Editeurs scientifiques douteux, pour le moins...

Bonjour à tous,

Comme il n'y a pas de forum "journaux", je poste ceci dans le forum "livres".

Un fil récent, intitulé Variation totale d'une fonction discontinue, un titre alléchant donc, contient un lien sur un article publié, présentant bien, typographie correcte, air sérieux, mais contenant d'entrée des assertions absurdes et dénuées de sens. Déception pour un fil alléchant, mais bon, ce n'est pas la question ici.

Coincidence, cet article est publié par un éditeur appelé Hindawi et j'ai juste reçu un email collectif, que je reproduis ci-dessous en italique en supprimant le nom de son auteur :


Bonjour à tous

J'ai beaucoup hésité avant d'envoyer ce mail collectif.

J'ai été "invité" il y a 3 semaines environ par une certaine Mariam Kotb à participer à l'Editorial board d'un nouveau journal

http://www.hindawi.com/isrn/ma/editors.html

Ce journal est conçu pour fonctionner sans editeur en chef ni referees...sous prétexte d'aller vite et de donner une réponse aux auteurs dans le mois. En réalité les membres de l'EB sont les referees!

Je me suis livré à une petite enquête car le concept me paraissait farfelu (vu le pourcentage de papiers faux qui paraissent même dans les journaux traditionnels sélectifs après 3 mois d'examen par plusieurs rapporteurs choisis dans une base de plusieurs milliers d'experts ). Après un échange de mails avec Mariam Kotb et quelques recherches sur Internet, j'arrive à la conclusion qu'il s'agit d'un projet très dangereux pour notre communauté, vraisemblablement basé sur le "marché" des thésards des pays en voie de développement.

A partir du moment où les exigences de base sont très faibles, ça va évidemment "marcher" (avec une proportion de papiers faux considérables par les critères actuels qui deviendont ceux "d'autrefois"). Pour avoir un bon ICQ* et un bon facteur d'impact, il suffira par exemple que les membres de l'EB donnent un coup de main en citant les papiers.

Ce qui me terrifie est le nombre de nos amis, pas tous jeunes ni tous naifs, qui ont accepté l'invitation de Hindawi. Je doute qu'ils aient fait la même enquête que moi avant de répondre, et je ne suis pas seul à penser comme ça.

Il est clair que je vais décliner l'invitation avec des arguments imparables (mais sans procès d'intention bien évidemment). J'aimerais savoir si certains d'entre vous sont au courant d'autres tentatives éditoriales du même genre. Je crois que nous vivons une époque à risque pour les Maths et plus généralement pour la "Science".

La vigilance s'impose!

Bien à vous

PS. Inutile de préciser que les membres de l'EB travailleront gratuitement, ils sont trop nombreux pour qu'on puisse les payer, quel coup de génie!
--


Tout cela me rappelle les péripéties de fils anciens comme celui-ci, où une preuve ridiculement fausse du théorème de Fermat et de bien d'autres choses est annoncée comme publiée (elle l'est : le papier n'est plus forthcoming, mais se trouve maintenant ici.)

Hikari, Hindawi, combien d'autres éditeurs aux moeurs un peu libres sévissent-ils de par le monde ? En plus du n'importe quoi que l'on peut trouver sur ArXiv, je trouve cette tendance un peu inquiétante, malgré tout.

Réponses

  • On franchit encore une étape, mais hélàs il y a plusieurs petits journaux qui publient des choses fausses ou sans intérêt, et ce sans brocher depuis bien des années, rien que pour (a) faire des ventes aux BU et (b) permettre à des gens sans envergure de publier (souvent travaillant dans des institutions de pays sans grand tissu scientifique, de l'ex-Europe de l'Est à l'Asie).

    La raison est que les administrations ne veulent évaluer les chercheurs qu'avec des nombres de publis, donc on en arrive assez vite à ce genre de dérives. Il clair que la communauté universitaire n'est pas uniforme, certains on très peu de talent ou de conscience professionnelle, il veulent avant tout garder leur job.

    Ce n'est donc pas un problème pour la Science en tant que telle, il y a des tas de gens compétents et des revues sérieuses, et puis si quelque chose est faux il y a un moment où ça se voit bien concrètement (algorithme qui sort n'importe quoi, expérience non reproductible...). Par contre le problème c'est pour les universités des petits pays en question, elles se font berner en croyant avoir de bons chercheurs avec impact respectable, et ça va pas aider ces pays à rattraper leur retard scientifico-technique...
  • inquiétant oui, mais pour les gens sérieux qui ne vont plus avoir de label. Du coup il va se créer des labels, moins nombreux, qui vont se détacher du pot pourri ultrarempli d'infos diverses où certains (sérieux) qui entrent actuellement, n'entreront pas.

    Bon, s'il n'y a pas trop de catastrophes naturelles et qu'internet continue de survivre, l'important sera que la base (telle un disque dur hyperfragmenté) reste opérationnelle et accessible et qu'il n'y ait pas trop de liens morts. Dès lors, l'arbre des preuves restera à peu près sauf (enfin je ne sais si on dit "sauf" ou "sauv"), via des liens qui iront chercher les démonstrations dans une base numérotée.

    Franchement, les seuls à lire les articles de maths sont ceux qui en ont vraiment besoin et veulent une preuve, et quand ça déconne, ça se voit vite, la preuve n'est pas "là" et encore moins "utilisable".

    Mais je crois que je l'ai dit souvent, finalement, il manque une codification: on trouve trop souvent de gens qui annoncent une "conclusion" sans explicitement mettre les hypothèses en référence (ie les références sont des hypothèses, enfin je veux dire qu'un gars qui écrit dans un article X qu'il prouve B en utilisant A dont il annonce qu'on trouve une preuve dans la ref 384 ne fait rien de plus qu'annoncer qu'il prouve A=>B et renvoie le lecteur à ref384 des fois que ce dernier voudrait tenter une lecture d'une preuve de A)

    Une bonne codification (on passe bien des conventions pour le code ASCII, les tournvis, les bouchons de baignoires, etc) serait bienvenue sur la manière d'annoncer courtement EXACTEMENT ce qui est proposé dans un article (indépendamment des références sur lesquelles il donne l'illusion de s'appuyer).

    L'aspect "internet" de ArXiV lui donne une justification, je n'y vais jamais :D mais je suis moins sévère que toi car je le vois comme un disque fragmenté collectif et rien de plus. Moi du moment que si après une demande un pote m'envoie un lien vers ArXiV la seule chose qui compte c'est que le lien marche (après libre à moi de lire ou pas le pdf par exemple)
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
  • @Christophe : "sauf" comme dans l'expression "sain et sauf".
  • merci Sylvain
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
  • @ ptolemee et Christophe : je vois bien votre argument darwinien, la fausse science ne peut pas faire le poids vis-à-vis de la vraie science quand elle se confronte au monde réel. C'est vrai mais en même temps, l'histoire montre que c'est un combat constant dont rien ne dit qu'il est définitivement gagné. Il me semble que cet écosystème de publications sans valeur se porte plutôt bien, grâce au web, donc des gens y trouvent leur compte, manifestement. Enfin c'est assez triste pour les publications raisonnables qui doivent certainement s'y être égarées.
  • Mouais, enfin, quand le fils d'un dictateur en exil t'écrit pour te donner des millions ou te demander d'écrire dans sa revue, tu te méfies un peu, non ?...
  • Ce n'est pas tout à fait la même problématique, quand même...
  • Je suis quand meme assez d'accord avec remarque, il y a suffisamment de gens credules
    qui risquent de prendre pour argent comptant ce qu'il y a dans ce type de revue que c'est bien
    au moins de mettre un bon gros panneau "danger" en ligne sur internet.

    C'est tellement facile de se laisser bluffer par du langage ressemblant a du
    langage scientifique, bien formatté mais incompréhensible au tout venant.. on en a des exemples
    tous les jours.

    Eric
  • Bonne nuit à tous,

    Depuis que je lis des articles, ça fait pas mal de temps, j'ai lu des articles nuls dans les meilleures revues, ou réputées telles. En particulier des articles avec des erreurs grossières. Avec un nom un peu connu, on fait passer à peu près n'importe quoi dans une revue, pour la bonne raison que le (ou les) referees se garde (nt ) bien de vous mécontenter, il faut préserver l'avenir ...
    Combien de referees ont le courage de dire "non" à un article de P-L. Lions (c'est un exemple pris au hasard) ?
    J'avais accepté deux articles d'un même auteur, mais j'avais signalé qu'il n'étaient peut-être pas présentés dans la meilleure revue possible (bref, hors-sujet): punition, je n'ai plus été invité dans un colloque dont j'étais l'un des organisateurs, et je n'ai plus reçu de pré-publication d'un certain nombre de "collègues" ...
    Un autre point me fait braire: le fait que les revues gagnent un argent fou avec les articles issus de leurs anciens numéros: 40 € pour un papier de quelques pages !
    Par parenthèse, le CNRS pourrait accorder quelques articles gratuits (par an) aux retraités qui étaient dans ses labos ...
    En résumé, je n'ai pas trop envie de monter à la barricade en faveur des revues, bonnes ou mauvaises.
    Je pense que lorsqu'on écrit un article sans erreur, sur un sujet qui ne date pas du XVIIème, pas copié dans une revue portugaise, c'est une responsabilité personnelle que de le publier ou pas; un mauvais papier peut coûter très cher, et longtemps, à son auteur.
    Bien cordialement. :)
  • à remarque: je précise que mon argument "darwinien" n'était pas pour manifester de l'optimisme. Je ne disais pas "t'inquiete pas, du fait que...."

    Ce que je voulais dire est qu'un dégat collatéral ne sera pas la disparition des revues sérieuses, mais la disparition d'une (grosse) partie d'entre elles en profit de revalorisation (pas de bonne augure pour autant) de celles qui sont presque inatteignables par ce fléau comme annals of math par exemple, etc.

    "L'optimisme" de ma réponse est avec un "si" et dans la deuxième partie, à savoir l'évolution "internet" qui viendrait dire son mot dans l'histoire en ce qu'on n'aurait de moins en moins de "revues" et de plus en plus "un grand disque fragmenté" sans valeur brute, mais persistent et une classification "par liens" qui remplacerait l'ancienne version "article complet"

    A termes, je ne suis pas sûr que l'actuelle évaluation de chercheurs professionnelles n'évaluera pas beaucoup de toutes façons: ie le critère nb d'articles et index de citation, je ne crois pas bcp à sa pérennité, il est complètement idiot.
    Aide les autres comme toi-même car ils sont toi, ils sont vraiment toi
  • Bonjour Christophe,
    (pas de bonne augure pour autant)

    A comparer avec
    Car malgré Scipion, les augures menteurs,

    amicalement,

    e.v.
    Personne n'a raison contre un enfant qui pleure.


  • @ C. de Pluquaire : je suis bien d'accord que le système ancien est loin d'être parfait, et j'ai également été parfois stupéfait des erreurs publiées sous des auspices a priori respectables (l'auteur du mail collectif que j'ai cité plus haut également, d'ailleurs. En une petite discussion autour d'un café, on s'aperçoit que c'est clair que c'est général). Mais ici c'est un peu différent. Il se crée me semble-t-il une sorte de système de publication parallèle qui n'a pas seulement que des ratés occasionnels dus à des facteurs disons sociologiques, mais fonctionne délibérément, de façon industrielle en quelque sorte, sur le n'importe quoi scientifique. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose et je pense qu'il est important d'y faire un peu attention.

    @ cc : ça ne va pas être facile de s'y retrouver dans la jungle du disque dur fragmenté... je ne partage pas forcément ton optimisme, on verra bien. Sinon je suis bien d'accord avec toi sur l'évaluation à base de H number etc. Il faut bien voir que les maths sont relativement épargnées par ce phénomène, quoiqu'il y ait un glissement perceptible. Mais dans les autres disciplines, c'est terrible ! Ceci explique d'ailleurs une partie de ce glissement car l'évaluation ne se fait pas toujours en interne aux mathématiques, mais bien souvent en concurrence avec d'autres disciplines, quand il s'agit par exemple de se partager le gâteau des ressources d'une université. M'enfin je suis en train de faire dériver mon propre post ! :o
  • Bonne nuit à tout le monde,

    Cher remarque,
    Loin de moi l'idée de favoriser d'une quelconque manière le "n'importe quoi scientifique" ! Je crois qu'il faut dénoncer bruyamment tous les mensonges, les erreurs, les abus, les injustices, les sectes "scientifiques", etc. quelque en soit l'origine. Sans oublier les revues et livres nuls. Ni les éditeurs.
    Mais quelle est l'origine de l'esprit anti-scientifique ? Politique ? Religieux ? Autre chose peu perceptible encore ?
    Les problèmes de l'enseignement, en France, sont-ils voulus, en faveur du privé, ou bien parce que des imbéciles (au sens propre) sont plus facilement gouvernables ?
    La religion comme mouvement anti-sciences est assez claire aux USA (protestants surtout) et dans les pays islamiques ...
    Le fameux Marché International (et la publicité ...) a tout intérêt à ce que l'ignorantisme se propage. C'est bien clair.
    Finalement, il y a bien plus de gens qui ont intérêt à une régression de l'esprit scientifique, et de l'esprit tout court, que de gens qui prônent le progrès dans tous les domaines.
    Bien cordialement. :)
  • bonjour,

    pour ma part, voici ce que je suggère : éliminons tout processus de review similaire à celui en cours (2 ou 3 experts qui donnent un avis définitif en un peu moins d'une journée), éliminons tous les éditeurs très chers, parions sur les répertoires ouverts type arxiv et hal avec la modification suivante : à chaque dépôt est associé un forum de discussion non anonyme qui devrait permettre de filtrer assez rapidement les farces et qui autorise aussi un processus de review "éternel". Il s'agit de fusionner les répertoires ouverts actuels avec l'esprit des réseaux sociaux orientés vers la science dans le cas présent.
  • je repense à ce fil et voici ce que l'on peut lire dans une nouvelle pas si ancienne :

    UPMC et archives ouvertes

    Le modèle de l'archive ouverte semble être la voie. Je ne sais pas si c'est complètement pertinent. Même pour les livres, pourquoi ne pas proposer deux versions (une par un éditeur, et une électronique sur une archive). Ou alors avec un déphasage avec un retour des droits d'auteur à l'auteur après une période de quelques années., par exemple.
  • Le Max-Planck Institute a essayé de promouvoir avec Springer l'accès libre - pour le moment réservé au réseau de l'institut - . http://colab.mpdl.mpg.de/mediawiki/Open_Access_Publishing
    Ils n'ont pas encore vraiment trouvé d'accord me semble-t-il.
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