Algèbre de Lie d'un groupe de Lie

Bonjour à tous,
J'étudie actuellement les groupes et algèbres de Lie. Je n'arrive pas à trouver sur Internet une définition simple et claire de ce qu'est l'algèbre de Lie d'un groupe de Lie. Dans tout ce que j'ai trouvé, c'était soit abscons soit manifestement entaché d'inexactitudes.
Si quelqu'un pouvait m'expliquer ça, je lui en serais très reconnaissant.
Marc Lorré

Réponses

  • Pour ne pas faire abscons, l'idée est en général de ne pas parler d'un groupe de Lie en général (une variété) mais uniquement d'un sous-groupe $G$ fermé de $\mathrm{GL}_n(\R)$. Son algèbre de Lie est alors l'espace \[\{X\in\mathcal{M}_n(\R),\ \forall t\in\R,\ \exp tX\in G\},\] muni du « crochet » $(X,Y)\mapsto [X,Y]=XY-YX$.

    Une référence : Jacques Faraut, Analyse sur les groupes de Lie, Calvage et Mounet (deux éditions existent).
  • Merci
    Un groupe de Lie est-il toujours fermé ?
  • Est-ce qu'un groupe de Lie est toujours fermé ? Posée comme ça, la réponse semble être « évidemment oui », du moins si on appelle groupe de Lie un espace topologique muni d'une structure de variété et d'une loi de groupe telles que [...]. Si on définit, de façon plus restrictive, un groupe de Lie comme un sous-groupe fermé d'un groupe linéaire ($\mathrm{GL}_n(\R)$ ou $\mathrm{GL}_n(\C)$ pour $n$ convenable), la réponse est aussi automatiquement oui (dans ce cas, un théorème assez délicat de Cartan garantit que c'est automatiquement une sous-variété). Sinon... eh bien, il faut expliquer ce que tu entends par « groupe de Lie » et « où » tu veux qu'il soit ou ne soit pas fermé.
  • Soit $G$ un sous-groupe fermé de $GL_n(\K)$ (ici $\K$ désigne $\R$ ou $\C$).
    Soit $V\in M_n(\C)$.
    Considérons les énoncés suivants:

    (i) $\exp(tV)\in G$ pour tout $t\in \R$
    (ii) il existe un intervalle $J$ ouvert contenant $0$ et une fonction $C^{\infty}$ de $J$ dans $G$ telle que $f(0)=I_n$ et $f'(0)=V$
    (iii) il existe un intervalle $J$ ouvert contenant $0$ et une fonction dérivable de $J$ dans $G$ telle que $f(0)=I_n$ et $f'(0)=V$
    (iv) il existe un réel $a>0$, et une fonction $f:[0,a]\to G$ dérivable à droite en $0$, telle que $f(0)=I_n$ et telle que la dérivée à droite de $f$ en $0$ est égale à $V$
    (v) il existe une suite $(X_k)_{k\in \N}$ d'éléments de $G$ tels que $X_k\underset{k \to +\infty}{\longrightarrow} I_n$ et $k(X_k-I_n) \underset{k \to +\infty}{\longrightarrow} V$


    Chacun des énoncés (i) à (iv) entraîne assez trivialement le suivant (on a (i) qui implique (ii) qui implique (iii) qui implique (iv) qui implique (v); pour cette dernière implication, il suffit de poser $X_k:=f\left ( \frac 1 k\right)$ pour tout $k\in \N$).

    Le résultat clé et spectaculaire de ce thème est le suivant, dû à Von Neumann:

    [size=large](v) entraîne (i)[/size] et donc toutes ces affirmations sont équivalentes.
    Une preuve de ce résultat est donnée à la fin de ce message.

    Faisons quelques commentaires.
    On désigne souvent par une lettre gothique minuscule $\mathfrak g$ l'ensemble des $V\in M_n(\K)$ satisfaisant l'un des (donc tous les) énoncés précédents. Cet ensemble s'appelle "l'algèbre de Lie de $G$". Ces énoncés expriment intuitivement l'idée que $\frak g$ est le translaté en $0$ de l'espace tangent géométrique à $G$ en $I_n$ (appelé simplement "espace tangent en $I_n$" en géométrie différentielle). Un vecteur est tangent à une partie de l'espace s'il est la dérivée au point considéré d'une courbe tracée dans ledit espace. Les sous-groupes fermés de $GL_n(\K)$ se comportent particulièrement bien vis-à-vis de cette notion.

    De plus on voit tout de suite que $\mathfrak g$ est un sous $\R$-espace vectoriel (pas forcément $\C$ par contre) de $M_n(\K)$ ici. En effet soient $f'(0),g'(0)\in \mathfrak g$ avec $f,g$ courbes dans $G$ (i.e. fonctions d'un intervalle dans $G$ envoyant $0$ sur $I_n$); soient $\lambda,\mu \in \R$, alors la dérivée en $0$ de $t\mapsto f(\lambda t)g(\mu t)$ est égale à $\lambda f'(0)+\mu g'(0)$.

    Parlons du crochet:
    Quand les gens débutent la théorie des groupes, il voient parfois la notation $[a,b]$ pour $aba^{-1}b^{-1}$ avec $a,b$ dans un groupe $G$. Dans le cas de matrices $A,B\in M_n(K)$, $[A,B]$ désigne plutôt $AB-BA$. Quel est le lien entre ces deux notions?

    Avec les notations précédentes, soient $f,g \in C^{\infty} (J,G)$ telles que $f(0)=g(0)=I_n$. Alors un calcul montre que la fonction (valant $I_n$ en $0$) $t\mapsto f(\sqrt t) g(\sqrt t) f^{-1}(\sqrt t) g^{-1}(\sqrt t)$ possède un développement limité à l'ordre $1$ en $0$, de la forme $t\mapsto I_n + t\left ( f'(0) g'(0) - g'(0) f'(0)\right ) + o(t)$. Le point 4° de l'équivalence en vert montre donc que $\mathfrak g$ est stable par le crochet $A,B \mapsto AB-BA =: [A,B]$.

    On peut assimiler les éléments de $\mathfrak g$ à des champs de vecteur et généraliser le crochet aux champs de vecteurs. Consulter des livres de géométrie différentielle.

    Il y a d'autres résultats dans le sillage du théorème de Von Neumann: en fait $\exp$ est en $0$ l'inverse d'une carte de sous-variété de $G$ en $I_n$, dont l'image est (l'intersection avec un voisinage de $0$ de) $\mathfrak g$.
    Visiter la page wikipédia du théorème de Von Neumann pour les Groupes de Lie.

    Donc en fait $\mathfrak g$ peut être vu comme le "voisinage infinitésimal de $G$" en $I_n$.
    $\mathfrak g$ contient beaucoup d'informations sur $G$, deux sous groupes connexes de $GL_n(\K)$ sont égaux si et seulement si leurs algèbres de Lie sont égales par exemple.


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    Preuve du théorème de Von Neumann.
    D'abord il y a un lemme (connu en principe, le cas échéant passer au paragraphe suivant...):
    1° Soit $A$ une algèbre de Banach (remplace $A$ par $M_n(\K)$ si on ne sait pas ce qu'est une algèbre de Banach) La suite de fonctions $k \mapsto x\mapsto \left (1+\frac x k \right )^k$ converge uniformément sur toute partie bornée de $A$ vers la fonction $\exp$.
    Posons pour tous entiers $k,p$, $u^{(k)}_p := \frac{1}{p!}-\frac{1}{k^p}\binom{k}{p}$ si $p\leq k$,et $u^{(k)}_p := \frac{1}{p!}$ si $p>k$. Alors un calcul montre que pour tous $p,k\in \N$, $u^{(k)}_p\geq 0$. Or $\sum_{p=0}^{+\infty} u^{(k)}_p x^p = \exp(x)-\left (1+\frac x k \right )^k$ pour tout $x\in A$ et tout $k\in \N$.
    Soient alors $R$ un réel positif, $k\in \N$ et $x\in A$ tel que $\|x \| \leq \R$. On déduit de ce qui précède les inégalités
    $$\| \exp (x) - \left (1+\frac x k \right )^k \| = \|\sum_{p=0}^{+\infty} u^{(k)}_p x^p \| \leq \sum_{p=0}^{+\infty} u^{(k)}_p \|x \|^p \leq \sum_{p=0}^{+\infty} u^{(k)}_p R^p = \exp(R)-\left (1+\frac R k \right )^k \tag{$*$}$$
    On voit (en passant au log dans $\left (1+\frac R k \right )^k$et en reconnaissant la dérivée en $0$ de $t\mapsto \log(1+Rt)$ par exemple) que le membre de droite de cette inégalité tend vers $0$ quand $k$ tend vers l'infini d'où le résultat.

    Montrons maintenant (v)=> (i).
    Soit $G$ un sous-groupe fermé de $GL_n(\K)$, $V\in M_n(\K)$ et $(X_k)_{k\in \N}$ une suite de $G$ tendant vers $I_n$ et telle que $k(X_k-I_n)$ tend vers $V$ quand $k$ tend vers $+\infty$. Montrons que pour tout $t\in \R$, $\exp(tV)\in G$; pour cela, il suffit d'établir cette appartenance pour tout $t$ positif (puisque $G$ est un groupe et que $\exp(-tV)$ est l'inverse de $\exp(tV)$ pour tout $t$). Soit donc $t$ un réel positif. On pose pour tout $k$, $Y_k:= k(X_k-I_n)$ et $Z_k:= \frac{\lfloor tk \rfloor}{tk} \times (t Y_k)$. Alors par construction, $X_k=1+\frac 1 k X_k$ et de plus, $(Z_k)_{k\in \N}$ est bornée et tend vers $tV$. D'après le lemme 1° précédent, $\left ( 1 + \frac{1}{\lfloor tk \rfloor} Z_k\right )^{\lfloor tk \rfloor}$ tend vers $\exp(tV)$ quand $k$ tend vers l'infini. Or pour tout $k\in \N$, $$
    \left ( 1 + \frac{1}{\lfloor tk \rfloor} Z_k\right )^{\lfloor tk \rfloor} = \left ( 1 + \frac{1}{\lfloor tk \rfloor} \frac{\lfloor tk \rfloor}{tk} \times (t Y_k) \right )^{\lfloor tk \rfloor} = \left ( 1 + \frac{1}{k} Y_k\right )^{\lfloor tk \rfloor} = X_k^{\lfloor tk \rfloor} \in G \tag{$**$}$$ Ainsi, comme $G$ est fermé dans $GL_n(\K)$ et comme $\exp(tV)\in GL_n(\K)$ (édité d'après le message de john_john), $\exp(tV)\in G$. CQFD.
    Une fonction est un ensemble $f$ de couples tel que pour tous $x,y,z$, si $(x,y)\in f$ et $(x,z)\in f$ alors $y = z$.
  • Comme le dit Math Coss, <<fermé, cela dépend dans quoi>> ; ainsi, ${\rm GL}_n(\R)$ n'est pas fermé dans $E={\mathfrak M}_n(\R)$ mais il le devient si on le voit comme l'ensemble des $(x,M)\in\R\times E$ tels que $x\cdot{\rm det}\,M=1$.
  • Bonjour, pourquoi se restreindre aux sous-groupes de $GL_n(\mathbb K)$ ?

    Si $G$ est un groupe de Lie, alors l'ensemble des champs de vecteurs invariants à gauche (c'est-à-dire les $X$ champs de vecteurs sur $G$ vérifiant $dL_g . X(h)=X(gh)$, ou encore $(L_g)_{*}X = X$) a une structure naturelle d'algèbre de Lie, où le crochet est donné par :
    $$\forall f \in C^{\infty}(G), \, [X,Y] \cdot f = X \cdot (Y \cdot f) - Y \cdot ( X \cdot f)
    $$ (on utilise le résultat suivant : toute dérivation provient d'un unique champ de vecteurs).
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