Intersection de droites de $\mathbb{RP}^2$

Bonjour
J'étudie la géométrie projective et j'ai cet exercice qui me pose problème. L'énoncé est le suivant.

On considère le plan affine $\mathbb{A}^2$ comme le plan $\{z = 1\} \subset \mathbb{R}^3 \setminus \{0\}$. Trouver le point d'intersection $P \in \mathbb{RP}^2$ des droites de $\mathbb{A}^2: x+4y = 3$ et $2x-5y=-7$. On veut les coordonnées homogènes de $P$.

Je n'ai pas réussi à mettre sur papier aucune équation mais voici néanmoins la façon dont j'interprète cet exercice.

L'équation $x+4y = 3$ correspond à un plan de $\mathbb{R}^3$. Lorsqu'on inclut $\mathbb{A}^2$ à $\mathbb{R}^3$, on ajoute l'équation du plan $z = 1$ à l'équation du plan avec lequel on travaille. Dans le cas présent, la "droite" d'équation $x+4y = 3 \in \mathbb{A}^2$ devient le système d'équations $\begin{cases}x+4y&=3\\z&=1\end{cases}$ dans $\mathbb{R}^3$. La solution de ce système correspond bien à une droite du plan $z=1$.

Les points de $\mathbb{RP}^2$ correspondent à des droites passant par l'origine de $\mathbb{R^3}$ et les droites de $\mathbb{RP}^2$ correspondent à des plans passant par l'origine de $\mathbb{R^3}$. Donc trouver l'intersection de deux droites de $\mathbb{RP}^2$ revient à trouver l'intersection de deux plans passant par l'origine de $\mathbb{R}^3$. L'intersection de ces deux plans est une droite passant par l'origine de $\mathbb{R}^3$ qui elle même correspond à un point de $\mathbb{RP}^2$. C'est le point $P$ que l'on recherche !

Voilà comment j'interprète cet exercice. Si j'ai fait la moindre erreur ou manque de précision, veuillez me corriger. Maintenant, reste à savoir comment mettre tout ça en pratique. C'est précisément ici que j'ai besoin de votre aide. Étant donné que je débute en géométrie projective, je dois aussi vous dire que j'ai beaucoup de mal avec la notion de coordonnées homogènes. Il me semble qu'il faut les utiliser pour résoudre cet exercice.
Merci.

Réponses

  • La correspondance entre une droite contenue dans le plan $z=1$ et un plan est très facile à décrire géométriquement : dans un sens, c'est le plan qui contient la droite et l'origine $O=(0,0,0)$ de $\R^3$. Mais le plan d'équation $x+4y=3$ dans $\R^3$ ne contient pas l'origine : il y a donc erreur.

    Cherchons la bonne équation de plan. Elle est de la forme $ax+by+cz=d$. On veut que $(0,0,0)$ soit solution, ce qui donne $d=\dots$. De plus, on veut que l'intersection avec le plan d'équation $z=1$ soit la droite de départ : autrement dit, on veut l'équivalence
    \[\begin{cases}ax+by+cz=d\\z=1\end{cases}\ \Longleftrightarrow\ \begin{cases}x+4y=3\\z=1.\end{cases}\]
    Il est donc raisonnable de prendre $a=\dots$, $b=\dots$, $c=\dots$.
  • Merci infiniment pour vos explications. J'y vois déjà beaucoup plus clair. Je vous montre mon avancement dans l'exercice.

    On veut que $(0,0,0)$ soit solution de l'équation du plan $ax+by+cz=d$. Dès lors, $d=0$. Par ailleurs, la solution de l'équivalence $$\begin{cases}ax+by+cz=d\\z=1\end{cases}\ \Longleftrightarrow\ \begin{cases}x+4y=3\\z=1.\end{cases}$$ donne $a=1,b=4,c=-3$. Alors, l'équation du plan, notons le $P_1$, est donnée par $P_1 : x+4y-3z=0$. De la même façon, on trouve le plan $P_2 : 2x-5y+7z=0$ correspondant à la droite $2x-5y=-7 \in \mathbb{A}^2$.

    Je recherche à présent la droite $\epsilon$ de $\mathbb{R}^3$, intersection des plans $P_1$ et $P_2$. Après quelques calculs, on trouve l'équation de la droite recherchée sous forme paramétrique, à savoir $$\epsilon : \begin{pmatrix}x\\y\\z\end{pmatrix} = \begin{pmatrix}0\\0\\0\end{pmatrix}+t\begin{pmatrix}-1\\1\\1\end{pmatrix}$$ C'est ici que j'ai à nouveau besoin d'aide. À quel point du plan projectif $\mathbb{RP}^2$, sous forme de coordonnées homogènes $[X:Y:Z]$, correspond la droite $\epsilon$ que je viens de trouver?
  • OK pour les équations de plans. Tu as vu qu'il suffit de remplacer le terme constant de l'équation de la droite par son produit par $z$, mon baratin est une explication qu'on remplace bien vite par un automatisme.

    De même qu'une droite affine de $\{z=1\}$ définit un plan passant par l'origine, un point du même plan affine définit une droite passant par l'origine. Réciproquement, toute droite passant par l'origine coupe le plan d'équation $z=1$, à moins qu'elle ne soit contenue dans le plan d'équation $z=0$ : ces droites définissent les « points à l'infini » du plan affine de départ). Ce qu'il te reste à faire, c'est donc trouver l'intersection de la droite que tu as définie avec le plan $z=1$, c'est-à-dire trouver la valeur de $t$ pour laquelle la 3e coordonnée de $\epsilon(t)=1$. Ça ne devrait pas te surmener.
  • J’ai effectivement réalisé qu’il suffisait de remplacer le terme constant de l’équation de la droite par son produit par $z$. Votre longue explication était néanmoins nécessaire. Elle m’a permis de combler un grand nombre de lacunes concernant le plan projectif. Pour conclure, les coordonnées homogènes du point $P \in \mathbb{RP}^2$, intersection des droites $x+4y=3$ et $2x-5y=-7$ de $\mathbb{A}^2$ sont $[-1:1:1]$.

    Merci encore pour votre aide.
  • Alors, nous avons bien fait de passer ces quelques minutes sur le sujet !
  • Si tu récris tes équations de droite sous forme de produit scalaire
    $$
    \begin{pmatrix} x\\y\\z \end{pmatrix}\bullet\begin{pmatrix} 1\\4\\-3 \end{pmatrix} = 0
    \qquad \text{et} \qquad
    \begin{pmatrix} x\\y\\z \end{pmatrix}\bullet\begin{pmatrix} 2\\-5\\7 \end{pmatrix} = 0
    $$
    tu remarques que tu cherches un vecteur orthogonal aux deux vecteurs de coefficients. Donc$$
    \begin{pmatrix} x\\y\\z \end{pmatrix} = \begin{pmatrix} 1\\4\\-3 \end{pmatrix} \times \begin{pmatrix} 2\\-5\\7 \end{pmatrix} =
    \begin{pmatrix} 13\\-13\\-13 \end{pmatrix}
    $$
    La conclusion suit.
  • Bonjour soland.

    En poursuivant ton idée, on a:
    $$ \begin{pmatrix} 1 &4& -3 \end{pmatrix} \cdot \begin{pmatrix} x\\y\\z \end{pmatrix} = 0
    \qquad \text{et} \qquad
    \begin{pmatrix} 2 &-5& 7 \end{pmatrix} \cdot \begin{pmatrix} x\\y\\z \end{pmatrix} = 0
    $$

    Il est plus agréable de noter les points en colonne, et les droites en ligne, cela permet de les distinguer. Bien entendu, il existe des peuplades contrariantes qui notent les points en ligne, et les droites en colonne (les Anglais font cela): il faut faire un choix et s'y tenir.

    On cherche donc une colonne qui annule les deux lignes de coefficients. Et cela on connait (à un facteur près), cela s'appelle la colonne des cofacteurs des deux lignes. Donc$$
    \begin{pmatrix} x\\y\\z \end{pmatrix} \simeq \begin{pmatrix} 1 & 4 & -3 \end{pmatrix} \wedge
    \begin{pmatrix} 2 & -5& 7 \end{pmatrix} = \begin{pmatrix} 4\times7-3\times5\\ \cdots\\ \cdots \end{pmatrix} = \begin{pmatrix} 13\\-13\\-13 \end{pmatrix} \simeq \begin{pmatrix} -1\\1\\1 \end{pmatrix} $$

    La notation $\wedge$ me sert à rappeler que ce "produit vectoriel" a pour signature $(ligne,\;ligne)\mapsto colonne$, mais aussi $(colonne,\;colonne)\mapsto ligne$ lorsque l'on cherche la droite passant par deux points. Les deux calculs se ressemblent fortement: cela s'appelle la dualité.

    Par contre, je n'ai pas l'impression que l'on gagne grand' chose à imaginer une droite étant comme un plan de l'espace passant par l'origine, et l'intersection des deux droites comme étant la droite de l'espace intersection des deux plans précédents.

    Cordialement, Pierre.
  • Petite question subsidiaire:

    À supposer qu'on me donne le même problème avec les droites de $\mathbb{A}^2$ suivantes : $2x-3y=6$ et $-4x+6y=13$. Je trouve les plans $P_1' : 2x-3y-6z = 0$ et $P_2' : -4x+6y-13=0$ de $\mathbb{R}^3$ en correspondance avec les deux droites de $\mathbb{A}^2$ qui me sont données. Je trouve l'équation paramétrique de la droite $\epsilon'$, intersection de $P_1'$ et $P_2'$ définie comme suit $$\epsilon': \begin{pmatrix}x\\y\\z\end{pmatrix} = \begin{pmatrix}0\\0\\0\end{pmatrix}+t\begin{pmatrix}3/2\\1\\0\end{pmatrix}.$$ Ici, la droite $\epsilon'$ passe par l'orginie $O=(0,0,0)$ de $\mathbb{R}^3$ et est contenue dans la plan d'équation $z=0$. Elle correspond dès lors à un point à l'infini, intersection des deux droites de départ de $\mathbb{A}^2$, point que l'on caractérisera par les coordonnées homogènes $[3/2 : 1: 0]$.

    Est-ce que j'ai correctement interprété le résultat? Si j'ai bien compris, les deux droites de $\mathbb{A}^2$ en question sont parallèles et se coupent en un point à l'infini. C'est pour cette raison que, dans le plan projectif, on dit que "deux droites parallèles se rejoignent à l'infini".
  • $$ \begin{pmatrix} 2 & -3 & -6 \end{pmatrix} \wedge
    \begin{pmatrix} -4 & 6& -13 \end{pmatrix} =
    \begin{pmatrix} 3\times13+6\times6\\ 6\times 4+13\times 2\\
    2\times 6-3\times4 \end{pmatrix} = \begin{pmatrix}
    75\\50\\0 \end{pmatrix} \simeq \begin{pmatrix}
    3\\2\\0 \end{pmatrix} $$

    Ce que deux droites parallèles ont en commun, c'est leur direction.
  • Pldx a écrit:
    Par contre, je n'ai pas l'impression que l'on gagne grand'chose à imaginer une droite étant comme un plan de l'espace passant par l'origine, et l'intersection des deux droites comme étant la droite de l'espace intersection des deux plans précédents.
    Ça me paraît une façon naturelle de motiver les opérations algébriques d'homogénéisation, de comprendre pourquoi deux droites se coupent toujours en un point, pourquoi interviennent des conditions comme « trois droites concourantes ou parallèles », etc.
  • Chacun, selon son propre vécu, s'est fabriqué sa propre intuition des choses, c'est à dire une façon de "voir" de quoi on cause. Cela ne se discute même pas. Par contre, vouloir s'appuyer sur une "intuition en trois dimensions" pour construire une "intuition en deux dimensions", je ne suis pas convaincu que cela va fonctionner, en tout cas pour le plus grand nombre.

    Pour ce qui est d'homogénéiser, la droite définie par les deux points $(x_1 ,y_1)$, $(x_2,y_2)$ a pour coefficients $a,b,c$ tels que le point courant et les deux autres vérifient : $$\begin{eqnarray*} ax&+&by&+&c&=&0 \\
    ax_1&+&by_1&+&c&=&0 \\
    ax_2&+&by_2&+&c&=&0
    \end{eqnarray*}$$ et cela s'écrit: $$ \begin{pmatrix} a&b&c \end{pmatrix}\cdot
    \begin{pmatrix} x&x_1&x_2 \\
    y&y_1&y_2 \\
    1&1&1
    \end{pmatrix}= \begin{pmatrix} 0&0&0 \end{pmatrix}
    $$

    Cela explique largement pourquoi il on écrit les points ordinaires sous la forme $x:y:1$ (avec la convention: colon means column) !

    Edit: le "s" est revenu de ses vacances.
  • @pldx1
    Ah, les helvètes...

    Ils ont l'habitude, par nécessité, de fréquenter plusieurs cultures,
  • @soland. It's more handy to use rows to denote points, and columns to denote lines. This allows to distinguish them at first sight. Obviously, there are contrarian tribes who are using rows to denote lines, and columns to denote points (Frenchies are acting that way).

    Cordialement, Pierre.
  • @Pierre : On peut en effet écrire des matrices 3x3 en juxtaposant des colonnes à trois coordonnées construites par un procédé algébrique dont la seule justification est l'efficacité, et faire semblant qu'il n'y a pas de points de $\R^3$. Ou bien on peut, provisoirement peut-être, aller regarder les points et trouver une vision géométrique de ces manipulations algébriques. On est libre.

    Ça n'est pas si incongru : pour percevoir que les rangs de lavandes (portées par les droites $x=k$, évidemment) finissent par se rejoindre « à l'infini », on se met un peu au-dessus du champ. Tout se passe comme si on mettait son œil en $0$ quand le champ (uniformément plat et non borné comme il se doit) est dans le plan $z=1$ ; les rayons lumineux de mon œil à un rang de lavande décrivent un plan, etc.

    Apparemment, l'image a été utile à kgeorgios. Pour ma part, on m'a appris à homogénéiser mécaniquement et quand, des années plus tard, on m'a montré le modèle du plan $z=1$ etc., ça a été une révélation. En tout cas : une image de plus ne saurait nuire !
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