Un problème de racines d'une équation du 4ème degré

Chers amis

On travaille dans le corps des complexes muni de sa structure euclidienne usuelle.
On s'intéresse aux 4 centres des cercles inscrit et exinscrits d'un triangle dont les sommets ont pour affixes a, b, c.

Pour cela, on utilise une astuce de Morley, le fameux inventeur du théorème sur les trisectrices.

On suppose que a, b, c ont pour module 1:
|a| = |b| = |c| = 1

On introduit les 3 fonctions symétriques élémentaires de a, b, c, à savoir:
s(1) = a + b + c
s(2) = b.c + c.a + a.b
s(3) = a.b.c

Alors les 4 affixes des cercles inscrit et exinscrits sont les racines du polynôme:

P = X^4 - 2s(2)X² + 8s(3)X + s(2)^2 - 4s(1)s(3)

C'est pas tout à fait évident mais on peut y arriver.

La question que je me pose est autre!
Morley fait de plus l'astuce d'introduire des racines carrées de a, b, c.
Il écrit donc:
a = (alpha)²; b = (beta)²; c = (gamma)²
et au miracle,les 4 racines de P s'écrivent:

(beta).(gamma) + (gamma).(alpha) - (alpha).(beta)
(beta).(gamma) -(gamma).(alpha) + (alpha).(beta)
-(beta).(gamma) + (gamma).(alpha) + (alpha).(beta)
-(beta).(gamma) - (gamma).(alpha) -(alpha).(beta)

Tout se rationalise. Comment ceci s'explique ou se décrit dans la théorie des équations?

Si on fait opérer multiplicativement le groupe G^3 où G est le groupe multiplicatif {1, - 1} des racines carrées de l'unité, sur l'ensemble des 8 éléments {+ - (alpha), + - (beta), + - (gamma}, il est clair que ce groupe opère alors sur les 4 racines. Que dire de cette action?

Très amicalement

Pappus

Réponses

  • Bonjour,

    béotien en géométrie, je ne sais pas ce qu'est un "cercle exinscrit". Peux-tu me dire de quoi il s'agit ?
  • Bonjour Sylvain,

    C'est un cercle tangent à trois côtés du triangle, mais à l'extérieur.

    Je mets le mot dans un contexte, comme dans le dico:

    Le cercle des neuf points est tangent au cercle inscrit et aux cercles exinscrits. (Feuerbach)

    Veinard, tu vas découvrir ça ! je t'envie !

    amicalement,

    e.v.
    Personne n'a raison contre un enfant qui pleure.


  • Chers amis
    Je m'aperçois que j'ai oublié un mot.
    Il s'agit bien des centres des cercles inscrit ou exinscrits qui sont en effet les 4 cercles tangents aux 3 côtés du triangle dont les sommets ont pour affixes a, b , c.
    Autrement dit , ces centres sont tout bêtement les 4 points de concours des bissectrices du triangle abc.
    Ce sont donc les affixes de ces centres qui sont les racines de cette équation du 4ème degré.
    Désolé pour cette erreur.
    Ceci dit, c'est déjà un exo dans l'exo que de former cette équation même si c'est cette question de rationalisation qui m'intéresse le plus!
    Amicalement
    Pappus
  • @ev :
    J'ai vu la définition sur Wikipédia et j'ai compris ta phrase qui me semblait si mystérieuse : pour moi un côté ne pouvait être qu'un segment de droite et non une droite et j'étais donc fort perplexe à l'idée qu'un cercle pût être tangent à trois côtés en étant extérieur au triangle...Du coup je suis tombé sur le cercle des neuf points dont le centre ainsi que l'orthocentre et le centre du cercle circonscrit vérifient une bien jolie relation. Je n'aurais jamais cru découvrir d'aussi belles choses en géométrie euclidienne à bientôt 27 ans...
  • Bonjour, Pappus,
    je vois une explication au miracle de {\sc Morley} : le triangle formé par les quatre centres est orthocentrique, et les pieds des hauteurs forment le triangle $ABC$ initial. Le cercle d'{\sc Euler} de ce quadrilatère orthocentrique est le cercle circonscrit au triangle initial.

    Si $a,\,b,\,c$ sont les affixes respectifs (suppos\'es de module~$1$) des sommets d'un triangle, les
    affixes des milieux des c\^ot\'es sont $\dfrac{b+c}{2}$, etc., et les affixes des pieds des hauteurs
    sont $\dfrac{a+b+c-bc/a}{2}$, etc. Ces six points appartiennent au cercle d'{\sc Euler} du triangle. On
    les renvoie sur le cercle-unit\'e gr\^ace \`a l'homoth\'etie $z\longmapsto a+b+c-2z$~: ils deviennent
    alors respectivement $a$, etc., et $bc/a$, etc.

    Par cette m\^eme homoth\'etie, les affixes des sommets du triangle deviennent $b+c-a$, etc., et celui de
    l'orthocentre devient $-(a+b+c)$.

    Or, les sommets du triangle initial ainsi que l'orthocentre d'icelui sont les quatre centres des cercles
    (ex)inscrits du triangle form\'e par les pieds des hauteurs. Si on pose $bc/a=\alpha^{2}$, etc., on a
    alors $\beta^{2}\gamma^{2}=a^{2}$, etc.

    De tout cela suit que les affixes $\pm\beta\gamma\pm\gamma\alpha\pm\alpha\beta$ (avec chaque fois un ou
    trois signes $-$) sont effectivement les affixes {\em supra}.

    En d'autres termes, le problème était rationnel dès le début !

    Cordialement, j__j
    9516
  • Re...

    L'action de groupe énoncée par {\sc Pappus} se factorise en une action de $(\Z/2\Z)^2$ puisque le sous-groupe engendré par $(-1,-1,-1)$ agit trivialement. Après cela, on voit que la nouvelle action est simplement transitive si on considère qu'elle opère sur le sous-groupe de $S_4$ constitué de ses involutions (cela ne forme pas un sgr pour tous les $S_n$, mais ici, oui).

    Enfin, voici une autre façon de faire agir $(\Z/2\Z)^2$ dans un cadre projectif réel : l'homologie harmonique de centre $A$ et d'axe $BC$ et les deux autres homologies analogues, plus l'identité, forment un sous-groupe isomorphe à $(\Z/2\Z)^2$ du groupe des homographies du plan projectif réel, et ce sous-groupe agit de la même manière sur la configuration des quatre centres.

    Par exemple, l'homologie harmonique de centre $A$ et d'axe $BC$ échange $I$ avec le centre du cercle exinscrit dans l'angle $\widehat A$ et échange les deux autres centres.

    À bientôt pour de nouvelles aventures, j__j
  • Merci John-John
    Tu rationalises en posant bc/a = (alpha)², etc... et Morley rationalise en posant:
    a = (alpha)², etc...
    Effectivement , chaque point de concours des bissectrices est l'orthocentre d'un triangle bien choisi.
    Les sectateurs de la géométrie du triangle diraient:

    Tout point de concours des bissectrices est l'orthocentre de son triangle circumcévien, gloup!

    Voir MathWorld pour la définition du "Circumcevian triangle".

    La question de l'intersection des bissectrices est intéressante. On "l'explique" à un niveau élémentaire en distinguant bissectrices intérieures et extérieures mais en fait ce n'est pas vraiment une démonstration mais plutôt de la géométrie contemplative.

    Ici avec les complexes, on ne peut distinguer ce qui est intérieur d'extérieur.

    On débute avec les complexes a², b², c². Attention je change mes propres notations!
    Les bissectrices issues de a² recoupent le cercle unité en b.c et -b.c mais tu ne sais pas a priori lequel de ces 2 points va donner la bissectrice intérieure.
    Supposons que tu décides que c'est le point d'affixe b.c. OK
    Et maintenant rebelote, tu décides que c'est le point c.a qui va donner la bissectrice intérieure issue de b², alors maintenant tu n'as plus le choix pour le 3ème sommet c², c'est le point d'affixe -a.b qui va donner la bissectrice intérieure. Mais ce n'est absolument pas évident!

    C'est ce que Morley démontre plus ou moins de façon très vaseuse dans son livre: Inversive geometry

    Moi je verrai les choses de cette manière:
    Supposons qu'on ait 2 triplets de points (a, b, c) et (a', b', c') sur le cercle unité.
    On veut savoir à quelle condition les droites joignant (a, a'), (b, b'), (c, c') sont concourantes ou parallèles.
    On sait que ces 3 paires sont en involution (dite de Frégier)
    Chacune de ces paires vérifie une relation de la forme:
    A z.z' + B(z + z') + C = 0
    On obtient un système linéaire homogène en A, B, C qui doit avoir une solution non triviale, son déterminant est nul et il est formé par les 3 lignes:
    (1, a + a' , a.a'); (1, b + b', b.b'); (1, c + c', c.c')

    On applique ce résultat en prenant pour premier triplet: (a², b², c²) et pour second: ( epsilon(1).b.c, epsilon(2).c.a, epsilon(3).a.b) où
    epsilon(k) est une racine carrée de 1 pour k = 1, 2, 3

    Tu calcules ce déterminant et tu trouves quelque chose du style, peut-être au signe près:
    (1 + epsilon(1).epsilon(2).epsilon(3))V(a.epsilon(1), b.epsilon(2), c.epsilon(3))
    où V(x, y, z) est le Vandermonde de x, y, z.

    C'est compliqué mais je ne vois pas mieux pour le moment.

    Maintenant comme je l'ai dit, on fait opérer le groupe G^3 comme je l'ai dit pour voir comment les 4 racines sont permutées.

    Je te signale que l'astuce de Morley marche aussi pour ces trisectrices.
    Tu pars du triangle a^3, b^3,c^3 et tu calcules les affixes des sommets du triangle de Morley pour montrer qu'il est équilatéral et là aussi les affixes sont rationnelles en a, b, c!!
    Tu peux faire opérer le groupe G^3 où G est le groupe multiplicatif (1, j, j²) des racines cubiques de l'unité et regarder ce que ça donne sur les sommets. Obtient on ainsi les 27 sommets, je ne sais pas mais ici la situation est beaucoup plus compliquée que le cas précédent.
    Amicalement
    Pappus
  • Tapuscripsit Pappus : Tu rationalises en posant $bc/a = (\alpha)^2$, etc. et Morley rationalise en posant:
    $a = (\alpha)^2$, etc.

    *********


    Cher Pappus,
    en fait, les deux notations sont identiques, car c'est {\em ma} formulation qui était ambiguë : le triangle $ABC$ dont on considère les quatre centres est celui dont les sommets sont les pieds des hauteurs du triangle dont je suis parti initialement. Donc, c'est bien $bc/a$ qui s'appelle $\alpha^2$ car cet affixe joue le rôle de celui que tu appelais $a$, toi !
  • Voici à présent une interprétation galoisienne du phénomène.
    Soit trois complexes distincts de module~$1$, que nous pouvons appeler~$\alpha^{2}$,~$\beta^{2}$
    et~$\gamma^{2}$ et soit~$A$,~$B$ et~$C$ les images de ces complexes. Les bissectrices issues de~$A$
    recoupent le cercle-unit\'e en les points d'affixe~$\pm\beta\gamma$ (cons\'equence tu th\'eor\`eme de
    l'angle inscrit).\par

    Si on pose $K=\Q[\alpha^{2},\,\beta^{2},\,\gamma^{2}]$ et
    $L=\Q[\beta\gamma,\,\gamma\alpha,\,\alpha\beta]$, alors le degr\'e $[L:K]=4$, du moins si le triangle
    est g\'en\'erique (pour le cas d'un triangle trop particulier, tel un triangle \'equilat\'eral, on peut
    avoir $[L:K]=1$ ou $[L:K]=2$). En effet, on passe de~$K$ \`a~$L$ par deux extensions quadratiques
    successives (deux suffisent, puisque $\alpha\beta=\dfrac{(\beta\gamma)(\gamma\alpha)}{\gamma^{2}}$ et
    que $\gamma^{2}\in K$). C'est normal puisque l'on a besoin de coups de compas pour construire les
    bissectrices en deux seulement des trois c\^ot\'es du triangle et que celles en le troisi\`eme point
    s'en d\'eduisent \`a la r\`egle seule.\par Ensuite, les constructions des quatre centre des cercles
    (ex)inscrits se construisent \`a la r\`egle seule, de sorte que leurs affixes appartiennent \`a~$L$.\par
    L'extension $L:K$ est galoisienne ; appelons \`a pr\'esent~$G$ le groupe de {\sc Galois}
    $\text{Gal}(L:K)$ ; ce groupe poss\`ede quatre \'el\'ements et est, de ce fait, commutatif. Ce groupe ne
    peut \^etre que le {\em Vierergruppe} de {\sc Klein}\,\footnote{Et non l'autre groupe d'ordre~$4$, savoir
    $\Z/4\Z$.}, car il poss\`ede trois \'el\'ements d'ordre~$2$, que voici~:

    \[\left\{\begin{array}{lllrllr}
    \sigma_1&:&\beta\gamma\mapsto&\beta\gamma\,&\text{et}\,&\gamma\alpha\longmapsto&-\gamma\alpha
    \\\sigma_2&:&\beta\gamma\mapsto&-\beta\gamma\,&\text{et}\,&\gamma\alpha\longmapsto&\gamma\alpha
    \\\sigma_3&:&\beta\gamma\mapsto&-\beta\gamma\,&\text{et}\,&\gamma\alpha\longmapsto&-\gamma\alpha
    \end{array}\right.\]

    Chacun de ces morphismes induit une permutation sur exactement deux des couples de bissectrices~: par
    exemple,~$\sigma_1$ \'echange les deux bissectrices au point~$B$ et au point~$C$. De ce fait, il induit aussi une
    permutation sur les quatre centres. C'est celle qui \'echange~$I$ et~$I_{_A}$ ainsi que~$I_{_B}$
    et~$I_{_C}$.\par

    On retrouve exactement l'action qui nous int\'eresse ici ! À noter que le groupe~$G$ est le groupe de {\sc Galois} des racines du polynôme~$P$ de {\sc Pappus} car le corps~$L$ est le corps des racines de ce polynôme.
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