Concept de fonction intégrable.

Bonjour,
En lisant un cours sur les intégrales impropres, je suis tombé sur la notion d'intégration semi-convergente. Par exemple la fonction $f(x)=\dfrac{\sin(x)}{x}$. On montre que $\int_{1}^{x}f(t)dt$ a une limite finie quand $x$ tend vers $+\infty$ mais on me dit que $f(x)$ n'est pas intégrable sur $[1;+\infty[$.
Je ne comprends pas comment on peut avoir l'un sans l'autre.

Réponses

  • Elle n'est pas intégrable parce que $\int_0^\infty |f(t)|\,dt=+\infty$. Ca n'empêche pas la limite d'exister, comme pour la série harmonique alternée.
  • Et la notion de convergence absolue alors?
  • C'en est une autre (de notion).
  • Dans l'exemple donné avec f(x), la fonction étant continue sur $[0,+\infty[$ avec son prolongement par continuité en 0, elle est intégrable sur tout intervalle $[1,a]$ avec a positif. Il me semblait que la definition de la convergence sur $[1,+\infty[$ reposait sur $\lim_{a \to +\infty}\int_{1}^{a}f(x)dx$ et si cette limite existe dans R alors la fonction est intégrable sur cet intervalle. Il semblerait que je me trompe mais je ne comprends pas où.
    J'accepte bien que $\int_{0}^{+\infty}|f(x)|dx=+\infty$ mais je ne vois pas le rapport.
  • Soit $I$ un sous-ensemble mesurable de $\mathbb R$. Une fonction (mesurable) $f$ de $I \rightarrow \mathbb R$ (disons) est dite intégrable lorsque $$\int_I |f(x)| dx < +\infty.$$
  • Je m'intéresse à l'intégration et en effet sur ce forum j'ai eu la même remarque http://www.les-mathematiques.net/phorum/read.php?4,1128653,1128665#msg-1128665 .

    Il faut savoir que le bon sens nous dit aussi que intégrable = on peut calculer l'aire sous la courbe, sauf que ce n'est pas ça que veut dire intégrable pour les matheux d'ici (et d'ailleurs) ! http://serge.mehl.free.fr/anx/int_lebesgue.html

    Problème : l'intégrale de Lebesgue n'est pas au programme de CPGE, seulement de L3, et c'est un gros saut conceptuel il me semble... Il y a plein de notions à maîtriser pour pouvoir aborder sereinement l'intégrale de Lebesgue...
  • Merci pour les réponses, je commence à comprendre que c'est une question de définition. Mes doutes viennent d'une mauvaise connaissance de la leçon au départ. Maintenant, quelqu'un peut-il m'expliquer pourquoi à partir de la construction des fonctions Riemann-intégrables, en partant des fonctions en escalier, pourquoi la définition comporte une valeur absolue? On aurait pu s'en passer non?
  • Quelle définition ? Si ça peut te rassurer, on a toujours
    $$\int_{I}|f(x)|\mathrm dx\geq\int_{I}f(x)\mathrm dx$$
  • La théorie de l'intégration au sens de Riemann ne fonctionne que sur des intervalles bornés, pas besoin de valeurs absolues. A priori, le concept d'une fonction intégrable sur un intervalle de longueur infinie n'a pas de sens, on peut seulement parler de $\lim_{b \rightarrow + \infty} \int_a^b f(x) dx$. Si cette limite existe on dit alors que l'intégrale $\int_a^{+\infty} f(x) dx$ est semi-convergente. La théorie de l'intégration au sens de Lebesgue généralise celle au sens de Riemann, au prix d'une plus grande abstraction, notamment à cause de l'introduction des notions de tribus et de mesures (de Lebesgue). Celle-ci permet de définir le concept d'une fonction intégrable sur un intervalle de longueur infinie. Et dans ce cadre, une fonction est intégrable si et seulement si l'intégrale de sa valeur absolue est finie.
  • Poirot écrivait:
    > Soit $I$ un sous-ensemble mesurable de $\mathbb R$. Une fonction (mesurable) $f$ de $I \rightarrow \mathbb R$ (disons)
    > est dite intégrable lorsque $$\int_I |f(x)| dx < +\infty.$$
    Dites-moi si je me trompe.

    Si on prend $f(x)=\dfrac{\sin(x)}{x}$ et $I=[0,+\infty[$, on a $\int_{I} |f(x)|dx=+\infty$ donc $f$ n'est pas intégrable sur $I$ mais $\int_{I} f(x)dx=\dfrac{\pi}{2}$ donc son intégrale sur $I$ converge.

    Si on prend un intervalle $[a,b]$ fermé et une fonction continue, les deux définitions se rejoignent.

    Question de vocabulaire donc. $f(x)$ n'est pas intégrable sur $I$ mais son intégrale converge. Elle est donc dite semi-convergente.

    Mais pourquoi a-t-on eu idée (ou besoin) de rajouter la valeur absolue dans la définition. Cela me parait plus pertinent de dire que $f$ est intégrable si $\int_{I} f(x)dx$ existe et absolument intégrable si $\int_{I} |f(x)|dx$ existe, non ?
  • Mais dans le cadre de l'intégrale de Lebesgue, la fonction $x \mapsto \frac{\sin x}{x}$ n'est pas intégrable sur $\mathbb R^+$ car sa valeur absolue ne l'est pas !

    Les intégrales semi-convergentes n'existent que dans le cadre de l'intégrale de Riemann, beaucoup moins riche que celui de l'intégrale de Lebesgue.

    Quand vous dites "mais $\int_I f(x) dx = \frac{\pi}{2}$ donc son intégrale sur $I$ converge." vous êtes dans le cadre de l'intégrale de Riemann. Vous parlez d'intégrale convergente, mais dans ce cadre, une telle convergence n'est pas définie car l'intervalle est de longueur infinie.

    Quant à savoir pourquoi on utilise la valeur absolue pour l'intégrabilité au sens de Lebesgue c'est simple, on définit d'abord l'intégrale de fonctions positives, puis on définit, pour $f$ mesurable sur $I$, $$\int_I f(x) dx := \int_I f^+(x) dx + \int_I f^-(x) dx,$$ où $f^+$ et $f^-$ représentent respectivement la partie positive de $f$ et la partie négative de $f$. Or ces deux dernières intégrales existent si et seulement si $|f|$ est intégrable sur $I$.
  • Merci pour ces éclaircissements, j'y vois plus clair. J'ai étudié l'intégrale au sens de Lebesgue il y a plus de 20 ans et j'ai tout oublié... Un dernier point me chiffonne.

    Poirot écrivait:
    > Quand vous dites "mais $\int_I f(x) dx = \frac{\pi}{2}$ donc son intégrale sur $I$ converge." vous êtes dans le cadre de
    > l'intégrale de Riemann. Vous parlez d'intégrale convergente, mais dans ce cadre, une telle convergence
    > n'est pas définie car l'intervalle est de longueur infinie.

    Dans le cadre des intégrales impropres, on traite bien d'intervalle de longueur infinie avec l'intégrale au sens de Riemann, en utilisant la limite comme pour l'intégrale sur un intervalle ouvert non?

    Merci Albertine aussi, j'ai plusieurs cours déjà mais un de plus c'est agréable!
  • nwinspeare écrivait:

    > Mais pourquoi a-t-on eu idée (ou besoin) de rajouter la valeur absolue dans la définition. Cela me parait plus pertinent de dire que $f$ est
    > intégrable si $\int_{I} f(x)dx$ existe et absolument intégrable si $\int_{I} |f(x)|dx$ existe, non ?

    Non. L'intégrale de Lebesgue se construit à partir de fonctions positives, donc c'est normal que la valeur absolue intervienne quand les fonctions ne sont pas positives. Ses propriétés étant infiniment meilleures que celles de l'intégrale de Riemann et celles des intégrales généralisées que ces deux dernières notions finissent par ne plus jouer qu'un rôle accessoire.
  • remarque a écrit:
    Ses propriétés étant infiniment meilleures que celles de l'intégrale de Riemann et celles des intégrales généralisées que ces deux dernières notions finissent par ne plus jouer qu'un rôle accessoire.


    À chaque fois que j'entends parler de tribu borélienne, je pense à ça :

    http://multimedia.pol.dk/archive/00824/Kul_Tintin01_824831a.jpg

    Du coup, je n'ai toujours pas compris ce que c'est que l'intégrale de Lebesgue. C'est super abstrait comme machin, et c'est à peine abordé en L3. Du coup je me demande si ce n'est pas le plus difficile saut conceptuel des maths pour tout étudiant de licence... Et vu les notions nécessaires pour ne serait-ce qu'envisager de comprendre l'intégrale de Lebesgue, cela me semble un challenge pédagogique de l'enseigner.

    PS : y a-t-il un lien avec la théorie des distributions ?
  • @ Albertine,

    l'intégrale de Lebesgue dans Tintin, ça ne suffit pas, les exos sont sont un peu légers.

    À part ça, on peut parfaitement voir l'intégrale de Lebesgue en CPGE.

    e.v.
    Personne n'a raison contre un enfant qui pleure.


  • Un des problèmes est qu'il y a dans les esprits une confusion entre intégrale de Riemann et intégrale généralisée.

    Ni $\int_0^{+\infty} \frac{\sin t}{t} \ dt$ ni $\int_0^{+\infty} \frac{1}{1+t^2} \ dt$ ne sont des intégrales de Riemann:
    on les définit comme les limites de
    $\int_0^{M} \frac{\sin t}{t} \ dt$ ni $\int_0^{M} \frac{1}{1+t^2} \ dt$, qui sont, elles, des intégrales de Riemann.

    Les anciens programmes de CPGE ne faisaient pas vraiment la différence entre ces deux limites.
    Les notions d'intégrales semi-convergentes ou absolument convergentes n'étaient que deux sous-cas d'un même phénomène de passage à la limite.

    L'intégrale de Lebesgue procède différemment: elle sait directement donner un sens à $\int_0^{+\infty} \frac{1}{1+t^2} \ dt$ sans passer par le truchement de $\int_0^{M} \frac{1}{1+t^2} \ dt$ car $t\mapsto \frac{1}{1+t^2}$ est intégrable.

    Evidemment, il y a un problème pédagogique car on a importé dans le programme de CPGE un vocabulaire qui trouve sa justification dans une théorie qui n'y est pas enseignée.

  • La théorie des distributions généralise la notion de fonction dans un certain sens. C'est un outil conceptuel qui permet de donner un cadre mathématique à certaines pratiques des physiciens si j'ai bien compris.
    L'intégrale de Lebesgue a été introduite au tournant du XIXème siècle et du XXème tandis que le formalisme des distributions est postérieur à la seconde guerre mondiale sauf erreur.

    Tu peux lire l'article de Wikipedia sur les distributions:
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Distribution_(mathématiques)
  • albertine écrivait:
    > Du coup, je n'ai toujours pas compris ce que c'est
    > que l'intégrale de Lebesgue. C'est super abstrait
    > comme machin, et c'est à peine abordé en L3.

    Durant ma L3 j'ai eu un cours très complet construisant l'intégrale de Lebesgue. C'est certes assez abstrait, mais les avantages sont énormes. Pour construire de manière rigoureuse l'intégrale de Riemann il y a aussi pas mal d'abstraction l'air de rien. Le concept intuitif d'intégrale qu'on voit en Terminale est ce qu'on utilise la plupart du temps, mais à partir du moment où on veut des fondements rigoureux ça se complique forcément.
  • Ce n'est pas nécessairement si abstrait que ça. D'ailleurs Lebesgue expédie la chose en une Note aux Comptes Rendus ( http://www.les-mathematiques.net/phorum/read.php?4,428231,428451#msg-428451 ). Pour comparer avec l'intégrale de Riemann, on se place sur un intervalle de $\R$. L'idée de l'intégrale de Riemann est de découper l'intervalle de départ en petits morceaux et d'approcher l'aire sous la courbe par des rectangles. L'idée de l'intégrale de Lebesgue c'est de découper l'espace image en petits morceaux et d'affecter à chaque image réciproque de petit morceau sa mesure. Comme les images réciproques en question ne sont pas des intervalles, il faut gérer cette histoire de mesure, mais la construction est incomparablement plus souple. Ensuite on approche l'aire par dessous en croissant, beaucoup plus astucieux !
  • Je comprends bien que l'intégrale au sens de Riemann est moins riche et plus limitée. Je prépare l'agrégation interne alors je dois me limiter à cette notion. Le problème pédagogique est réel. Je suis d'accord que si l'intervalle est R+ ce ne sont plus des intégrales de Riemann . Comment me conseillez-vous de jongler avec tout ça le jour de l'oral? et devant des élèves ? On dit juste que la definition comporte une valeur absolue parce que on verra l'année prochaine que c'est une nécessité ? Ça me gêne !
    Nicolas
  • Intégrable fait également écho à sommable: si $\sum_{n\ge 1} |a_n|$ est fini, la famille des $a_i$ est dite sommable.
    C'est alors une vraie généralisation naturelle du concept de somme d'un nombre fini de termes, car alors pour toute permutation $\sigma$ de $N^*$, la série de terme général $a_{\sigma(n)}$ converge et la somme ne dépend pas de $\sigma$.
    En revanche, pour une série semi-convergente, on peut trouver un $\sigma$ tel que que la somme de la série prenne n'importe quelle valeur (ou diverge).

    Ainsi, on peut trouver une permutation $\sigma$ de $\N$ telle que $\displaystyle \sum_{n=0}^{+\infty} \int_{\sigma(n)\pi}^{(\sigma(n)+1)\pi}\frac{\sin t}{t} dt=1332$, en revanche pour toute permutation $\sigma$ de $\N$, on a
    $\displaystyle \sum_{n=0}^{+\infty} \int_{\sigma(n)\pi}^{(\sigma(n)+1)\pi}\frac{1}{1+t^2} dt=\frac \pi 2$.
  • Si je considère (pour faire simple) une fonction continue de $\R_+$ dans $\R$ alors :

    1) Pour tout réel $a \ge 0$, je peux considérer l'intégrale de Riemann ou l'intégrale de Lebesgue de $f$ sur $[0,a]$. Les deux sont bien définies et sont égales. Je les note $\int_0^a f$.

    2) Je peux maintenant me demander si la limite suivante existe :
    $$
    \lim_{a \to \infty} \int_0^a f.
    $$
    Son existence et la valeur éventuelle de la limite ne dépendent pas du cadre (Riemann ou Lebesgue) étant donné que dans les deux cadres la valeur de $\int_0^a f$ est la même.

    La seule différence est que, dans certains exposés sur l'intégrale de Riemann, on appelle parfois cette limite l'intégrale de $f$ sur $[0,+\infty[$ et on la note $\int_0^\infty$. Je ne fais peut-être que redire des choses déjà dites.

    3) Sur l'intérêt de l'intégrabilité. Tu sais peut-être par exemple que si une série n'est que semi-convergente (la suite des sommes partielles converge mais la suite des sommes partielles des valeurs absolues ne converge pas) alors, quitte à réordonner ses termes, on peut faire tendre la suite des sommes partielles vers n'importe quel réel. Le même phénomène existe pour les intégrales semi-convergentes.

    4) La théorie de Lebesgue est beaucoup plus simple que la théorie de Riemann (c'est mon point de vue). On construit l'intégrale et on prouve les théorèmes de convergence monotone et dominée en quelques pages (denses). Ce qui est très délicat dans le cadre de Lebesgue c'est la construction des mesures (en particulier la construction de la mesure de Lebesgue sur $\R$). Je ne sais pas pourquoi beaucoup de personnes s'effraient devant la théorie de Lebesgue. Peut-être ne l'ont-ils jamais réellement étudié... ou peut-être n'ont-ils jamais eu un exposé complet de la théorie de Riemann !

    Edit : je me suis fait grillé et je note qu'il y a beaucoup de redite dans mon message. Désolé.
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