Produit eulérien polynomial

Bonjour,

J'aimerais savoir s'il a été démontré que les éléments de la classe de Selberg dont le produit eulérien est polynomial ont une densité non nulle au sein de cette classe, et, dans l'affirmative, si on connait un minorant de cette densité.

Merci d'avance.

Réponses

  • Un produit eulérien polynomial ça veut dire quoi...

    Et une densité par rapport à quoi / définie comment.
  • C'est à dire qu'une telle fonction $F$ vérifie $$F(s)=\prod_{p}\prod_{j=1}^{m}\Big(1-\dfrac{a_{j}(p)}{p^{s}}\Big)^{-1},\quad \text{avec }\vert a_{j}(p)\vert\le 1.$$
  • Je n'y comprends pas grand chose mais ça pourrait à nouveau être lié au fait que les fonctions primitives sont automorphes,

    Je ne comprends que les formes modulaires : on définit l'opérateur de Hecke et les seules formes modulaires avec coefficients multiplicatifs sont des fonctions propres pour tous les opérateurs de Hecke simultanément, ce qui donne une récurrence linéaire pour les coefficients $a_{p^k}$ de la série de Dirichlet, et donc que $m=2$.

    Donc si on peut définir un équivalent des opérateurs de Hecke pour les formes automorphes, on devrait avoir aussi une récurrence linéaire et donc un $m$ fini.
  • Si quelqu'un a une compréhension de ces formes automorphes, un exemple motivant le concept (d'une forme automorphe, préférablement avec coefficients multiplicatifs), ou une idée de si cette extension des opérateurs de Hecke existe, ça m'intéresserait beaucoup !
  • Et moi aussi :-)
  • Les formes automorphes généralisent les formes modulaires de la façon suivante.

    Sans détailler les notations, une forme automorphe de poids $k$, de niveau $q$ et de nebentypus (ou type) $\chi$ (où $\chi$ est un caractère de Dirichlet de module $q$) est une fonction holomorphe sur $\mathbb{H}$ telle que, pour toute matrice $\gamma \in \Gamma_0(q)$, on ait
    $$f \mid_k \gamma = \chi(d) f.$$
    On notera qu'il est nécessaire d'avoir $\chi(-1)=(-1)^k$ sinon $f$ est nulle.

    De la même manière que pour les formes modulaires paraboliques (ou aux pointes), on définit les formes automorphes paraboliques.

    L'ensemble $\mathcal{M}_k(\Gamma_0(q),\chi)$ des formes automorphes de poids $k$, de niveau $q$ et de nebentypus $\chi$ est un espace vectoriel de dimension finie mais, contrairement aux formes modulaires, sa dimension n'est pas connue en général. L'ensemble $\mathcal{S}_k(\Gamma_0(q),\chi)$ des formes automorphes paraboliques de poids $k$, de niveau $q$ et de nebentypus $\chi$ en est un sous-espace vectoriel.

    En théorie des nombres, les formes automorphes paraboliques les plus importantes sont celles de poids $k=1$, en vertu de la relation suivante : si $K$ est un corps cubique non galoisien de discriminant $D <0$, alors on a la factorisation
    $$\zeta_K (s) = \zeta(s) L(s,f) \quad \left ( s \neq 1 \right)$$
    où $f \in \mathcal{S}_1(\Gamma_0(|D|),\chi)$ et $\chi$ est le caractère de Dirichlet (impair) associé à $K$.
  • Bonjour noix de totos et merci pour ces précisions. Qu'est $d$ ?
  • $d$ est le quatrième élément de la matrice $\gamma := \begin{pmatrix} a & b \\ c & d \end{pmatrix} \in \Gamma_0(q)$.
  • Merci. C'est bien ce que je pensais, mais j'avais un doute.
  • Merci ! Je les connais déjà en fait ces formes modulaires "twistées" par des caractères de Dirichlet, mon avant dernier post en parlait.

    Donc ça y est, j'ai enfin fait le tour des "concepts de base des formes modulaires" ? (je dois encore regarder les variétés algébriques et la modularité des courbes elliptiques, mais la partie analytique directement liée à $\zeta(s)$ c'est presque bon)

    Et ta fonction $L(s,f)$, c'est $L(s,\chi)$ où $\chi$ est un caractère de Hecke sur $K$, non ?
  • Oui, mais dans ce cadre où le corps est cubique de discriminant $<0$, il s'agit de la fonction $L$ de Hecke associée à $f$, i.e. $L(s,f) = \sum_{n=1}^\infty a(n) n^{-s}$ où les coefficients $a(n)$ sont ceux de la série de Fourier associée à $f$.

    Plus précisément, soit $K_3$ un corps cubique de discriminant $D <0$ et $K_6$ une clôture galoisienne de $K$. On a alors
    $$\zeta_{K_3}(s) = \zeta(s) L(s,\psi,K_6/\mathbb{Q})$$
    où la fonction $L$ est ici une fonction $L$ d'Artin associée à un caractère de dimension $2$ d'une représentation finie de Gal$(K_6/\mathbb{Q}) \simeq \mathcal{S}_3$. Mais ici, ce que l'on appelle parfois la conjecture d'Artin forte est vraie, ce qui permet de remplacer la fonction $L$ d'Artin par la fonction $L$ de Hecke, plus manipulable.

    Une bonne référence est l'article de Deligne et Serre, Formes modulaires de poids $1$, Ann. Scient. ENS 7 (1974), 501--530, Théorème 4.6, que l'on trouve en ligne.
  • Je me trompe, ou Booker a montré que la conjecture d'Artin forte découlait de la conjecture d'Artin classique ?
  • Reuns a écrit:
    Je les connais déjà en fait ces formes modulaires "twistées" par des caractères de Dirichlet

    Ce n'est pas tout à fait ça : on parle en général de fonctions $L(s):=\sum_{n \geqslant 1} a(n) n^{-s}$ twistées par des caractères les séries de Dirichlet de la forme $\sum_{n \geqslant 1} a(n) \chi(n) n^{-s}$.

    Ici, le caractère entre en jeu dès la définition d'une forme automorphe qui, d'ailleurs, est en fait plus générale que ça : on considère un sous-groupe de congruence $\Gamma$ contenant la matrice $-I_2$ et soit $k \in \mathbb{Z}_{\geqslant 0}$. On appelle système multiplicateur de poids $k$ sur $\Gamma$ toute application $\theta : \Gamma \longrightarrow \mathbb{C}$ telle que $|\theta| = 1$, $\theta(-I_2) = e(-k/2)$ et, pour toutes matrices $\gamma_1,\gamma_2 \in \Gamma$
    $$\theta(\gamma_1 \gamma_2) = w_{\gamma_1,\gamma_2} \theta(\gamma_1) \theta(\gamma_2)$$
    où $w_{\gamma_1,\gamma_2} \in \{ \pm 1, 0 \}$. Une forme automorphe de poids $k$ et de système multiplicateur $\theta$ sur $\Gamma$ est une fonction holomorphe vérifiant
    $$f \mid_k \gamma = \theta(\gamma) f \quad \left( \gamma \in \Gamma \right).$$
    Lorsque $\Gamma = \Gamma_0(q)$, on montre que, si $\chi$ est un caractère de Dirichlet de module $q$ vérifiant $\chi(-1)=(-1)^k$ (cette hypothèse s'appelle condition de consistance), alors l'application $\theta$ donnée par $\theta(\gamma) = \chi(d)$ est un système multiplicateur de poids $k$ sur $\Gamma_0(q)$.
  • Salut,

    Il existe beaucoup d'autres formes automorphes que celles décrites par noix de totos. Ces dernières sont (une partie) des formes automorphes pour le groupe $GL_2$. On peut remplacer $GL_2$ par beaucoup d'autres groupes (la condition technique est "groupe réductif") tels que $GL_n$, $SL_n$, $SO_n$, etc.

    Pour motiver rapidement la définition de forme automorphe, il faut effectuer un petit changement de point de vue sur les formes modulaires. Le demi-plan de Poincaré $\mathbb{H}$ s'identifie au quotient $SL_2(\R)/SO_2(\R)$ en regardant l'action de $SL_2(\R)$ sur le point $i$. On peut donc considérer une forme modulaire $f:\mathbb{H}\to \C$ de poids $k$ et de niveau $\Gamma$ comme une fonction $f:SL_2(\R)\to\C$ qui est invariante à droite par $SO_2(\R)$ et qui satisfait la loi habituelle de transformation sous $\Gamma$ à gauche:
    \[
    f(\gamma gu) = j(\gamma,g i)^{k}f(g) \text{ pour tout }g\in SL_2(\R), u\in SO_2(\R), \gamma\in\Gamma.
    \]
    Le facteur de transformation $j$ satisfait la "propriété de cocycle" : $j(gh,z) = j(g,hz)j(h,z)$.
    On peut alors faire un petit changement pour construire une fonction invariante par $\Gamma$ et satisfaisant une loi de transformation naturelle par $SO_2(\R)$: posons $F(g) = j(g,i)^{-k}f(g)$, de sorte que
    \[
    F(\gamma g u) = e^{-ik\theta}F(g) \text{ pour tout } g\in SL_2(\R), \gamma\in\Gamma, u=\begin{pmatrix}\cos \theta & -\sin \theta \\ \sin\theta & \cos\theta\end{pmatrix}\in SO_2(\R).
    \]
    car $j(\gamma g u, i) = j(\gamma,gi)j(gu,i) = j(\gamma,gi)j(g,i)j(u,i) = j(\gamma,gi)j(g,i)e^{i\theta}$.
    On est donc passé à une fonction invariante à gauche sous $\Gamma$ et qui satisfait une loi de transformation simple à droite sous $SO_2(\R)$.

    Pour voir l'intérêt d'une telle transformation, il faut passer par le point de vue de la théorie des représentations. Considère un groupe $G$ dont tu aimerais comprendre les représentations, qui peuvent être très compliquées. Suppose que $G$ a un sous-groupe $K$ dont les représentations sont très simples. Alors, étant donné une représentation $V$ de $G$, une bonne idée est de décomposer $V$ suivant les représentations de $K$. La théorie des formes modulaires revient essentiellement à essayer de comprendre l'espace $L^2(\Gamma\backslash SL_2(\R))$ comme représentation de $G = SL_2(\R)$, et l'apparition du "poids" revient à regarder la décomposition suivant les représentations du groupe $K = SO_2(\R)$, qui sont indexées par les entiers.

    Le cadre général part d'un groupe algébrique (mettons "semisimple") $\mathbb{G}$. On considère un sous-groupe d'indice fini $\Gamma\subset\mathbb{G}(\Z)$ et un sous-groupe compact maximal $K$ du groupe de Lie $G = \mathbb{G}(\R)$. Pour tout $\tau$ représentation irréductible de $K$, on peut définir une forme automorphe de poids $\tau$ et niveau $\Gamma$ comme étant une fonction $F : G\to\C$ satisfaisant :
    • $F$ est invariante à gauche sous $\Gamma$;
    • la $K$-orbite (sous l'action à droite) de $F$ est de dimension finie, isomorphe à $\tau$;
    • $F$ satisfait une certaine équation différentielle (analogue de la condition d'être holomorphe);
    • $F$ est de croissance modérée (analogue de la condition d'être holomorphe aux pointes).
    Harish-Chandra a montré que de tels espaces sont de dimension finie (lorsqu'on fixe l'équation différentielle).

    Les opérateurs de Hecke servent à décomposer encore plus ces espaces, de la manière suivante. Soit $\delta\in \mathbb{G}(\Q)$. On peut écrire
    \[
    \Gamma \delta \Gamma = \bigsqcup_{i=1}^t \Gamma\delta\gamma_i \text{ pour certains }\gamma_i\in\Gamma.
    \]
    On peut alors définir un opérateur de Hecke $T_\delta$ agissant sur l'espace des formes automorphes par
    \[
    T_\delta F(g) = \sum_{i=1}^t F(\delta\gamma_i g).
    \]
    Par construction, on obtient à nouveau une forme qui est invariante sous $\Gamma$. De plus, ces opérateurs sont hermitiens pour un certain produit scalaire, analogue au produit scalaire de Petersson. Pour certains $\Gamma$ particuliers (les "groupes de congruence"), on peut trouver beaucoup de $T_\delta$ qui commutent deux à deux, ce qui permet de beaucoup décomposer ces espaces de formes automorphes.

    Pour faire le lien avec les opérateurs de Hecke classiques, je vais tricher un peu et prétendre que j'ai écrit $GL_2$ plutôt que $SL_2$ ci-dessus (en vrai il faut écrire les choses légèrement différemment). Soit $\Gamma = \Gamma_0(N)$ et $p$ premier ne divisant pas $N$, et soit $\delta = \begin{pmatrix}p & 0 \\ 0 & 1\end{pmatrix}\in GL_2(\Q)$. Alors on a
    \[
    \Gamma \delta \Gamma = \Gamma\begin{pmatrix}1 & 0 \\ 0 & p\end{pmatrix} \sqcup \bigsqcup_{a=0}^{p-1}\Gamma\begin{pmatrix}p & a \\ 0 & 1\end{pmatrix},
    \]
    et on retrouve ainsi les opérateurs de Hecke habituels.

    Pour construire des fonctions $L$ en général à partir de formes automorphes, il faut aller plus loin dans l'interprétation en termes de théories des représentations et passer à ce qu'on appelle des "représentations automorphes". Pour simplifier je vais simplement évoquer ce qui se passe pour le groupe $GL_n$. Dans ce cas, pour tout nombre premier $p$ et $i\in\{1,\dots,n\}$ on peut construire l'opérateur de Hecke $T_{p,i} = T_\delta$ correspondant à la matrice $\delta$ diagonale avec $i$ coefficients $p$ suivis de $n-i$ coefficients $1$. Si on enlève un nombre finie de "mauvais" premiers $p$, ces opérateurs hermitiens commutent deux à deux, et on peut donc les diagonaliser dans une même base. Si $f$ est une forme propre pour tous ces opérateurs de Hecke, pour tout bon premier $p$ on obtient $n$ valeurs propres, qu'on peut mettre ensemble dans un polynôme $Q_p$ unitaire de degré $n$. On peut alors former le produit Eulérien
    \[
    \prod_p Q_p(p^{-s})^{-1},
    \]
    et essaier de le compléter afin qu'il admette un prolongement méromorphe à $\C$ et une équation fonctionnelle.

    Amitiés,
    Aurel
  • il y a d'autres généralisations des formes modulaires, par exemple celles de Siegel at aussi les "Jacobi modular forms" qui ont plus ou moins vu le jour dans le livre de Eichler et Zagier $\textit{ The Theory of Jacobi Forms} $ Birkhauser 1985.
    A demon  wind propelled me east of the sun
  • @aurelpage Merci beaucoup, j'ai regardé en détail ton message qui m'a permis de comprendre pas mal de choses. C'est à peu près similaire à ce qui est expliqué dans Kaczorowski, structure of the Selberg class, p.155.

    Une question que je me pose c'est si $F,G$ sont les fonctions L associées à des formes modulaires [small]/ formes automorphes pour $GL_2(\mathbb{Q})$[/small], est-ce que tu "vois" $F(s)G(s)$ comme la transformée de Mellin d'une forme automorphe ? [small]Pour $GL_4(\mathbb{Q})$ ?[/small]

    Et comment est-ce que tu obtiens l'équation fonctionnelle dans ce cas, idéalement d'une manière qui ressemble à :
    si $f(\tau) = \sum_{n=1}^\infty a_n e^{2i \pi n \tau}$ est une forme modulaire de poids $k$ pour $SL_2(\mathbb{Z})$, alors $\int_0^\infty x^{s-1} e^{-nx} dx = \Gamma(s) n^{-s}$ donne que
    $\mathcal{M}(f)(s) = \int_0^\infty x^{s-1} f(ix)dx =\sum_{n=1}^\infty a_n \int_0^\infty x^{s-1} e^{-2\pi n x}dx= \Gamma(s) (2\pi)^{-s}\sum_{n=1}^\infty a_n n^{-s}$ et $f(i/x) = (ix)^k f(ix)$ donne avec $y = 1/x$ :
    $\mathcal{M}(f)(s) = \int_0^\infty y^{-s-1} f(i/y)dy =i^k\int_0^\infty y^{k-s-1} f(iy)dy=i^k\mathcal{M}(f)(k-s)$
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