Les mathématiques "à la française"
Bonjour,
Je rencontre souvent l'expression "les mathématiques à la française".
J'ai le sentiment que cela tient à une façon d'aborder les notions mathématiques d'abord par le concept puis par l'exemple. J'aimerais beaucoup lire des avis plus élaborés.
Comment les définiriez-vous ?
Comment les distinguer des mathématiques faites à "l'anglo-saxonne" ?
Je rencontre souvent l'expression "les mathématiques à la française".
J'ai le sentiment que cela tient à une façon d'aborder les notions mathématiques d'abord par le concept puis par l'exemple. J'aimerais beaucoup lire des avis plus élaborés.
Comment les définiriez-vous ?
Comment les distinguer des mathématiques faites à "l'anglo-saxonne" ?
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Réponses
Voyons si c’est le cas de tout le monde.
les différences, tu les constates dans les programmes scolaires et universitaires
en France surtout depuis 50 ans on avantage l'algèbre et l'analyse,
aux Etats-Unis on privilégie l'arithmétique et la géométrie
l'informatique est sans doute abordée plus tôt aux Etats-Unis, la comptabilité et la statistique aussi
les Américains connaissent le Français Fermat mieux que les Français eux-mêmes
le mathématicien Von Neuman d'origine hongroise aurait eu moins de succès s'il avait choisi d'immigrer en France plutôt qu'aux Etats-Unis
la différence d'esprit concernant les mathématiques est sensible entre nos deux pays,
elle tient aux cultures nationales distinctes et aux systèmes d'enseignement différents
cordialement
...
En plus de ça je n'y connais rien mais il y a apparemment des concepts qui sont bien de chez nous. Pour prendre un exemple, mon prof de SI disait que "les torseurs, c'est typiquement français".
Tout d'abord, un certain goût pour l'abstraction (parfois justifiée, parfois gratuite), l'héritage de Bourbaki très probablement. A titre d'exemple, il est amusant de constater que la Wikipédia anglophone n'a pas de page "réduction des endomorphismes" mais des pages traitant de la réduction des matrices !
Le système CPGE + concours + agrégation fait que la culture mathématiques des professeurs et des chercheurs français est assez large et homogène. On peut se spécialiser bien plus vite à l'étranger (j'ai rencontré des analystes numériques qui n'avait jamais étudié la structure de groupe...). Beaucoup de français ont un bagage commun étudié pendant leurs études, relevant presque parfois du floklore (le fameux : "ha c'est un exercice classique de prépa"). La contrepartie est que certains pans des maths ne sont vraiment pas développées en France (il suffit de regarder le complémentaire du programme de l'agrégation), on peut penser notamment aux maths discrètes, mais aussi les probabilités (ce qui n'est plus vrai depuis une vingtaine d'année, mais le fait que les probas n'étaient pas au programme des cpge les a vraiment marginalisées pendant longtemps...).
Il y a aussi des styles de rédactions différents, d'ailleurs c'est un jeu assez amusant de constater que dans les articles de recherche (hors logique), la présence des symboles $\forall$ et $\exists$ est un indicateur assez fiable que l'auteur est français...
Comparer les livres MIR de la grande époque aux équivalents français de ces années-là !
A+
...
-- Schnoebelen, Philippe
@P. Est-ce que tu acceptes aussi de dire "fonction nondécroissante" pour qualifier une fonction croissante?
Nous avons beaucoup parlé de la question des notations, et il serait peut-être bon de se faire une opinion à propos de chaque notation en fonction de sa pertinence, et pas seulement avec l'argument benêt et platement suiviste « ça se fait comme ça ailleurs », entendez « chez l'oncle Sam ».
Nous avons déjà pas mal donné en nous pliant à plusieurs notations de l'empire atlantique. Par exemple, les « parmi » pour les combinaisons sont objectivement plus mauvais que nos anciens $C_n^p$ puisqu'ils présentent une confusion avec les vecteurs-colonnes, mais nous avons obéi au suzerain. On attendait plus de capacité de résistance des « Gaulois réfractaires », mais peut-être nos élites mathématiques ont-elles abdiqué tout esprit critique et perdu toute capacité de réaction virile..
Certaines notations d'outre-Atlantique sont bonnes, comme $A^{\mathbf{T}}$ pour la matrice transposée, ou $(A)_{i,j}$ pour le coefficient courant de la matrice $A$. Et les parties entières plancher $\left\lfloor {...}\right\rfloor $ et plafond $\left\lceil {...}\right\rceil $. Celles-ci, il faut en conseiller l'adoption..
Mais il faut conserver nos notations pour les intervalles, qui sont bien meilleures que les notations anglo-saxonnes, avec leurs parenthèses confusionnistes.
Bref, un peu de réflexion intelligente et moins de suivisme béat : est-ce trop demander au pays de Descartes?
Bonne journée.
Fr. Ch.
Il faudrait aussi limiter l’invasion anglaise dans le langage courant comme l’insupportable « typiquement ».
...
http://www.academie-francaise.fr/dire-ne-pas-dire/extensions-de-sens-abusives
Concernant les notations, celles-ci sont fixées par leurs auteurs. Que certaines remportent l'adhésion et d'autres pas, c'est décidé au fil du temps par ceux qui font vivre la discipline, et n'a pas grandchose à voir avec le pays d'origine de l'auteur. Les notations, ce n'est pas une histoire de guerre des clochers.
Le cas des coefficients binômiaux est particulièrement représentatif. S'ils n'avaient qu'une interprétation, la notation $C_n^k$ pourrait être considérée (bien qu'elle fasse un peut trop penser à un certain $C_n$ à la puissance $k$ à mon avis). Sauf qu'ils peuvent aussi être vus comme des polynômes à coefficients entiers ($n$ est l'indéterminée) et donc être définis pour $n$ élément quelconque d'un anneau quelconque; se généralisent aux coefficients multinômiaux; et ont une version "quantique" qui est tout sauf une simple curiosité. La notation $C_n^k$ se prête très mal à toutes ces généralisations. Qu'on continue à l'utiliser en France à l'école, soit, mais on voit mal comment on pourrait reprocher au reste du monde d'en avoir adopté une meilleure.
Dans un domaine contigu, il y a aussi les symboles de Polchammer, $(x)_n$ et $x^{(n)}$, très discutables puisqu'ils sont sensés représenter respectivement $x(x-1)... (x-n+1)$, et $x(x+1)...(x+n-1)$. D. Knuth, qui est pourtant "du côté des forts" et a lui-même une grande influence, a remporté très peu de succès dans sa tentative d'introduction de nouveaux symboles, à mon avis plus clairs et uniformes (Two notes on notation).
Et puisqu'on parle d'accents, dans le message precedent il faut un accent circonflexe a binome et pas a binomial : pas confondre omega et omicron.
Quelle est la différence profonde entre l'enseignment des maths en France par rapport au reste du monde ? Ce n'est pas le Bourbakisme ça c'est une excuse. Le Bourbakisme pénétra dans bien des enseignements étrangers, en Espagne, aux USA (si si, il y a plein de livres américains de niveau universitaire des années 50-60-70-80 qui sont Bourbakistes de la tête aux pieds), en Italie, en Allemagne etc... Un peu moins en Union Soviétique et maintenant en Russie. Mais Bourbakisme ou pas la rigueur est toujours au rendez-vous (il suffit de lire la myriade de livres de maths publiées aux éditions MIR).
Donc la différence se trouve dans la manière de présenter et étudier les maths et en général toutes les sciences exactes. En France on a un plaisir assez malsain c'est le goût du pédantisme formalistique. On aime le formalisme pour le goût du formalisme.
Si vous comparez un livre de mécanique générale (mécanique analytique) de même niveau aux USA, en Angleterre et en France les différences fondamentales ne sont pas les notions abordées (qui sont à peu près les mêmes) mais le fait que les formules dans le texte français seront à 100% surchargées d'indices à droite à gauche, en haut et en bas. Il est physiologiquement impossible de lire un traité de mécanique générale produit en France à cause de cela. Et la faute n'est pas au formalisme torsoriel en soi qui est bien utilisé dans les ouvrages américains et anglais sous des noms différents (sliding vectors pour les américains et line vectors pour les anglais).
Pour les notations c'est le second front qui s'ouvre. Il y des notations qui sont absurdes et devraient passer a la trappe comme le Ckn de la combinatoire au lieu de la notation avec parenthèses. En France on a une inertie culturelle en partie due aux cpge dont les programmes ne laissent pas le choix des notations. Phénomène qu'on ne trouve pas dans les autres pays et qui explique pourquoi si vous achetez 10 livres d'algèbre américains vous trouverez 10 façons (j'ironise) de noter les mêmes notions. En France on ne lira jamais la notation (x) f pour dénoter f(x) et pourtant on la retrouve dans certains livres d'algèbre américains, anglais et italiens. Qui détient la vérité dans le débats des notations ? Les français ? Les américains ? Les anglais ? Les italiens ? etc... Il faut faire preuve de flexibilité intellectuelle, et cette faculté n'est pas inculquée aux élèves des cpge où tout est fixé (notations, conventions etc..). Après les cpge quand les étudiants rentrent en école d’ingénieur ou à polytechnique ou normale sup alors là ils sont confrontés au vrai monde académique qui est aux antipodes de monde "safe" ou clos des cpge avec tout le changement que cela comporte.
Elle est nettement moins absurde que d’utiliser une notation vectorielle, où par ailleurs les coefficients sont dans une position inversée avec la notation normale.
Si vraiment le $k$ en exposant ne te plaît pas, utilise alors $C_{n,k}$.
J’ai surpris les taupins en colle avec la notation $C_n^k$, il y a déjà une dizaine d’années. La notation vectorielle est celle utilisée en terminale.
-- Schnoebelen, Philippe
Quel pays a produit autant de médaillés Fields avec une population aussi petite à l'époque où l'attitude dite des " mathématiques à la française, bourbakistes" était justement la plus poussée?
C'est depuis qu'on s'en éloigne et qu'on développe à la place la bouillie pédagogiste qu'on régresse.
Je me rappelle certains livres de physique de niveau licence des années 1970 :
--- un livre français de mécanique commençait par quelque chose comme "on se place dans le cadre d'un espace euclidien bla bla bla"
--- l'équivalent américain commençait par quelque chose comme "considérons un voilier soumis à la force du vent et à celle du courant".
A+
Quel pays a de piètres résultats dans tous les classements internationaux sur le niveau mathématique des élèves du primaire et du secondaire ?
Et n'oublions pas l'impact de la réforme des maths modernes ...
Le dernier médaillé Fields à avoir suivi intégralement sa scolarité en France est titulaire d'un bac C...
On attend les suivants avec impatience.
Sur les "mathématiques à la française", j'y vois d'abord une question de style à mon avis d'une élégance particulière avec un soucis de rigueur.
Après évidemment l'idiotie consiste à présenter des contenus de cours ou la compréhension est rendue pénible par un certain dépouillement dans les explications ...
J'ai entendu l'expression une première fois en DEUG quand mon prof de chimie avait avoué en cours avoir appris le calcul matriciel dans un bouquin d'économie.
Après je me rappelle aussi en thèse avoir conversé avec un normalien en doctorat de maths qui m'avait dit qu’une partie importante de son travail consistait à compacter les démonstrations pour les rendre "imbitables" (sic).
Les courbes de Bézier dans le plan.
-- Schnoebelen, Philippe
Si tu introduit pour le première fois la notion de compacité, te limites-tu à parachuter la définition ou réserves-tu 3 minutes pour leur expliquer l'intérêt de cette notion et ce qu'elle permet de faire ? C'est cela qu'on appelle motiver les concepts. Tous les profs devraient le faire dans leurs cours.
Un cours ne se limite pas à faire en cycle définition-lemmes-théorème-corollaire. On retrouve souvent cette manière de faire dans les cours français (et ceci n'est pas lié au Bourbakisme proprement dit).
Ça, c'est la critique des américains, pas le Bourbaksime en soi vu que eux aussi ont produit pas mal de livres Bourbakistes (ex : Topology de Dugundji, General Theory of Functions and Integration de Taylor, etc...)
J'ai plutôt l'impression que c'est une culture d'ex taupins MP' qui enseignent à des taupins et dans laquelle de toute façon on sait bien que 97% de l'effectif ne fera jamais plus de maths autre que "de l'ingénieur" au mieux, et donc pourquoi s'emmerder à expliquer ?
Puisqu'on a parlé de « Topology » de Dugundji comme un exemple de style « motivant » et non « rigidly Bourbakian » (!?), je joins la première page du chapitre de ce livre sur la compacité : de « motivation », point.
Pour moi, ces critiques sont juste de la mauvaise foi, du chauvinisme états-unien face à la qualité mathématique d'un petit pays - le nôtre.
Bonne soirée.
Fr. Ch.
J'étais en sup quand j'ai pour la première fois de ma vie entendu parler de compacité, c'était dans l'énoncé d'un TD qui livra cash la définition: "on dit qu'une partie $K$ d'un espace métrique $E$ est compacte si de toute suite de points de $K$ on peut extraire une sous-suite convergente" (le choix de commencer ainsi par les suites est souvent critiqué; cependant à aucun moment nous n'avons vu les espaces topologiques généraux que ce soit en sup ou en spé donc finalement ce n'était pas pénalisant; on nous avait montré les axiomes de Borel Lebesgue et l'équivalence des définitions en spé). Ensuite dans le même TD il y avait des exos comme "montrer que l'image d'un compact par une application continue est compacte", "montrer qu'une partie fermée d'un compact est compact", "montrer qu'une partie compacte d'un espace métrique est fermée dans celui-ci". La compacité des segments de $\R$ fut vue ensuite en cours avec d'autres résultats de base, Tychonov pour un produit fini d'espaces métriques compacts, les compacts de $\R^n$ sont précisément les fermés bornés pour tout entier $n$ et ainsi de suite.
A l'époque il n'y avait pas ces caprices d'inspecteurs inspirés par les pédagogistes américains, "motiver la définition" ou que sais-je (mais celle-ci a été abondamment utilisée par la suite, et ce dès les premiers jours suivant son introduction).
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Entre le moment ou Bolzano découvre (en 1817) que toute suite bornée de réels admet (par la dichotomie désormais habituelle, une idée qui sera redécouverte par Weierstrass) une valeur d'adhérence et celui où Fréchet introduit le mot "compacité" en 1906, synthétisant un certain nombre de travaux antérieurs, s'écoulent 89 ans. Un grand nombre des notions qui ont été découvertes jusqu'à cette date sont d'ailleurs avancées et ne sont guère enseignées avant le niveau M1: théorème d'Arzela-Ascoli, opérateurs compacts en analyse fonctionnelle... la note historique de la page anglaise de wikipédia sur les espaces compacts est très instructive.
La notion de compact n'a donc jamais été inventée dans un but, dans une démarche. Prétendre dire que "Weierstrass aurait inventé la compacité dans le but de montrer qu'une suite bornée de réels blabla bla vous voyez mes enfants les compacts sont gentils, ils s'appliquent" serait en plus d'être facutellement faux, d'une telle niaiserie...
En fait les compacts synthétisent près d'un siècle de brouillon dégueulasse et archi-bordélique.
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Avec ces nouvelles exigences de "recul" on fait un peu une vacherie aux agrégatifs, le mot peut être interprété de plusieurs manières différentes:
1°) comme soumission aux injonctions d'exposition des maths faisant croire à une démarche ("et après s'être habillé, Bolzano prit la décision d'inventer la compacité pour étudier les suites")
2°) comme vraie maturité mathématique, autrement dit une habitude préexistante de la pratique mathématique d'un certain niveau avec les objets concernés. Mais tout le monde n'a pas été en thèse. Le niveau prévu est celui aujourd'hui du M2 (c'était une maîtrise avant mais le problème reste le même), mais quand les gens les passent dans ces conditions, l'année de préparation est trop courte et trop chargée pour développer ce genre de compréhension à mon avis.