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Ce que j'aimerais faire dans les maths

Je n'ai aucune idée du meilleur sous-forum pour ce fil, alors, je vais le mettre ici. En vrai, ça fait un bon moment que j'essaie d'écrire ce message, je n'ai encore jamais réussi à le formuler sans que mon cerveau parte en vadrouille avant la fin.

Ceux qui suivent un peu les fils que je poste ont dû remarquer que je fais des maths de façon un peu bipolaire : d'un côté, je rattrape mes lacunes de Licence (principalement en analyse), et de l'autre côté, j'essaie de m'intéresser à des domaines plus avancés. C'est de ça que j'aimerais parler.

J'ai essayé de travailler dans le système prépa, ça ne me convenait pas. J'ai essayé de travailler dans le système fac, ça me dérangeait moins mais ça ne me plaisait pas vraiment non plus. Je pense que le mieux, pour moi, c'est qu'on me donne une consigne "tiens, travaille ça" et que j'essaie de me débrouiller seul avec, jusqu'à ce que j'aie des résultats à présenter ou des questions pour me débloquer. Le problème quand je fais ça, c'est que je papillonne dans les mathématiques, je touche à plein de choses, mais je ne vais pas vraiment très loin dans les différents domaines. Si je vivais 500 ans, je pourrais devenir polymathe avec le temps, mais ça ne va pas arriver (avec ma génétique, si je dépasse les 80 ans, j'établirai un record familial). Du coup, j'aimerais bien pouvoir me concentrer sur quelque chose d'un peu plus précis, dans le sens, trouver un domaine qui m'intéresse suffisamment pour que j'arrive à laisser les autres "majoritairement de côté". Et vu comment je travaille/fonctionne, je pourrais avoir besoin du forum. Il y a des connaisseurs/spécialistes pour plein de choses, ici, peut-être qu'ils pourront m'aider à trouver ma voie dans le monde gigantesque des mathématiques.

Je vais lister un peu les choses qui m'intéressent, les questions que je me pose, je vais écrire comme ça vient :

Groupes : les cours sur les groupes et les représentations à la fac, c'était fun. J'aime bien les groupes et l'algèbre linéaire. J'ai pris le bouquin de Serre pour travailler/retravailler ça. Il contient un petit chapitre "Extension aux groupes compacts", j'avais même travaillé sur un article en anglais sur l'existence des mesures de Haar sur les groupes localement compacts. Je sais qu'il existe une analyse harmonique sur ces groupes, j'ai vu la transformation de Fourier "usuelle" en cours d'analyse fonctionnelle à la fac, je ne sais pas encore pourquoi je trouve la TDF fun, mais j'arrive à trouver ça fun. Sur le thème des groupes, les groupes de Lie aussi ça m'intéresse, j'ai un petit bouquin sur ça que mon prof de géo-diff m'avait recommandé. Ils font la classification des algèbres de Lie simples sur $\mathbb{C}$, je n'ai jamais vu quelque chose d'équivalent sur $\mathbb{R}$. J'aime bien étudier les propriétés des groupes de matrices, même si je pense que je ne comprends pas vraiment pourquoi c'est important. J'avais demandé une fois pourquoi j'ai lu que les groupes de Lie ont des applications dans la résolution d'équa-diff, j'avais pu voir comment la symétrie dans certains problèmes faisait apparaître un groupe de Lie. Bizarrement, la résolution de "vrais" problèmes de maths appliquées m'intéresse moins que juste la théorie algébrique des outils mathématiques que les résolveurs de problèmes utilisent. Pourtant, j'aime beaucoup la physique...

Analyse fonctionnelle : Encore une fois, la transformation de Fourier c'est un truc que j'aime bien. Les espaces de Hilbert, aussi... c'est vraiment très carré, on arrive à des résultats très géométriques grâce au produit scalaire. Les espaces de Banach, c'est plus compliqué, mais ils sont beaucoup plus courants, j'ai l'impression. L'analyse fonctionnelle, tant que c'est de l'étude structures (j'ai envisagé de fouiller un peu les théories des espaces localement convexes, des espaces de Fréchet parce que ça a l'air sympa comme généralisations) et bien abstrait (algébrique, disons) je m'y sens à l'aise. Résoudre des équations différentielles, des EDP, des équations intégro-différentielles, minimiser des fonctions définies par des intégrales avec un noyau d'opérateur c'est peut-être "plus utile" mais c'est juste quelque chose que je n'aime pas trop... probablement parce que je suis très mauvais avec les équations différentielles, c'est quelque chose que j'ai toujours eu du mal à cerner. Je n'ai pas encore très bien compris comment fonctionnent les distributions, et ce que signifie "dérivée au sens des distributions" ou "solution (d'équa-diff) au sens des distributions", mais les distributions, la TDF, la convolution etc. c'est des manipulations algébriques en un sens, donc je me sens à ma place quand je travaille dessus.

Algèbre commutative, Géométrie algébrique : à bas niveau, ça parle de courbes et de polynômes, d'idéaux, ce genre de choses. Des objets que je connais, même si je ne maîtrise pas tout. Et puis c'est bien, bien algébrique, il n'y a pas tous ces $\epsilon$ qui traînent. A plus haut niveau, ça parle de variétés algébriques, de schémas, il y a des catégories, des faisceaux et plein de grothendieckeries compliquées. D'un côté, ça m'a l'air d'être un truc que je peux comprendre parce que c'est très algébrique, mais ça a l'air vraiment compliqué quand on essaie d'entrer dedans. Et à part la théorie des nombres, je ne connais pas vraiment d'applications. Je me dis... on dirait que c'est un truc qui sort un peu de nulle part, ces variétés, ces schémas, tous ces trucs abstraits, alors quel est l'intérêt de les étudier ? Mais je sais que juste parce que je ne connais pas le lien entre la géométrie algébrique et d'autres domaines des maths ne veut pas dire qu'il n'y en a pas, et que c'est juste une mesure de mon inculture sur le sujet. La théorie des nombres, en tout cas, ça me laisse relativement froid, on va dire. Qu'est-ce qu'on peut faire de sympa quand on maîtrise un peu de géométrie algébrique ?

Géométrie différentielle : c'est un cours que j'ai vraiment bien aimé à la fac (un semestre de géo-diff, un semestre de géométrie riemannienne où j'ai mentalement décroché parce que j'ai décroché de littéralement tout à cette époque-là). C'est une théorie gigantesque qui contient plein de trucs qui ont l'air fun. J'ai eu un cours sur les formes différentielles à la fac, j'ai vraiment envie de reprendre ça "proprement" (à ma manière) pour bien comprendre comment ça fonctionne et comment on les intègre, ça a l'air de servir énormément en physique. Quand j'ai fait ma leçon sur les déterminants en M2 Agreg, j'ai découvert que le groupe linéaire possédait un sous-groupe particulier dont on ne nous avait jamais parlé, le groupe symplectique. J'ai vu qu'il y avait tout un pan de la géométrie différentielle qui s'appelle géométrie symplectique, la "partie linéaire" de la théorie qui s'occupe du groupe linéaire et de son action sur les espaces vectoriels c'est sympa (puisque ça parle de groupes et d'algèbre linéaire), la "vraie" géométrie symplectique proprement dite je ne sais pas encore ce que j'en pense, ni vraiment ce qu'on en fait. J'imagine qu'elle a des applications en physique, comme toute la géo-diff.

A côté de ça, je vois l'analyse complexe qui m'a l'air fascinante sans que je sache trop pourquoi. Peut-être parce que j'entends parler de fonctions spéciales depuis longtemps, et qu'on les retrouve tout le temps en théorie des nombres (pour ce que j'en sais...). Je pense qu'il doit y avoir un lien étroit entre la structure des nombres entiers et celle des nombres complexes, je trouve intéressant qu'on utilise des nombres imaginaires pour étudier des nombres dits "naturels", mais... peut-être que j'aime juste les nombres complexes parce que les graphes colorés de fonctions holomorphes, je trouve ça zôôôôli. Et puis, toutes ces fonctions spéciales qui se baladent sur $\mathbb{C}$, il faut savoir faire de l'analyse réelle pour les étudier... ça ne me motive pas autant, parce que le chemin me paraît long.

La physique, j'aime bien. Faire des maths qui servent pour la physique, ça me paraît intéressant ("vu de loin" en tout cas, puisque je n'ai jamais vraiment mis le nez dedans). Je connais la théorie des systèmes dynamiques de nom. Si c'est plein d'équa-diffs et de probas, au secours. Si on peut étudier ces trucs de manière algébrique, géométrique ou topologique, peut-être que je jetterais un oeil.

Peut-être que le meilleur pour moi, c'est de rester dans le terrain connu des groupes et de l'algèbre linéaire, puis de voir si l'analyse fonctionnelle et/ou la géométrie différentielle peuvent m'apporter un terrain de jeu où je me sens à l'aise. Mais ce sont deux théories absolument gigantesques, on s'y perd... en tout cas, si vous avez quelque chose à me raconter sur l'un des domaines que j'ai mentionnés, de quoi m'appâter un peu, je suis tout ouïe.

Réponses

  • Joli projet.
    Pas sûr que j'ai les compétences pour t'aider vu la différence de cursus qui fait qu'on aborde forcément les notions avec un autre niveau.
    Je te rejoins sur 2 points en tout cas:
    -J'ai une démarche un peu similaire où je m'efforce de maintenir mes connaissances de bases en physique et mathématiques par plaisir et pour enrayer le déclin inévitable des connaissances.
    -L'analyse complexe et les fonctions spéciales sont des objets d'étude passionnants. Je l'ai étudié principalement du point de vu outil mathématique mais malgré ça le thème est vraiment intéressant de par les perspectives qu'il ouvre (théorème des résidus et calcul intégral) ou par les connexions qu'ils établissent avec ce qu'on connait depuis longtemps (extension de la notion de factorielle avec la fonction gamma par exemple).
  • Faux ! Il y a des $\varepsilon$ (vu comme infinitésimaux) en géométrie algébrique, voir l'anneau des nombres duaux : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_dual
  • "Qu'est ce qu'on peut faire de sympa quand on connaît un peu de géométrie algébrique ? "

    Tu peux voir ici : http://www.math.lsa.umich.edu/~idolga/McKaybook.pdf ou là https://arxiv.org/pdf/alg-geom/9602006.pdf

    Il y a beaucoup d'applications de géométrie algébrique en théorie des représentations aussi, par exemple tu peux voir le théorème de Borel-Weil-Bott pour commencer.
  • "Pour commencer"... j'ai vu la tronche du théorème et je n'y ai rien compris, je ne vois pas quoi faire avec un énoncé pareil.
  • C'est un énoncé qui permet de construire géométriquement les représentations irréductibles de groupes de Lie semi-simples. Je le trouve très joli, et en fait c'est le "début" d'une branche des mathématiques qui essaye de construire "géométriquement" (i.e avec des faisceaux) des représentations, des algèbres, certaines bases (voir bases de crystal par exemple)... Pour plus de mots clés, il y a la théorie de Springer, la théorie de Deligne-Lusztig, les variétés de carquois, le théorème de Satake géométrique. Mais c'est des sujets très avancés dont j'ai une compréhension très très superficielle.

    J'avais d'ailleurs commencé un fil "représentations et faisceaux" que j'espère un jour finir et qui contenait quelques infos à ce sujet.

    Pour prendre un exemple simple de Borel-Weil-Bott, pour $SL_2$ tu sais peut être que $\Bbb P^1 = SL_2/B$. Les représentations irréductibles de $SL_2$ sont donnés par $Sym^n(\Bbb C^2) = \Gamma(\Bbb P^1, \mathcal O(n))$. Eh bien Borel-Weil-Bott te dit que ce n'est pas un hasard et que ça marche pour n'importe quel groupe de Lie.

    Certaines conjectures importantes en théorie des représentations (donc purement algébrique) ont été prouvés grâce à des méthodes géométriques.
  • Je ne sais toujours pas vraiment quoi faire avec des représentations. J'ai fait un mémoire sur des représentations, j'ai justifié plein de tables de caractères (youpi) mais après, ça sert à quoi ? Aucune idée.
  • Bonsoir Homo Topi,

    Je te cite : "A côté de ça, je vois l'analyse complexe qui m'a l'air fascinante sans que je sache trop pourquoi."

    Penses-tu réellement ne pas savoir (trop) pourquoi ? Je ne le pense pas. Par exemple, y aurait-il un rapport avec la géométrie différentielle ? Un rapport avec la théorie des groupes (actions de groupes) ? (...)

    Amicalement,

    Thierry
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • Ce que j'ai vu pour l'instant en analyse complexe ne touchait pas vraiment à ça. Je pense que pour la géo-diff tu veux faire référence aux surfaces de Riemann (ou aux variétés complexes en général) mais quel est le rapport avec les actions de groupes ?
  • Pour te donner une petite idée, le texte qui suit est extrait du livre rédigé par Alain Yger, livre intitulé "Analyse complexe - Un regard analytique et géométrique enrichi de 230 exercices corrigés," de lecture difficile. Tu pourras également joindre Philippe Caldero qui te donnera quelques pistes sur ce point, et pourquoi pas Alain Yger lui-même. C'est possible ; je l'ai déjà fait.103034
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • C'est un peu au-delà de ce que je suis capable de comprendre, les histoires d'homologie j'ai vu un peu une fois mais sans vraiment comprendre.
  • Justification mondaine : Les représentations apparaissent beaucoup en physique. :-D

    Vrai justification (pour moi) : les représentations sont les structures algébriques fondamentales. Par exemple, personne ne sait vraiment ce qu'est le groupe symétrique avant de le voir agir sur $\{1, \dots, n \}$ en permutant. Eh bien quelque part, un groupe (fini, de Lie, ...) ou une algèbre se "voit" en comprenant ses représentations, c'est à dire comment ça peut agir sur des objets concrets (des espaces vectoriels, par des matrices). En fait tu as un résultat très beau de Tannaka qui moralement confirme ça, dans le sens que sous certaines conditions $G$ peut être reconstruit à partir de ses représentations.

    Il y a aussi à la fois des résultats fondamentaux qui sont inconnus (voir les questions ouvertes en caractéristique positive, par exemple les formules de caractères) qui rendent le sujet assez excitant, mais même en terrain "connu" il y a plein de questions intéressantes et de nouveaux développements. Et l'histoire de la théorie des représentations est très riche et profonde.

    Enfin une autre raison pour moi est le nombre incroyable d'applications et/ou de connection avec les autres branches de mathématiques alors que c'est une branche assez "appliquée" (contrairement à disons la théorie des catégories qui est assez général et donc sans doute connectée avec presque tous les sujets des maths). Pour juste donner un exemple, tu peux regarder la correspondence de McKay (qui correspondent aux notes de Dolgachev que j'avais mis dans mon deuxième message).
  • A 55 ans, je m'attaque aux catégories et, voire plus. Tout est donc possible. Oui, tout est possible. Cela dépend de toi seulement.
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • Homo Topi a écrit:
    Je ne sais toujours pas vraiment quoi faire avec des représentations. J'ai fait un mémoire sur des représentations, j'ai justifié plein de tables de caractères (youpi) mais après, ça sert à quoi ? Aucune idée.

    En théorie des nombres ça sert beaucoup pardi ! (mais pas que bien sûr)

    Tu connais la fonction $\zeta$ de Riemann, et tu sais qu'elle permet d'étudier la répartition des nombres premiers j'imagine. Si maintenant on s'intéresse à la répartition des nombres premiers dans les progressions arithmétiques $qn+a$, les fonctions qui régissent leurs répartitions sont les fonctions $L$ de Dirichlet : si $\chi$ est un caractère de $\left(\mathbb Z/q\mathbb Z\right)^{\times}$ (c'est-à-dire un morphisme $\left(\mathbb Z/q\mathbb Z\right)^{\times} \to \mathbb C^{\times}$) prolongé par $0$ à tout $\mathbb Z/q\mathbb Z$, alors la fonction $L$ de Dirichlet associée est $$L(s, \chi) = \sum_{n=1}^{+\infty} \frac{\chi(n)}{n^s}.$$

    Maintenant on peut généraliser tout ça en "plus grands dimensions". On considère une extension galoisienne $L/K$ de corps de nombres, de groupe de Galois $G$. Dans ce groupe de Galois, à chaque idéal premier $\mathfrak p$ de (l'anneau des entiers de) $K$ on peut associer naturellement une classe de conjugaison de $G$ contenant de l'info arithmétique sur $\mathfrak p$, qu'on appelle classe de Frobenius de $\mathfrak p$ (et que je noterai $\text{Frob}_{\mathfrak p}$).

    Et bien comme avant, on peut s'intéresser à la répartition des idéaux premiers ayant une certaine classe de Frobenius dans $G$. On retombe sur les progressions arithmétiques en considérant $K=\mathbb Q, L = \mathbb Q(\zeta_q)$ avec $\zeta_q$ une racine primitive $q$-ième de l'unité : on montre que pour $p$ premier ne divisant pas $q$, $p \equiv a \text{ mod } q \Leftrightarrow \text{Frob}_p = \{\sigma_a\}$, où $\sigma_a$ est l'élément $\zeta_q \mapsto \zeta_q^a$. En particulier, si on sait étudier la répartition des premiers ayant pour classe de Froebnius $\sigma_a$, on sait étudier la répartition des premiers $p \equiv a \text{ mod } q$ !

    Bref, quel rapport avec les représentations ? Il se trouve que la généralisation du théorème des nombres premiers dans ce contexte est la suivante (théorème de Chebotarev) : soit $C$ une classe de conjugaison de $G$. Alors $$\#\{\mathfrak p \text{ idéal premier de } \mathcal O_K \mid N(\mathfrak p) \leq x, \text{Frob}_{\mathfrak p} = C\} \underset{x \to +\infty}{\sim} \frac{|C|}{|G|} \frac{x}{\log x}.$$ Je précise que $N(\mathfrak p)$ désigne la norme de $\mathfrak p$, c'est-à-dire $\#\mathcal O_K/\mathfrak p$, i.e. la seule notion naturelle de "taille" de $\mathfrak p$ (tout comme $|p| = \#\mathbb Z/(p)$).

    Et comment montre-t-on un tel théorème (et étudie-t-on toutes les questions plus fines qui s'y rapportent) ? Comme avant, il y a des fonctions $L$ derrière tout ça, appelées fonctions $L$ d'Artin. Cette fois, ces fonctions ne sont plus associées à des caractères de Dirichlet mais bien aux caractères des représentations linéaires (complexes) de $G$ ! Je ne vais pas écrire leur définition qui est un poil technique, mais en tout cas la théorie des représentations joue un grand rôle là-dedans. D'ailleurs, l'une des motivations historiques du développement moderne de la théorie des représentations (je pense notamment aux théorèmes d'Artin et de Brauer) c'est pour obtenir des résultats sur les fonctions $L$ d'Artin.

    Voilà, tu fais ce que tu veux de tout ça, je prêche un peu pour ma paroisse, en tout cas je serais ravi d'en dire plus là-dessus. ;-) En plus toi qui cherchais une utilisation à l'analyse complexe, il y en a plein derrière. (:P)
  • Tu prêches pour ta paroisse, c'est ce que je demandais :-D

    Le bouquin de Serre contient une "introduction à la théorie de Brauer", c'est présenté de manière assez laide (je trouve) mais peut-être que ça va m'intéresser un peu plus maintenant.
  • En geométrie algébrique, il n'y a pas que la géométrie arithmétique ou diophantienne, bien qu'a mon avis ce soit la partie la plus interessante.

    Mais il y a plein de choses à faire en géométrie algébrique proprement dite, et en géométrie algébrique complexe en particulier.

    Sans parler des liens avec la topologie algébrique, la théorie motivique de l'homotopie, tout ce qui touche aux motifs en général, la géométrie p-adique, les liens avec la combinatoire.
    En vrai, les schémas et les variétes ca sert à "rien", c'est comme si tu me demandais les nombres réels ca sert à quoi? Ce sont les objets de base, et une fois qu'on les a construit, on peut se poser pleins de questions dessus. Ces questions ont des origines diverses : encore beaucoup proviennent de la classification birationnelle des variétés complexes (que je trouve perso peu interessante), d'autres viennent de la topologie algébrique, d'autres encore de la théorie des nombres, d'autres sont très internes, d'autres sont liées au développement d'autres branches moins développées que la géométrie algébrique complexe, d'autres sont liées à la Physique.

    Personnellement c'est le lien avec la théorie des nombres que je trouve fascinant, comment des structures qui vivent dans des mondes différents (e.g des courbes elliptiques et des corps quadratiques) s'influencent les unes les autres.
    C'est qqch de tres frequent en fait en géométrie algébrique d'ailleurs, on sait tellement rien dire des objets de base, qu'on est quasi toujours obliger de les lier à des objets plus communs (combinatoires, arithmétique etc...) pour en dire des choses, par exemple le lien entre variété abélienne et formes hermitiennes sur les réseaux, le dictionnaire entre variétés toriques et combinatoire des éventails etc...
  • Est-ce que les représentations de groupes algébriques ont des applications/interprétations en théorie des nombres, en dehors de la théorie des nombres ? Ou bien les utilise-t-on "juste" pour mieux comprendre la structure de ces groupes algébriques ?
  • J'explique un peu plus l'origine et l'intérêt du théorème de Brauer.

    Comme je l'ai dit au-dessus, les fonctions $L$ d'Artin sont des généralisations des fonctions $L$ de Dirichlet, qui permettent d'étudier la répartition des automorphismes de Frobenius dans les groupes de Galois des corps de nombres, à travers notamment le théorème de Chebotarev. Il est bien connu, dans le cas beaucoup plus simple de la fonction $\zeta$ de Riemann, que celle-ci admet un prolongement méromorphe sur $\mathbb C$, avec un unique pôle simple en $1$, et une équation fonctionnelle reliant $\zeta(s)$ à $\zeta(1-s)$. Comme toute fonction $L$ qui se respecte, on voudrait que les fonctions $L$ d'Artin vérifient le même genre de choses. C'est exactement ça qu'a permis de montrer le théorème de Brauer. Il faut comprendre que, tout comme $\zeta$ au départ, les fonctions $L$ d'Artin ne sont définies a priori que pour $\mathfrak{Re}(s) > 1$.

    Les fonctions $L$ d'Artin jouissent de propriétés "fonctorielles" très importantes vis-à-vis de leurs caractères. Si je note $L(s, \chi, L/K)$ la fonction $L$ d'Artin associée au caractère $\chi$ de $\text{Gal}(L/K)$, alors Artin a montré que :

    i) Additivité : Si $\chi$ et $\chi'$ sont des caractères de $\text{Gal}(L/K)$, alors $L(s, \chi + \chi', L/K) = L(s, \chi, L/K) \times L(s, \chi', L/K)$.

    ii) Inflation : Si $M/K$ est une sous-extension galoisienne de $L/K$ (donc $K \subset M \subset L$ et tout le monde est galoisien sur celui en-dessous), et si $\chi$ est un caractère de $\text{Gal}(M/K)$, alors $L(s, \chi^{\sharp}, L/K) = L(s, \chi, M/K)$, où $\chi^{\sharp} = \chi \circ \pi$, avec $\pi : \text{Gal}(L/K) \rightarrow \text{Gal}(M/K)$ la projection dans le quotient.

    iii) Induction (la plus importante) : Si $M/K$ est une sous-extension (pas forcément galoisienne) de $L/K$ et $\chi$ est un caractère de $\text{Gal}(L/M)$, alors $L(s, \text{Ind}_{\text{Gal}(L/M)}^{\text{Gal}(L/K)}, L/K) = L(s, \chi, L/M)$.

    Ces trois résultats nous permettent de jongler avec la plupart des opérations usuelles sur les caractères, et voir ce qu'il se passe au niveau des fonctions $L$ associées. En un sens, Artin a définit ses fonctions $L$ pour qu'elles satisfassent les trois propriétés ci-dessus, donc les démonstrations ne sont pas compliquées ni profondes (c'est la définition elle-même qui est profonde, et qui a occupé Artin pendant plusieurs années).

    Les résultats profonds, ce sont les deux théorèmes stars de notre histoire. Le premier est le suivant.

    Théorème star 1 (Hecke, Artin) : Soit $L/K$ une extension abélienne de corps de nombres, de groupe de Galois $G$. Alors pour tout caractère $\chi$ (au sens des groupes abéliens) de $G$, la fonction $L(s, \chi, L/K)$ admet un prolongement méromorphe à $\mathbb C$, et une équation fonctionnelle reliant $L(s, \chi, L/K)$ à $L(1-s, \overline{\chi}, L/K)$.

    Si $L/K$ est une extension abélienne de corps de nombres, la difficile théorie du corps de classes, qui doit beaucoup à Artin, produit un isomorphisme entre $\text{Gal}(L/K)$, et un certain groupe de classes d'idéaux de $K$, que je ne décrirai pas plus dans ce message. Tout ce qu'il faut comprendre, c'est que Hecke avait associé à chaque caractère d'un tel groupe de classes une fonction $L$, construite exactement comme les fonctions $L$ de Dirichlet, et il avait montré que ces fonctions $L$ vérifient les propriétés désirées. Et il se trouve que l'isomorphisme (du à Artin) dont j'ai parlé ci-dessus, est tel que les fonctions $L$ d'Artin associées aux caractères de degré $1$ de $\text{Gal}(L/K)$ coïncident avec les fonctions $L$ de Hecke associées aux caractères du groupe de classes, d'où le théorème ci-dessus.

    Avant de parler du théorème de Brauer, on va parler d'un résultat plus faible d'Artin (encore lui !), qui nous met sur la voie.

    Théorème (Artin) : Soit $G$ un groupe fini, et $\chi$ un caractère de $G$. Alors il existe des sous-groupes cycliques $H_1, \dots, H_r$, des caractères $\psi_i$ de $H_i$ et des rationnels $n_1, \dots, n_r$ tels que $\chi = \sum_{i=1}^r n_i \text{Ind}_{H_i}^G \psi_i$.

    En quoi est-ce intéressant ? Je prend une extension galoisienne $L/K$ de corps de nombres, dont le groupe de Galois est $G$, et un caractère $\chi$ de $G$. J'écris une décomposition $\chi = \sum_{i=1}^r n_i \text{Ind}_{H_i}^G \psi_i$ donnée par le théorème d'Artin. Alors les propriétés i) et iii) ci-dessus me donnent immédiatement $$L(s, \chi, L/K) = \prod_{i=1}^r L(s, \psi_i, L/L^{H_i})^{n_i}.$$ D'après le Théorème star 1, chaque $L(s, \psi_i, L/L^{H_i})$ admet un prolongement méromorphe sur $\mathbb C$, et une équation fonctionnelle reliant les valeurs en $s$ et en $1-s$. Il en est donc de même de $L(s, \chi, L/K)$ ! Ou pas...

    Bien sûr ce serait trop beau si ça marchait, je laisse les lecteurs chercher l'erreur dans ce que je viens de dire avant de donner la réponse ci-dessous.

    Les exposants $n_i$ sont des rationnels, pas des entiers, l'écriture $$L(s, \chi, L/K) = \prod_{i=1}^r L(s, \psi_i, L/L^{H_i})^{n_i}$$ n'a en fait pas de sens. Si j'appelle $m$ le PPCM des dénominateurs des $n_i$, et $a_i = mn_i$, alors en fait on a $$L(s, \chi, L/K)^m = \prod_{i=1}^r L(s, \psi_i, L/L^{H_i})^{a_i},$$ ce qui a cette fois bien un sens. Donc tout ce qu'on peut dire à ce stade, c'est qu'une certaine puissance de $L(s, \chi, L/K)$ vérifie ce qu'on veut. C'est là que Brauer entre en scène.

    Théorème star 2 (Brauer) : Soit $G$ un groupe fini, et $\chi$ un caractère de $G$. Alors il existe des sous-groupes abéliens (on peut même dire un peu plus sur eux, mais ce n'est pas important ici) $H_1, \dots, H_r$, des caractères $\psi_i$ de $H_i$ et des entiers $n_1, \dots, n_r$ tels que $\chi = \sum_{i=1}^r n_i \text{Ind}_{H_i}^G \psi_i$.

    On procède comme avant, mais comme on a une décomposition à coefficients entiers, on peut vraiment écrire $$L(s, \chi, L/K) = \prod_{i=1}^r L(s, \psi_i, L/L^{H_i})^{n_i}$$ avec les $n_i$ entiers cette fois, et on en déduit les propriétés voulues pour $L(s, \chi, L/K)$.

    L'histoire ne s'arrête pas là. Artin a conjecturé que si on prend un caractère irréductible de $\text{Gal}(L/K)$, alors $L(s, \chi, L/K)$ est en fait entière, c'est-à-dire n'admet pas de pôle dans $\mathbb C$, sauf si $\chi$ est trivial, auquel cas il y a un pôle en $1$ de résidu $1$ (comme $\zeta$, qui est en fait $L(s, \chi_0, \mathbb Q/\mathbb Q)$). Si la conjecture est vraie, alors la propriété i) ci-dessus montre que la fonction $L$ d'Artin associée à un caractère (pas forcément irréductible) $\chi$ ne peut admettre de pôle qu'en $1$, avec résidu la multiplicité du caractère trivial dans $\chi$. Cette conjecture est encore complètement ouverte aujourd'hui, même si on sait qu'elle est vraie pour des groupes très particuliers, et pour la plupart des types de caractères de degré $2$.
  • Et ben Poirot, quand tu te lâches on dirait CC, voire Maxtimax... B-)-
  • raoul : je ne sais comment le prendre :-D
    (du coup je ris de moi ;-) )
  • @Maxtimax tu peux le prendre comme un compliment si tu veux, car je pensais à la longueur du texte et pas à la difficulté pour le déchiffrer avant d'essayer de le comprendre (:P)
  • @raoul.S : tu vas vraiment me dire que mon texte est aussi dur à lire que ceux de CC ? (:D
  • C'est... compliqué ! Je ne comprends pas toutes les notations, donc j'ai du mal à voir en quoi écrire une fonction $L$ comme un gros produit d'autres fonctions $L$ apporte une information utile. Je te crois sur parole :-D
  • C'est ce que j'explique au début. Avant le théorème de Brauer, on ne savait pas montrer que les fonctions $L$ d'Artin vérifiaient une équation fonctionnelle et étaient méromorphes sur tout $\mathbb C$. La mise sous forme de produits de fonctions vérifiant ces choses-là donne le résultat.
  • C'est quoi les $L/L^{H_i}$ au fait ?
  • Quand j'écris $L(s, \chi, L/K)$, $L/K$ est une extension de corps de nombres et $\chi$ est un caractère de $\text{Gal}(L/K)$. Ici $L/K$ est galoisienne de groupe $G$, et les $H_i$ sont des sous-groupes de $G$. Alors $L^{H_i}$ est le sous-corps de $L$ fixé par $H_i$, de sorte que d'après la correspondance de Galois, $\text{Gal}(L/L^{H_i}) = H_i$. C'est pour ça que $L(s, \psi_i, L/L^{H_i})$ a bien un sens, $\psi_i$ est un caractère de $H_i$, qui est bien le groupe de Galois de l'extension $L/L^{H_i}$.
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