux 5/2, et peut-être aux étudiants de spé des grandes prépas parisiennes biberonnés au hors-programme dès leur sup. Il y a énormément de hors-programme dans ces livres, et le but n'est pas de "prendre le lecteur par la main" sur les sujets "de base".

    Du coup, plein de preuves y paraissent un peu "parachutés", c'est le parti pris de l'auteur de ne pas expliciter tous les micro-détails et le pourquoi du comment, pour garder un livre assez court.

    Je ne juge pas si en général c'est une bonne ou une mauvaise chose, je dis simplement que le livre que tu accuses de ne pas être très pédagogue (critique juste de ces ouvrages) n'est pas un des livres qui s'annonce comme tel.

    Sinon, je rejoins Maxtimax sur le "niveau de détail" des preuves. Si tu donnes trop de détails, tu noies une preuve dans la technicité, si tu n'en donnes pas assez, la preuve parait incomplète, et chacun place "sa limite" entre les deux. Par exemple, en topologie algébrique, tu verras assez vite que presque partout, les homotopies arrêtent d'être explicitées assez tôt dans les bouquins: si on doit trouver une formule exacte pour chaque homotopie utilisée, on ne s'y retrouve plus et la preuve en deviendrait incompréhensible alors que "l'idée géométrique" est là.

    J'en profite pour remarquer que, vu que tu as l'air d'aimer les choses faites de manière carrée, précise et bien référencée, tu devrais jeter un œil aux ouvrages de Bourbaki, là, il y a un véritable effort qui a été fait pour donner tous les détails des preuves, en citant explicitement toutes les propriétés utilisées. Ça a comme inconvénient que si tu cherches à lire une preuve d'un de ces livres, tu vas surement te retrouver à en feuilleter au moins quatre autres pour voir exactement quelles propriétés sont utilisées, et les preuves de ces propriétés vont te faire feuilleter encore d'autres bouquins, etc...
  • J'ai déjà lu du Bourbaki, mais ça date. Je ne me souviens plus très bien à quoi ça ressemble.

  • Il n'y aurait pas Daniel Li dans les livres coupables que tu évoques ? :-(
  • Je reviens sur ta première réponse (en ayant lu les autres) : déjà, ton premier paragraphe refait le mélange entre "niveau de détails" (que tu mentionnes explicitement) et intuitions (que tu mentionnes en parlant de "comment on trouvé le $\eta$) .


    Je voudrais vraiment appuyer sur le fait que ce sont des choses différentes : pour reprendre les deux derniers exemples de chat-maths : en topologie algébrique il manquera effectivement parfois des détails de quels sont les homotopies, mais ce n'est pas pour autant que les explications de comment on a trouvé telle idée n'y seront pas (parfois ça manquera aussi bien entendu hein ! Mais pas toujours ); a contrario Bourbaki contient tous les détails techniques ("on peut faire ça d'après Livre 5 paragraphe 6 proposition 7.8.14") mais aucune explication (bon j'exagère , j'ai pas tout lu donc je peux pas dire "aucune" , mais le traité se veut "austère" puisqu'il est là pour fournir une base formelle, et fournir une base formelle ne requiert aucunement de dire d'où sort le $\eta$ qu'on a trouvé ! Et donc souvent ça n'y est pas)


    Sinon je suis d'accord avec ce qui a été dit, notamment par JLT qui a souligné comment la plupart des preuves par $\epsilon-\eta$ (ou $\epsilon-\delta$) fonctionnent : on prend.un $\eta$ quelconque, on le suppose éventuellement assez petit, peut-être différent de $1$ ou de quelques valeurs critiques, on fait nos majorations avec, et on l'arrange ensuite pour que le majorant passe en dessous de $\epsilon$. C'est une méthode qui ne marchera pas tout le temps, mais la plupart du temps pour les exos de base quand même.
  • Si tu parles de "Cours d'analyse fonctionnelle", je trouve que c'est un assez bon livre. J'ai mis un peu de temps à l'apprécier, mais au final, je suis content de l'avoir pris. Il contient pas mal d'exercices que j'arrive à trouver intéressants alors que l'analyse c'est pas mon truc.

    Les principaux défauts, je dirais que c'est au niveau de l'éditeur, pas de l'auteur : un bon index des notations, ça serait bien (vu le nombre de notations standard et "non standard" qu'il y a dans le livre), et la mise en page est parfois discutable.
  • Homo Topi a écrit:
    Et oui le "comment j'aurais pu trouver cette preuve" est une question que je me pose souvent. J'avais même déjà fait un fil sur ça il y a un moment. Pour moi, apprendre à trouver des preuves, ça devrait faire partie de l'apprentissage des maths, mais ce n'est pas dedans.

    Sur l'autre fil j'avais déjà réagi, et je vais essayer de ne pas trop me répéter.

    Je pense que tu confonds deux choses. Une démonstration a deux contenus : le premier est qu'elle doit être une certification du théorème qu'elle prouve, et que tout le monde devrait pouvoir, mécaniquement, la vérifier et s'assurer qu'elle est correcte (i.e. qu'elle ne suppose pas plus que ce qu'elle annonce). Le second est son sens.

    Le résultat du premier est que la personne qui lit dit : "ok, je suis convaincu que le théorème est vrai". Le résultat du deuxième est "oh mon dieu, j'ai compris pourquoi le théorème est vrai".

    A mon avis :
    - le premier a un sens formel, et le second n'en a pas ;
    - ces deux choses sont antagonistes (puisque l'impression d'avoir compris peut induire chez la personne l'idée qu'il n'y a pas besoin de vérifier les détails et donc nuire à son travail de vérification méthodique et algorithmique).

    S'il manque quelque chose dans une démonstration qui fait qu'elle ne permet pas à une personne de s'assurer qu'elle est correcte, c'est une mauvaise démonstration en le sens qu'elle ne remplit pas son but premier. Par contre, s'il manque quelque chose dans une démonstration qui fait qu'on ne comprend pas pourquoi elle marche, alors on peut, au pire, la qualifier de "snob", ce qui n'est pas du tout la même chose.
  • Je vois ce que tu veux dire, et c'est un très bon point.

    Disons que pour moi, dans un cours ou dans un livre, il faudrait avoir fixé clairement les prérequis. Après, dans une démonstration, si c'est un résultat prérequis qui justifie une étape, je dirais que ce n'est pas la peine de détailler mais, pour la clarté, je préfèrerais qu'on cite le résultat : comme ça, quelqu'un qui a encore des lacunes et a besoin de voir les choses en détail, c'est vite réglé.

    Pour les résultats qui ne sont pas des prérequis, par exemple, utiliser dans une démonstration du chapitre 4 du livre un résultat du chapitre 1, il me semble indispensable de détailler un minimum : le résultat du chapitre 1 n'est pas forcément bien assimilé à ce moment-là du cours, et le fait de redétailler une de ses utilisations peut, justement, aider à l'assimiler.

    Dans un cours de calcul diff de L2-L3, j'attends qu'on détaille chaque utilisation du théorème d'inversion locale. Dans un cours de géo diff de Master, je veux bien qu'on dise juste "c'est le théorème d'inversion locale".
  • C'est bien pour ça qu'un livre remplacera (ou pas) toujours difficilement un cours/une explication faite par un être humain au tableau. Un être humain face à d'autres êtres humains n'osera pas écrire une preuve (pas trop complexe) complètement aseptisée et totalement débarrassée de toute indication de la genèse de la preuve.

    J'imagine qu'un auteur de livres se doit d'être concis (le papier n'est pas gratuit et un livre trop épais fait fuir l'acheteur potentiel)
  • Je pense quand même que les principes (qu'est-ce qu'on dit ou non) que j'ai énoncés dans mon dernier message devraient convenir à un grand nombre d'étudiants. Mais oui, je sais qu'on ne peut pas transformer un cours magistral en amphi en un cours particulier pour 50 étudiants.

    Je ne veux évidemment pas non plus dire qu'un cours devrait être écrit de la sorte qu'aucun des lecteurs ne ressente le besoin de vérifier quelque chose soi-même à aucun moment. Bien sûr que non. Mais on peut guider le travail de ceux qui sortent le brouillon pour comprendre, de sorte à 1) leur faire perdre moins de temps 2) leur faire voir l'utilité du résultat qui démontre ce qui les bloquait.

    De même que quand tu bidouilles une intégrale devant nous sur le forum, tu dis que tu fais un changement de variable, une IPP ou que tu utilises le théorème des résidus. Tu ne me dis pas COMMENT tu utilises le truc, mais au moins tu me dis "avec cette méthode ça marche", donc si je veux comprendre sans y passer 6 mois, ça m'aide. Et j'aimerais que plus de textes mathématiques soient écrits comme ça. En tout cas ceux niveau Licence-Master.
  • Je vais dire une banalité: livre ou cours devant élèves, c'est comme à Cash City, tout le monde veut que tout le monde l'aime, mais personne n'aime tout le monde.

    Certains aiment l'heuristique et la genèse des preuves, d'autres pas.

    L'avantage d'un cours (devant un effectif raisonnable), c'est que le discours peut s'adapter aux réactions du public (quand elles existent, ce qui n'est pas toujours le cas).

    En réalité, dans un vrai cours où on a un peu d'interaction, beaucoup de temps est passé sur des problèmes qui ne relèvent pas spécifiquement du cours. La notion de prérequis est souvent floue.
  • Les prérequis dans un bouquin, je veux bien. Certains auteurs disent "nous on a pris ça comme référence", comme le Félix-Tanré de topologie algébrique qui dit "lisez le Queffélec de topologie, on part du principe que vous connaissez les notions qui sont dedans". Tout le monde ne le fait pas, parce que ça finit par donner n'importe quoi : de génération en génération, les standards changent, les livres cessent d'être édités, etc etc problèmes.

    Dans un cours de fac, c'est plus simple. Si tu es en deuxième année on s'attend à ce que tu aies compris/rattrapé les notions de première année (de l'établissement où tu fais ces études, disons), sinon on n'avance plus, il faut exiger un minimum de la part d'étudiants pour qu'ils réussissent. Est-ce qu'on va t'admettre dans un cours de théorie de Galois si tu n'as pas montré que tu maîtrises un minimum ce qu'est un groupe, anneau, un corps, un espace vectoriel, un polynôme ? Non. On peut (ne c'est pas toujours évident) toujours établir une liste "logique" de prérequis à un cours, même si elle n'est pas parfaite/exhaustive elle peut toujours aider à guider les étudiants.

    Je ne dis pas que la "genèse de preuves" intéresse tout le monde, je dis qu'elle devrait faire partie plus intégrante du processus d'apprentissage, en tout cas quand on fait des maths pures pour se diriger vers l'agrégation ou la recherche (mais même en dehors, typiquement pour l'enseignement).
  • Bonjour Homo Topi.

    Je soupçonne dans ta demande d'explication systématique du "pourquoi de la preuve" (de comment on a pu y penser) un double mouvement :
    * une croyance que les preuves sont finalement évidentes. C'est faux dans certains cas, où un petit futé a trouvé une façon de démontrer une propriété, et tout le monde le recopie, faute de pouvoir trouver "plus simple", voire même une autre façon de faire. C'est faux pour certains théorèmes dont les preuves sont extrêmement longues (des centaines de pages). C'est une erreur pour des théorèmes fondamentaux dont l'idée est assez élémentaire, mais ne donne pas une démarche de preuve.
    * une certaine fainéantise : "pourquoi devrais-je chercher à comprendre pourquoi la preuve a marché, c'est le travail du prof, pas mon travail d'étudiant". Non, ce n'est pas nécessairement le travail du prof ou du rédacteur du bouquin. Il n'a pas toujours le temps ou la place dans le livre. Et partout où un vrai début de réflexion permet de vite comprendre comment ça se passe, il est inutile de beaucoup détailler la preuve (voir ce message suite à une réflexion de ce genre).

    Après, il y a des domaines où tout semble évident, et d'autres où "on ne voit pas". Moi c'est l'algèbre, et je me contente d'apprendre et de m'habituer aux notions et à ce qu'on en fait. N'importe comment, généralement les explications ne m'expliquent rien !!

    Cordialement.
  • Alors, non, pour les deux points.

    Je sais très bien que les preuves ne sont pas forcément évidentes. Cependant, je cherche quand même s'il y a possibilité d'y trouver quelque chose de méthodique. Par exemple, si on veut démontrer le théorème de Jordan, on essaie d'abord dans le cas général $C^0$, on a envie de se tirer une balle, alors on essaie d'abord le cas $C^1$, on y arrive péniblement, et là on se demande "maintenant que j'ai un squelette de preuve, comment contourner l'hypothèse $C^1$ là où je m'en suis servi". Pourquoi fait-on la preuve comme ça ? Simplement parce que les fonctions $C^1$ sont plus simples, alors on commence par ça en priant que la preuve sera "adaptable" au cas général plus tard. Si elle ne l'est pas, ben, pas de chance. Et des exemples comme ça, j'en ai plusieurs. J'en donne encore un : tu veux démontrer un truc dans tel espace de fonctions, tu n'y arrives pas directement, mais tu sais que tel ensemble de fonctions plus sympathiques est dense dans ton espace de fonctions, alors tu passes par ça... et donc après tu vas faire quoi ? Appliquer la même chose ailleurs : chercher des sous-espaces denses intéressants dans d'autres espaces de fonctions... ça ne veut pas dire que tu vas en trouver facilement, ni qu'ils vont t'aider à résoudre les problèmes dans ces autres espaces, mais il s'est dégagé un semblant de méthode. Tu veux démontrer un truc sur des groupes ? Commence par le cas abélien, etc. Le fait de "trouver les cas simples dans un contexte, et commencer par essayer de résoudre le problème dans les cas simples" c'est une méthode. Qui requiert de "trouver les cas simples". Effectivement, ce n'est pas une formule magique qui sert de générateur de preuves, mais ça peut servir très souvent à trouver par où commencer à réfléchir face à une question où on se sent perdu. Donc voilà. Des méthodes pour aborder les problèmes, quoi.

    Je suis fainéant, moi ? Eh ben merci ! Je bosse à temps plein (un temps plus plein qu'un temps plein français), je fais des maths sans enseignant (enfin, avec le forum), quand je pose une question je demande à ce qu'on ne me donne pas tout de suite toute la réponse... fainéant ? Je ne demande pas à quelqu'un qui écrit un livre d'analyse fonctionnelle de Master de m'apprendre à découper les $\epsilon$ en quatre, je pense avoir été assez clair là-dessus. Mais quand j'ai compris la résolution d'un exercice, que je veux l'expliquer à quelqu'un en faisant le détail, que ça me prend une page de brouillon et que le corrigé du livre tient en une demi-phrase, je ne suis juste pas d'accord que j'exagère en disant qu'il faut un peu mieux doser les explications (sinon, autant ne plus en donner...). Bref, on ne tombera peut-être pas d'accord.

    Je me doute bien qu'en analyse réelle, souvent je ne "vois pas". Je refuse toujours d'admettre que j'y suis condamné, j'aimerais pouvoir garder espoir...
  • Effectivement, tu n'es pas fainéant, tu passes ton temps à chercher des raisons à ce que tu ne connais pas au lieu de simplement prendre les raisons qui te sont données (les preuves sont de vraies raisons). mais la fainéantise n'est pas de chercher, c'est de demander aux autres de faire ce travail qu'ils ne peuvent pas faire ! Ils ne peuvent pas répondre aux différentes façons de comprendre des étudiants ou des lecteurs. Certains rédigent d'une façon qui te convient, et tu trouves qu'ils expliquent bien (alors que d'autres les trouvent illisibles), d'autre pas.

    Sinon, tu as très bien défini le travail du chercheur, ou de l'étudiant qui veut apprendre seul. Mais ne rêve pas, il n'y a pas toujours de "bon chemin" vers la preuve, et parfois, ce chemin que tu décris amène dans une impasse. L'étude de l'histoire des maths (plus généralement des sciences) le montre souvent.

    Cordialement.

    NB : Connais-tu la notion de reverse engineering ? L'une des idées d'apprentissage des preuves est de regarder "pourquoi ça a marché" et de comparer à l'idée initiale qu'on avait et sur laquelle on a buté. Ça permet parfois de repérer qu'il manquait simplement un "truc" qu'on n'a pas su imaginer.
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