Patrick Dehornoy
Patrick Dehornoy est mort. C'était quelqu'un dont les rencontres m'ont enrichies à tel point qu'il y a 20ans j'avais eu l'impression de compter pour lui alors qu'en fait il devait donner cette impression à beaucoup de gens par une forme de disponibilité naturelle exceptionnelle, due en plus de son intelligence à une belle harmonie intérieure.
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Réponses
Pardon c'est difficile de faire des copier-coller de mon téléphone
Condoléances à la famille et à ses amis.
J'avais beaucoup d'admiration et d'affection pour Patrick Dehornoy. Sa disparition me fait mal et je porterai sans doute longtemps la peine de le voir parti si tôt, emporté par une maladie qui pèse sur la tête de chacun comme une épée de Damoclès.
Son énergie, son enthousiasme, son intelligence ne pouvaient laisser quiconque indifférent. Il disait ce qu'il pensait, même si cela ne plaisait pas nécessairement à son interlocuteur ; sans nuances ou méandres, car il voyait la critique directe comme une expression d'amitié. Critiques qu'il adressait, encore plus volontairement, aux personnes qui peuvent encore faire mieux, et qui manquent à le faire. Plus d'une fois, me voyant dépassé par les nombreuses tâches que je lui avais promis d'accomplir et que je n'avais pu faire dans les temps, j'avais droit à une vive critique, accompagnée il est vrai d'un grand et généreux sourire... et il prenait quelques fois le soin de les faire à ma place.
Notre collaboration autour de ses livres fut pour moi un réel plaisir, et source de bien d'enrichissements. Car, comme beaucoup de mathématiciens, Patrick avait une vaste culture, en histoire, en littérature, dans le monde des arts, etc. et faisait souvent en profiter sans ostentation ses amis, autour d'un verre ou d'un repas.
Il me revient le souvenir d'une anecdote à l'occasion de l'anniversaire d'un de mes enfants. Devant mon embarras à lui choisir un cadeau qui pourrait plaire, il me conseilla de lui offrir Les Thibault de Roger Martin du Gard, que Patrick semble avoir beaucoup aimé à l'époque de son adolescence... Ouvrage que je m'étais empressé d'acheter en deux volumes dans la Pléïade. Le cadeau d'anniversaire fut décliné "Tu sais bien que je ne lirai jamais ça !" m'avait fait savoir sèchement Daniel ! J'ai laissé ces volumes dans leur emballage cadeau dans un coin de ma bibliothèque en attendant que Daniel grandisse. Je vais avoir plus envie maintenant de les ouvrir et de les lire pour moi-même !
Patrick est parti, en laissant inachevés beaucoup de projets auxquels il pensait devoir et pouvoir se consacrer dans les mois et les années à venir. Après son monumental "Théorie des ensembles", et son livre exquis sur "Les tresses", il a évoqué dans un courriel un troisième projet... sans me donner plus de détails.
" Quand est-ce qu'on met en route un troisième ? " m'avait-il écrit fin juin, le jour d'anniversaire même de la mort de mon père, lui aussi parti bien tôt ! Il n'y aura donc pas de troisième. La maladie ne lui a laissé aucun répit.
J'espère pouvoir être pour les obsèques ce lundi. Un fidèle ami n'est plus.
Condoléances à son épouse, à ses enfants et à tous ceux qui aimaient Patrick !
Cordialement,
Yann
D'après ce que Patrick m'avait dit en mai 2018, le troisième projet est sans doute une histoire de la théorie des ensembles, qui lui avait été demandée par un éditeur. Il m'avait dit alors qu'il envisageait d'attendre d'être en retraite pour se consacrer à ce livre, dans lequel il n'y aurait pas un seul symbole mathématique (ou très peu).
Pour la petite histoire, comme j'avais beaucoup participé à la correction des "coquilles" de son livre de théorie des ensembles, il m'avait fait parvenir en remerciement un exemplaire de la deuxième édition du livre. Ceux qui l'ont en leur possession pourront constater que je figure à la fin de la rubrique "remerciements". J'ai donc le rare privilège de posséder un exemplaire dédicacé de ce livre magnifique, que je garde comme la prunelle de mes yeux.
Tout cela ne m'empêche pas d'être très triste.
Je présenterai donc mes condoléances "en live" à la famille, même si je sais d'avance que ça va être un moment difficile.
Bon WE à tous
Martial
(Lien corrigé ci-dessous)
j'ai appris le décès de Monsieur Dehornoy ce matin en feuilletant Tangente. Des larmes me sont venues, c'était quelqu'un d'extraordinaire et il avait répondu avec douceur et gentillesse à toutes mes questions concernant son magnifique livre de Théorie des Ensembles.
Si l'un d'entre vous a la possibilité de transmettre mes condoléances tardives à sa famille (cc?).
Tristement,
F.D.
Je veux bien le faire (par mail), mais il faudrait que tu me donnes ta véritable identité, par exemple en MP.
Parce que si je présente les condoléances de François D on va me prendre pour un cinoque...
Le lycée bruissait cependant encore de ses empoignades avec notre professeur de mathématiques, "Le Boute" (Jacques Bouteloup), à propos de l'axiome du choix (alors qu'il n'avait que dix huit ans, je pense ...), qui passaient bien évidemment très haut au-dessus de la tête des autres élèves.
Le Boute nous avait dit de lui "retenez son nom, il sera un jour célèbre" (les profs de prépa ne sont pas coutumiers de ce genre d'éloges ...). Il le fut, mais pas autant qu'il aurait pu le devenir, je pense, les sujets auxquels il s'est consacré étant particulièrement arides (mais c'est un point de vue personnel, non autorisé, je laisse à d'autres, plus compétents que moi, le soin d'argumenter sur cette question).
Par curiosité, j'ai toujours suivi , de loin, sa carrière, en me demandant toujours comment un individu pouvait bien imaginer des noeuds en dimension n, ou même infinie , pourquoi pas .. sans se faire des noeuds au cerveau (mais c'est un mauvais jeu de mots, et ce genre d'homme n'avait peur de rien ....).
Lorsqu'il a intégré Ulm, il était Major du concours, à la fois de l'X et d'Ulm. Par curiosité, j'ai retrouvé les résultats d'agreg 1974, où il n'était "que" quatrième (très mauvais résultat, quasiment humiliant, pour cette bête de concours (je dis ceci de façon admirative), par ailleurs très modeste.
Ceci m’amène à penser qu’en maths, il devait être comme Grothendieck : ne reculant devant rien, et, après qu’il soit passé sur un problème, pas la peine de repasser derrière : le problème était explosé, volatilisé, et c’est bien simple, on devait se demander comment des gougnaffiers avaient pu voir un problème à cet endroit .,,
C'était un homme plein d'humour. Je recommande à ceux qui ne les ont pas encore vues les vidéos désopilantes qu'il a réalisées, et publiées sur son site perso (dont l'une où il fait jouer ses enfants, sa femme, et son ami C Villani). (voir sur https://dehornoy.users.lmno.cnrs.fr/perso.html "Clips pour rire")
J'éprouve beaucoup de tristesse, pour lui et sa famille.
Quand tu dis qu'il est devenu moins célèbre que ce qu'il aurait pu, je ne pense pas que ça soit dû à l'aridité de ses travaux, mais plutôt au fait que, globalement, dans le monde, la théorie des ensembles, tout le monde s'en tape. On en a d'ailleurs parlé ce jour-là, il déplorait le fait qu'à ce jour il n'y ait eu aucun settheoretist médaillé Fields. Je lui [ai dit] si, il y a eu Paul Cohen. Il m'a répondu oui, t'as raison, il y a eu Cohen.
Quant à la théorie des groupes de tresses, c'est une théorie toute nouvelle, qui, même si elle n'a aucun rapport avec la théorie des ensembles, tire ses origines des grands cardinaux. À la base le truc marchait modulo l'existence d'un cardinal I3, et Patrick a réussi à raccommoder les ficelles en faisant marcher l'affaire dans ZFC, ou même dans une théorie plus faible, je ne sais pas… Contrairement au problème de la périodicité des tables de Laver, pour laquelle on ne sait toujours pas si on peut se passer de I3.
D'ailleurs à ce propos il me semble que l'article de Wikipédia sur ce sujet est un peu bancal, en tous cas très ambigu. Il faudra que je rectifie le tir un de ces jours.
Cordialement et solidairement avec notre ami commun
Martial
Je le remercie de m'avoir proposé d'être son étudiant, d'avoir eu confiance en moi et de m'avoir accompagné dans ce processus.
Le cancer est impitoyable. Il faut être impitoyable avec lui. Je le sais car j'ai eu une leucémie foudroyante et d'après la médecine, j'étais condamné. C'était il y a quelques années. Mais je me suis battu. Patrick s'est-il battu aussi ? A-t-il pu le faire ? Dans ces moments, il faut savoir se battre, même contre les protocoles des hôpitaux et leur logique uniforme et dirigée par les statistiques et l'optimisation...de quoi ? des coûts ? du temps ?
J'aurais souhaité que Patrick me recontacte au cours de cette année.
J'aurais essayé de lui donner des conseils pour vaincre sa maladie.
Il ne l'a pas fait, je le comprends, c'est difficile.
C'est regrettable. C'est ainsi. C'est la vie.
Il était fort, mais pas infaillible.
Un mathématicien humain.
Pensées à sa famille.
PS. Je découvre ici avec tristesse son décès et avec un sourire, teinté d'affection et de nostalgie, vos témoignages et sa vidéo "paradisiaque".
Il est tombé malade courant mars, et je l'ai appris par hasard le 17 mai, en lui écrivant pour autre chose.
Il m'a dit alors être incapable de répondre au téléphone ou de recevoir des visites, autres que sa femme et ses enfants.
On a cependant continué à converser par mail, à intervalles très irréguliers.
Petite anecdote montrant son combat : le 17 mai, ignorant qu'il était malade je lui signalais une petite erreur dans la 2ème édition de son livre sur la théorie des ensembles. La correction figure sur son site, à la date du 30 juin. De plus, son éditeur m'a dit qu'il avait tout fait, de loin, pour veiller à la bonne sortie de son livre sur les groupes de tresse.
Début juillet je lui ai demandé des nouvelles de sa santé. Il m'a répondu : "j'envoie régulièrement des bulletins de santé à ma famille et mes amis, je te mets dans la boucle". Il l'a fait et m'a joint les précédents bulletins.
Le 13 juillet je lui ai annoncé ma promotion à la classe exceptionnelle des agrégés, il a même pris la peine de me féliciter. Sa réponse était très touchante, je cite de mémoire : "Je ne te connais pas bien, mais la curiosité magnifique dont tu fais preuve justifie à elle seule à mes yeux cette promotion".
Pour l'essentiel, les bulletins de santé (tous les 15 jours environ) étaient "de plus en plus rassurants"... jusqu'à l'avant-dernier. Le dernier était catastrophique, et il est mort 15 jours ou 3 semaines après. Comme j'étais dans la boucle j'ai été averti par sa femme le soir-même.
J'ai aussitôt prévenu Christophe, qui s'est chargé de rédiger le premier post absolument magnifique de ce fil.
Voilà, hélas je n'ai plus rien à dire.
Amicalement
Martial
Amicalement aussi.
Serge
Il pouvait se montrer enjoué (comme je le raconte dans mon blog), avec ses célèbres maximes (souvent gentiment salaces, reproduites sur les murs de la classe), p ex : "Majoration et Minoration sont les deux mamelles de l'analyse !", mais je vous garantis que le passage au tableau était un grand moment de stress ... (de nombreuses années après, je me réveillais en pleine nuit du même cauchemar : séchant devant Le Boute !).
Pour la première place de Patrick à l‘ENS, je n’ai que le souvenir de l’article que lui avait consacré le Paris-Normandie, hélas non conservé (sans doute la seule et unique fois où ce journal a parlé (vaguement) de Mathématiques…). Il n'avait d'ailleurs accepté de rencontrer les journalistes que par respect envers ses maîtres ...
J’aurais pu l’avoir comme colleur (ce fut le cas de certains de mes camarades). Il n’avait pas la réputation de proposer des problèmes faciles …
Le jour de ses obsèques il y a eu beaucoup de témoignages d'amis de longue date, dont un qui l'a connu à Ulm, et qui disait que sur 30 et quelques élèves ils n'étaient que 5 (dont Patrick et lui) à venir d'une prépa de province.
Je vais me renseigner à l'occasion pour savoir s'il était 1er ou 3ème à Ulm, ça m'intrigue. A vrai dire je le vois mal arriver 3ème quelque part… même s'il n'a été "que" 4ème à l'agreg, mais là, à mon avis, ce n'était pas sa préoccupation essentielle du moment.
En tous cas merci